Victor
Elle est venue.
Évidemment qu’elle est venue.
Je n’ai pas eu à douter. Pas une seconde. Éva prétend se battre, mais elle n’est qu’un animal effarouché qui revient toujours vers le feu, même si elle sait qu’il brûle. Ce n’est pas moi qu’elle fuit. C’est ce qu’elle ressent en ma présence. Ce qu’elle devient quand elle s’oublie.
Elle a poussé la porte comme on entre dans une église profanée. Avec ce mélange de crainte et de fascination. Une robe trop sage, des talons trop bas. Le genre de tenue choisie pour se convaincre qu’on ne cède pas.
Mais j’ai lu le contraire dans chacun de ses gestes.
Je n’ai pas bougé. Je l’ai laissée approcher. Mon silence était un piège. Elle s’y est glissée sans même s’en rendre compte.
Éva
Je pensais pouvoir entrer et ressortir indemne. Me prouver que j’étais forte. Que ce n’était qu’une parenthèse.
Mais dès que je l’ai vu, assis dans ce fauteuil, le regard posé sur moi comme une lame, j’ai su que j’étais foutue.
Il ne m’a pas saluée. Pas un mot. Pas un mouvement. Juste cette présence massive. Magnétique. Immuable.
Et moi, ridicule, tremblante, incapable de soutenir son regard plus de deux secondes.
Je voulais lui dire que c’était terminé. Que je ne reviendrais plus. Mais ma bouche est restée close. Comme scellée par l’attente.
Victor
Je l’ai observée s’approcher. Chaque pas était une confession. Elle voulait fuir, mais son corps la trahissait. Les épaules raides. Les doigts qui se tordaient.
Et cette respiration, courte, sifflante, comme si elle marchait au bord du précipice.
Je lui ai demandé de se déshabiller.
Pas d’un ton autoritaire. Juste… calmement. Presque doucement.
Elle a obéi. Lentement. Trop lentement. Croyant garder le contrôle, croyant m’offrir quelque chose.
Mais elle ne m’a rien donné. C’est moi qui ai tout pris.
Éva
Quand il m’a ordonné d’ôter ma robe, j’ai senti mes genoux flancher. Pas à cause de la peur. Mais parce que j’en avais envie.
J’aurais voulu lutter, mais j’étais déjà perdue.
Chaque geste me coûtait. Non pas parce qu’ils m’humiliaient, mais parce qu’ils révélaient ma vérité. Je voulais qu’il me voie. Je voulais qu’il me possède. Qu’il devine ce que je ne suis même pas capable de me dire à moi-même.
Et il l’a vu. Tout.
Pas un frisson ne lui a échappé.
Victor
Elle s’est dénudée avec la maladresse d’une femme qui veut être forte mais qui vacille. Et sous cette fausse assurance, j’ai vu la brèche.
Elle se tenait là, fière et nue, mais chaque fibre d’elle criait « prends-moi ».
Pas par luxure. Par besoin de céder.
Et je n’ai rien fait.
Je l’ai laissée debout. Frissonnante. En attente.
Je n’ai pas tendu la main. Je n’ai pas effleuré sa peau.
Je me suis contenté de la regarder. Jusqu’à ce qu’elle comprenne : ce n’est pas son corps que je veux. C’est son abandon.
Éva
Il ne m’a pas touchée. Il n’a pas bougé. Il m’a juste regardée.
Et j’ai eu honte. Pas d’être nue. Mais d’espérer. D’attendre qu’il me prenne.
Quand il m’a dit que je pouvais partir, j’ai senti un coup de froid s’abattre sur moi.
Ce n’était pas du rejet. C’était pire. C’était une stratégie.
Il m’a laissée avec la faim. Avec le vide.
Victor
Elle est partie sans un mot. Elle a remis sa robe comme une armure fissurée. Mais son regard était brisé.
Elle pense encore pouvoir me fuir. Elle croit que ce refus l’a rendue plus forte.
Mais en vérité, elle est déjà attachée. À moi. À l’idée de moi.
Elle reviendra. Parce que l’absence est une drogue plus cruelle que le plaisir.
Éva
J’ai quitté le club sans regarder derrière moi. Mon cœur battait trop fort. J’étais honteuse de ce que je ressentais. De ce que je voulais.
Je me suis dit : c’est terminé. Plus jamais.
Mais dans le taxi, mes doigts ont frôlé ma cuisse, là où j’aurais voulu qu’il me marque. Et j’ai compris que c’était déjà trop tard.
Il est en moi.
Victor
Je suis retourné dans mon salon privé. Le whisky dans le verre, intact. Je n’avais pas soif. J’étais grisé par elle.
Je pensais à son regard. À cette lueur entre la peur et la supplique. Cette déchirure qui ne demande qu’à être agrandie.
Elle ne sait pas encore ce que je veux. Elle croit qu’il s’agit de sexe, de domination. Mais c’est un leurre.
Je veux sa loyauté. Sa confiance. Je veux qu’elle chute sans que je pousse. Qu’elle s’offre, non parce qu’elle y est contrainte… mais parce qu’elle ne conçoit plus la vie autrement.
Éva
Je suis rentrée, je me suis allongée sur le lit sans me déshabiller. J’ai fermé les yeux. Et j’ai revu la scène, encore et encore.
Pourquoi n’a-t-il rien fait ? Pourquoi ce vide est-il pire qu’un excès ?
Je me suis sentie abandonnée alors qu’il était encore partout. Dans ma peau. Dans mes pensées.
J’ai serré les draps contre moi, en silence. Et j’ai murmuré son prénom sans m’en rendre compte.
Victor
Je ne l’appellerai pas. Pas ce soir. Pas demain.
Elle doit faire le pas. Elle doit revenir de son plein gré.
C’est comme ça que naît le vrai pouvoir : quand l’autre croit encore qu’il choisit.
Je fixe le vide. Et je souris.
Le jeu commence à peine.
ÉVALe silence autour de moi est lourd, presque palpable, comme une épaisse couverture de velours qui enveloppe la chambre encore endormie, où la lumière hésite à entrer, tamisée, presque grise, venue d’un ciel bas et plombé. J’ouvre les yeux, et ce que je ressens d’abord, c’est le poids immense de la nuit encore accrochée à mes paupières, une résistance sourde avant que la conscience ne revienne, lentement, avec cette étrange sensation d’un souffle suspendu, comme si le temps lui-même avait retenu son souffle pour ne pas me brusquer.La robe est là, posée sur la chaise, immobile, comme une promesse silencieuse qui attend, ou peut-être une menace qui s’est tapie sans bruit dans les plis de sa dentelle. Je la regarde, incapable encore de la toucher, parce qu’elle semble chargée d’une histoire que je ne sais pas encore affronter, qui me dépasse, me fascine autant qu’elle me terrifie. Chaque pli, chaque dentelle, chaque fil semble murmurer un secret ancien, un pacte fragile. J’essaie d’y
ÉVALa nuit est tombée sans bruit. Comme une couverture humide qu’on aurait posée sur mes épaules. Pas une nuit noire, non une nuit grise, étouffée, pleine de choses non dites. Tout est prêt, m’a dit Bella avant de se retirer. Les fleurs sont installées. La robe est suspendue, au bout du cintre comme un fantôme qui attend. Le vin a été livré. Les témoins sont là, à quelques chambres d’ici, à moitié endormis.Et moi, je fixe le plafond.Je n’ai pas trouvé le sommeil. Pas même la fatigue.Mon corps est allongé, mais mon esprit tourne comme une bête enfermée dans une cage trop étroite.Je passe les doigts sur la couture du drap, machinalement, en boucle. La lune filtre à peine par la fenêtre, trop voilée. Les murs me regardent. Et dans chaque ombre, je crois reconnaître un souvenir.Un doute.Une peur.La nuit, les choses prennent toujours une autre forme. Plus tranchante. Plus ancienne.Et ce soir, c’est tout ce que je suis qui remonte à la surface.Je me lève. Pieds nus. En chemise. Je
ÉVALes tissus s’empilent sur la table, fluides, brillants, rêches parfois. Il y a du blanc, bien sûr, mais aussi du noir. Et des éclats rouges, ocre, presque bruns. Je ne sais pas pourquoi je les ai demandés. Peut-être pour ne pas oublier. Peut-être pour ne pas mentir. Il n’y aura pas de mariage traditionnel. Rien ne l’a jamais été, entre lui et moi.Bella pince les lèvres. Elle n’a rien dit depuis que la couturière est entrée. Mais son regard me parle.Il me dit : es-tu sûre ?Il me crie : tu pourrais encore fuir.Mais il me murmure aussi, en silence : je suis là.— Celui-là, murmuré-je, en effleurant une étoffe sombre aux reflets cendrés. Celui-là, il me va.La couturière hoche la tête, note rapidement quelque chose sur un carnet, puis vient prendre des mesures que je ne sens même pas. Tout semble irréel. Comme un rêve cousu à la hâte. Un fil qui pourrait se casser à chaque seconde.Bella, toujours silencieuse, me tend une épingle. Elle évite de croiser mon regard.— Tu es sûre de
BELMONTJe reste immobile devant la fenêtre ouverte, le vent frais agitant doucement les rideaux délavés. La lumière hésite à pénétrer la pièce, le ciel est couvert, lourd de gris, comme si le monde lui-même retenait son souffle.Le murmure des feuilles à l’extérieur se mêle à celui de mes pensées, envahissantes, oppressantes.Je croyais que choisir serait simple.Qu’un oui, murmuré à voix basse, dans la pénombre, suffirait à balayer mes doutes.Mais ce matin, le poids de cette décision m’écrase.J’ai l’impression d’être suspendu, ballotté entre l’envie de tout brûler et celle de bâtir quelque chose de fragile.Éva marche à mes côtés, mais elle semble ailleurs, invisible par moments. Ses silences sont des cris sourds, ses regards des esquives qui me brisent.Je voudrais la prendre, la serrer fort, lui dire que je suis là.Mais je sens aussi mes propres failles, ces fissures que j’ai toujours cachées derrière un masque d’indifférence.J’ai passé ma vie à fuir les blessures.À camoufler
ÉVAJe pensais que ce serait plus simple après.Que le mot, une fois dit, ferait le reste.Mais non.Le matin après un oui n’est pas un conte.C’est un champ de bataille silencieux, pavé d’ombres familières. L’angoisse du réveil, les gestes hésitants, les regards qui cherchent sans savoir où se poser. Ce n’est pas la paix, pas encore. C’est la transition. Le bord d’un monde nouveau.Et je ne sais pas marcher droit sur un bord.Je suis debout devant la glace, les doigts tremblants autour d’un mug tiède. Je ne bois pas. J’essaie juste de rester là. Entière. De ne pas partir en miettes sous le poids de cette réalité qui recommence.Mon reflet ne m’aide pas. Il me juge, peut-être. Ou il me supplie. J’ai du mal à faire la différence. Mes cheveux sont encore en désordre, mes traits marqués. Mais il y a autre chose dans mes yeux. Quelque chose d’à peine perceptible. Une fièvre contenue. Une faille qui pulse, vivante.Belmont est derrière moi. Dans le reflet, je vois son dos nu, la chemise qu’
ÉVALe matin est doux.Trop doux.Comme une anomalie, une paix fragile que je redoute plus que la violence. Un calme tendu, suspendu à un souffle.Je m’éveille dans ce silence étrange, dense, où même le temps semble retenir son cours. Les draps sont froissés autour de moi, gardiens silencieux de ce que nous avons été cette nuit ou tenté d’être. Il y a encore son odeur sur l’oreiller. Un mélange de chaleur, de peau, de ce parfum discret qu’il porte toujours, comme un murmure.Mais il n’est plus là.Et je sens, avant même d’ouvrir les yeux, le vide qu’il a laissé. Un vide précis. Pas celui d’un départ… non. Celui d’une veille. D’une attente.J’ouvre les yeux. Lentement. Comme si le monde pouvait me blesser rien que par sa lumière. La pièce est baignée d’un éclat pâle, irréel. Un halo de jour qui n’ose pas entrer tout à fait. Les rideaux n’ont pas été tirés. La lumière glisse le long du parquet, touche la courbe de mes jambes, s’attarde sur ma main encore posée sur le matelas.Je ne boug