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Chapitre 6 — L’appel du jeu

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-22 17:25:03

Éva

Je ne dors pas.

Je fixe le plafond.

Je le sens. Dans mes veines. Dans ma gorge. Ce goût amer de dépendance.

Victor.

Je devrais avoir honte. Je devrais fuir. Couper tout. M’enterrer vivante dans une autre vie, une autre peau. Devenir une autre. Disparaître.

Mais je reste là, suspendue à ce silence, à ce vide chargé d’attente. À la mémoire de sa voix.

À ce pouvoir qu’il exerce, même dans l’absence. Même sans un mot.

Je me déteste de l’attendre.

Et pourtant… je l’attends.

Comme on attend une sentence. Comme on attend un feu.

Je prétends que je peux lui résister, mais je mens.

Je suis incapable de tourner la page. C’est une boucle. Un vertige.

Une faim.

Le téléphone est posé sur la table. Muet. Neutre.

Une coque noire. Un écran froid. Un instrument de torture déguisé.

Je pourrais le jeter. Le noyer dans la baignoire.

Je pourrais m’en débarrasser, comme d’un poison.

Mais je guette.

Inconsciemment, je guette.

Chaque vibration imaginaire me fait sursauter.

Chaque minute de silence est un supplice.

Et il finit par sonner.

Numéro masqué.

Toujours.

Je décroche sans réfléchir.

Et sa voix, glaciale, précise, me transperce.

Comme un scalpel.

— Tu es prête ?

Il ne pose pas de questions. Il ne s’embarrasse jamais de justification. Il sait. Comme toujours.

Je ferme les yeux. Je retiens un frisson.

— Oui.

Un mot. Un piège. Un pacte.

Un abandon.

Et je viens de signer.

---

Le lieu est inconnu.

Une adresse reçue par message, sans explication.

Rien d’autre.

Ni heure. Ni contexte. Juste l’ordre muet d’obéir.

J’aurais dû hésiter.

Mais non.

Je m’y rends.

Maquillée trop sobrement. Vêtue trop correctement.

Et pourtant, chaque pas me donne l’impression de me dénuder.

De m’offrir.

Je me sens à découvert. Comme si le simple fait d’approcher de lui effaçait mes défenses, mes masques, mes couches de protection.

Il n’a même pas besoin d’être là pour me désarmer.

Le hall est vaste. Froid. Impersonnel.

Une sorte de sanctuaire moderne.

Le genre d’endroit où rien n’a d’âme. Où tout est contrôle, silence et lignes droites.

Un homme m’attend. Grand. Raide. Silencieux.

Pas Victor.

Il ne dit rien.

Il m’adresse un simple signe.

Un ordre contenu dans un geste.

Je serre les dents.

Je le suis.

Un ascenseur. Un couloir. Une porte.

Et derrière, l’obscurité.

Victor est là.

Assis. Parfaitement immobile.

Le regard droit, dévastateur.

Il me regarde entrer comme s’il m’avait invoquée. Comme si j’étais le fruit d’un rituel.

Comme s’il savait, depuis le début, que je viendrais.

— Tu peux encore partir.

Mensonge.

On ne quitte pas un jeu qu’on a accepté de jouer.

Pas quand c’est lui qui en fixe les règles.

Pas quand il est le seul à savoir jusqu’où elles vont.

— Je suis là, non ?

Je le vois sourire.

Juste un frémissement au coin des lèvres.

Presque imperceptible.

Et pourtant, ça suffit pour me troubler. Pour me raviver de l’intérieur.

— Ce soir, tu ne parleras pas.

Tu écouteras.

Et tu apprendras.

Je hoche la tête.

Silencieuse.

Docile.

En apparence.

Dedans, c’est le chaos. Un mélange de peur, d’excitation, d’attente.

Et quelque chose de plus sombre. De plus ancien.

Quelque chose qui n’a jamais vraiment disparu.

Il se lève.

Il me tourne autour. Lentement.

Comme s’il étudiait une pièce de collection.

Ou un animal qu’il dompte à distance.

Je sens son souffle.

Mais il ne me touche pas.

Et pourtant, je réagis.

Mon corps se tend. Mon cœur cogne plus fort.

Chaque fibre de ma peau est aux aguets.

— Tu as tout oublié.

Comment on cède.

Comment on obéit.

Comment on brûle.

Il va falloir réapprendre.

Je reste droite.

Mais à l’intérieur, je tremble.

Pas de peur.

Pas vraiment.

D’anticipation. D’acceptation. D’une envie que je ne veux pas nommer.

— Je ne veux pas ton corps. Pas encore.

Je veux ton attention.

Ta discipline.

Ta sincérité.

Je le fixe. Il attend.

Il ne cligne pas des yeux.

Il n’a pas besoin d’insister.

Il est l’insistance.

— Déshabille-toi.

Le ton est calme.

Presque doux.

Et pourtant, c’est un ordre qui claque comme un fouet.

Je recule d’un pas.

Il ne bronche pas.

Il observe.

Je lutte une seconde.

Une infime seconde.

Et je cède.

Pas à lui.

À moi.

À celle que j’ai été.

À celle que je redeviens peut-être.

Ou à celle que j’ai toujours été au fond, sous le vernis.

Un vêtement. Puis un autre.

Jusqu’à n’être plus qu’une vérité nue.

Je ne baisse pas les yeux.

Je reste debout. Exposée.

Offerte.

Il ne dit rien.

Il s’approche.

Il effleure mon menton du bout des doigts.

Un contact à peine réel.

Et pourtant, il me marque.

Comme une signature invisible sur ma peau.

— Tu vas réapprendre à être à moi.

Pas parce que je l’exige.

Mais parce que tu en as besoin.

Il recule.

Lentement.

Avec cette maîtrise insupportable.

Avec cette absence de désir immédiat qui me trouble plus qu’un baiser.

— Habille-toi.

Et rentre chez toi.

C’est tout.

Il me renvoie sans m’avoir touchée.

Sans avoir pris.

Et c’est pire.

Infiniment pire.

Je m’habille. Je sors.

Dans la rue, la nuit m’engloutit.

Le monde continue comme si rien ne s’était passé.

Mais moi…

Je ne suis plus tout à fait la même.

Une chose est claire.

Je reviendrai.

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