Volarion
Elle dort.
Enfin.
Le feu du matin s’est retiré derrière les arbres, et la lumière s’est adoucie. Lira s’est assoupie à mes côtés, recroquevillée contre une pierre moussue, ses ailes repliées comme celles d’un oiseau blessé.
Sa respiration est régulière, paisible. Trop paisible. Elle ne sait pas.
Elle ne sait rien de ce que je suis.
Et encore moins de ce que nous sommes.
Je la fixe. Je ne fais que ça, depuis que le sommeil l’a prise. L’étudier. L’écouter. Ressentir sa chaleur même à distance.
Je n’ai pas bougé. J’ai retenu ma respiration trop longtemps. Comme si le moindre mouvement de ma part allait briser ce lien fragile.
Mais je sens.
Je sens ce lien comme une brûlure dans mes entrailles.
Un fil ancien. Une vérité primordiale.
Elle est celle que mon feu reconnaît.
Une âme sœur.
Le mot me vient avec une violence sourde. Il n’est pas humain. Pas tout à fait. C’est une idée gravée dans la moelle de mon être, inscrite dans le feu ancestral des dragons.
Le lien absolu. Irrévocable. Sacré.
Et je le rejette.
Non.
Pas elle.
Pas cette créature de lumière et de fragilité, au cœur trop ouvert.
Pas cette femme qui frissonne quand je respire, qui détourne les yeux quand je la regarde trop longtemps.
Pas celle dont la magie est instable, encore embryonnaire.
Pas celle qui tremble quand le vent se lève.
Je suis trop pour elle.
Trop brisé.
Trop vaste.
Trop ancien.
Trop dangereux.
Mon feu consume. Il ne réchauffe pas.
Je suis fait de destruction, pas d’amour.
Je suis né dans les cendres d’une guerre que même les dieux ont oubliée.
Et pourtant…
Quand elle a posé sa main contre la mienne, j’ai senti mon essence changer.
Un frisson ancien a remonté ma colonne, jusque dans mes ailes absentes.
Le monde a basculé.
Et je me suis souvenu.
Pas d’images claires. Mais de sensations.
D’un serment prononcé au bord du gouffre.
De son cri.
Du feu.
De mon hurlement.
Je l’ai déjà perdue.
Et le lien… le lien s’est rompu une fois.
Il ne le supportera pas deux.
Je me lève. Lentement. Le corps encore douloureux, maladroit. Chaque mouvement me coûte. Mais je dois m’éloigner. Respirer. Réfléchir. Loin de son parfum, de sa chaleur, de son souffle.
Mes pas me guident vers la lisière du sous-bois. La brume s’accroche aux racines. Le monde est silencieux, comme figé.
Mais en moi, tout hurle.
Ce lien… ce sceau d’âme… il ne peut être ignoré. Il est plus ancien que les rois. Plus fort que les serments. Quand deux êtres sont liés ainsi, rien ne peut l’effacer.
Sauf la mort.
Ou l’abandon.
Je serre les poings. Mon feu bouillonne sous la peau. Mon cœur bat à un rythme que je ne reconnais pas. Je suis en colère. Contre elle. Contre moi. Contre ce destin qu’on m’impose.
Pourquoi elle ?
Pourquoi maintenant ?
Je suis tombé pour la protéger. Je le sais. Même si les souvenirs restent confus. Mon cœur l’a choisie avant moi.
Mais aujourd’hui… je suis incapable de la protéger.
Et elle est incapable de me supporter.
Si elle savait…
Ce que j’ai fait.
Ce que je suis devenu.
Combien de vies j’ai brûlées. Combien de royaumes j’ai détruits. Combien de fois j’ai goûté au sang sans le moindre remords.
Elle me fuirait.
Et si elle ne le fait pas…
C’est moi qui devrai partir.
Je retourne vers elle. Malgré moi. Tiré par ce fil invisible.
Elle est réveillée.
Assise.
Les genoux repliés contre sa poitrine, les yeux rivés vers moi.
— Tu t’es éloigné, dit-elle.
Sa voix est douce. Mais inquiète.
— Je devais réfléchir.
Elle hoche lentement la tête. Puis, comme si elle sentait le changement en moi, elle murmure :
— Tu t’es souvenu, n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas.
Mais mes yeux parlent pour moi.
Elle se lève, fragile mais droite. Ses ailes frémissent dans son dos, vibrantes. Elle s’approche, pas à pas.
Et moi… je recule.
— Volarion ?
Je ferme les yeux.
— Ce nom… c’est un avertissement. Pas une promesse.
— Tu m’as dit que tu n’avais rêvé que de moi, souffle-t-elle.
— Et c’est pour ça que je dois m’éloigner.
Elle se fige.
— Pourquoi ?
Je lève les yeux vers elle. Et je dis ce que je n’aurais jamais voulu prononcer.
— Parce que tu es mon âme sœur. Et que je vais te détruire.
Le silence tombe. Brutal. Comme une lame.
Elle ne comprend pas. Pas encore.
Alors j’ajoute, plus bas :
— Tu es faite de lumière. De vie. De rêves. Et moi… je suis un vestige. Un avertissement. Une créature condamnée à brûler tout ce qu’elle aime.
— Tu ne me feras pas de mal, dit-elle avec une douceur féroce.
— Tu n’en sais rien.
— Si. Je le sens. Je te sens.
Je vois ses poings se serrer. Sa voix tremble, mais elle ne recule pas.
— Tu ne m’effraies pas, Volarion.
— Tu le devrais.
Je m’approche. Juste assez pour qu’elle sente la chaleur qui se dégage de moi, même sans feu visible.
— Regarde-moi, Lira. Sens ce que je suis. Tu crois que tu peux supporter ça ? Tu crois que ce lien est une bénédiction ? Ce n’est qu’un piège.
Elle lève les yeux vers moi.
Et là… elle fait ce que je redoute le plus.
Elle me touche.
Encore.
Sans peur.
Sans trembler.
— Peut-être que je suis fragile, dit-elle.
— Tu l’es.
— Mais ça ne veut pas dire que je suis faible. Et ce lien… je ne vais pas le fuir. Même si toi, tu préfères t’aveugler.
Je la regarde. Mon feu gronde. Mon cœur aussi.
Je suis au bord. Du repli. Ou du baiser.
Mais je choisis le silence.
Et je recule.
— Ce n’est pas moi que tu dois craindre, murmuré-je. C’est ce que ce lien fera de toi.
Elle ne bouge pas. Mais ses yeux brillent.
Elle n’abandonnera pas.
Et moi… je sens déjà que je suis perdu.
LiraJe garde les yeux fermés encore un instant.Pas parce que j’ai peur d’ouvrir les paupières.Mais parce que je veux retenir le monde ainsi.Juste un peu . Suspendu ! Respirant contre le sien.Liée à lui par un fil invisible, une onde, un battement.Il ne parle pas.Il ne bouge pas.Et pourtant, tout en moi sait qu’il est là.Son front contre le mien, très légèrement.Son souffle, chaud, irrégulier, qui effleure ma peau avec la délicatesse d’un souvenir.Nos doigts encore mêlés, encore serrés, comme un ancrage, un refus de redevenir deux.Dans cet espace minuscule entre nous, où plus rien ne sépare nos visages, j’ai l’impression que le reste peut attendre.Les réponses , les justifications .Les blessures qu’on n’a pas encore nommées.Les absences trop longues, les nuits trop vides.Tout ça peut bien rester dehors.L’univers peut vaciller, hurler, se briser à nouveau.Nous, nous sommes là.Et c’est assez.Je sens ses doigts se refermer un peu plus fort sur les miens.Pas pour me r
LiraD’abord, je crois que je rêve un de ces rêves flottants, suspendus entre l’oubli et la mémoire, sans contours précis, sans son pour guider, sans forme pour ancrer, simplement habité par une sensation qui pulse doucement sous la peau, un écho venu d’ailleurs, comme un murmure oublié, un appel fragile, tissé de silence et de vertige.Ce n’est pas une peur.C’est un éveil.Quelque chose se lève dans l’air.Quelque chose s’ouvre, doucement, sans violence, comme si le monde, ce monde immense, écorché, recousu de blessures anciennes, retenait soudain son souffle de peur de troubler ce qui s’approche.Le vent change.Il se densifie.L’air devient presque palpable, lourd et épais comme une mer invisible à traverser.Je ressens chaque pas dans mon corps comme s’il me tirait hors de moi, hors du réel, vers une frontière que mes yeux ne voient pas encore, mais que mon cœur connaît par-delà les âges.Le sol vibre à peine sous mes pieds, pas comme un tremblement, mais comme une mémoire enfoui
VolarionLe feu s’est tu.Pas éteint.Pas dompté.Mais contenu pour l’instant.Comme une bête tapie, lovée dans mes entrailles, aux aguets, prête à se redresser si je faiblis encore.Ma peau fume, mes veines tremblent, et la magie, toujours brûlante, serpente sous ma chair comme un serpent ivre de colère.Mais ce n’est plus la rage qui la nourrit.C’est autre chose.Une tension fine. Un appel venu d’ailleurs.Je l’ai senti.Faiblement. Presque comme un souffle.Un frisson dans l’air.Une vibration ancienne, mais reconnaissable.Elle.Mon corps gémit sous l’effort alors que je me redresse. Chaque muscle proteste, chaque os craque sous la pression du feu contenu.J’ai cru céder.J’ai failli me laisser consumer.Mais un souvenir m’a rattrapé à la dernière seconde.Lira.Sa main contre la mienne.Son front posé contre le mien, jadis, dans un monde plus doux.Sa voix, basse, quand elle me disait : "Je suis là."Ce souvenir ou peut-être ce mirage m’a ramené.Et maintenant, quelque chose me
VolarionLe sol tremble sous mes pas.Pas parce que la terre gronde, non mais parce que je gronde.Ma magie n’est plus une compagne.Elle est devenue ennemie.Insatiable. Instable.Un feu noir, affamé, acide, qui s’insinue dans mes veines, écorche mes os, ronge mon souffle.Elle me réclame.Elle hurle.Elle veut brûler , détruire , avaler ce monde qui m’a pris Lira , même si c'est faux , car c'est moi qui l'ai quitté malgré ses supplications .Chaque pas devient plus lourd, comme si la terre refusait de me porter, comme si elle savait que je n’étais plus fait pour marcher parmi les vivants.Je titube.Je tombe à genoux.Et la magie explose.Un cercle de feu se propage autour de moi, dévorant tout ce qu’il touche roches, poussière, lumière.La terre se fissure, les arbres ceux qui avaient osé pousser malgré les cendres se désintègrent, et l’air lui-même crépite.Et pourtant, au centre de cet ouragan incandescent, je grelotte.Le feu est en moi.Un feu ancien. Primal. Celui de la perte.
VolarionJe ne sais plus depuis combien de temps je marche. Des jours ? Des semaines ? Le temps s’est dissous dans ce désert sans fin, cette mer de cendres et de silence où même les étoiles semblent s’être éteintes, les unes après les autres, une à une, comme si elles fuyaient la nuit aussi impitoyable que celle qui dévore mon âme.Je suis seul.Seul au point que chaque souffle semble vouloir arracher ce qui reste de vie en moi, chaque inspiration est une lutte, chaque expiration un supplice.Cette solitude est un feu invisible, une flamme qui dévore lentement mon cœur, l’émiette, le réduit en poussière incandescent, en braises brûlantes prêtes à s’éteindre.Je sens ce feu intérieur grandir, non pas avec la violence et la fureur destructrice du dragon que je suis, mais comme une rage sourde, affamée, cruelle.Il brûle, oui, mais c’est un feu sans éclat, un feu qui ronge, qui consume dans l’ombre.Je brûle de l’intérieur.Chaque instant loin d’elle me rapproche un peu plus du néant, m’
VolarionLe vent mord ma peau comme un poignard gelé, mais je sens à peine ce froid.Je marche sans but, sans horizon, prisonnier d’un labyrinthe d’ombres qui engloutit tout ce qui fut lumière.Chaque pas me rapproche un peu plus du néant.Je voudrais crier, hurler au ciel ma colère, mon désespoir, mais ma voix s’est brisée avec elle.Je suis une épave, dérivant sur une mer déchaînée, balloté par des vagues de souvenirs trop puissantes pour être oubliées.Son visage me hante.Ses yeux, pleins de promesses, de doutes et de tendresse, brûlent encore dans mon esprit.Je revois la douceur de ses mains, le tremblement de sa voix, l’éclat fragile de son regard qui voulait encore croire en nous.Et pourtant, je suis là, loin d’elle.Le gouffre qui nous sépare n’est pas seulement physique.Il est fait d’un silence trop lourd, d’un froid qui glace jusqu’à l’âme.Je sens cette distance grandir entre nous, un abîme qui menace d’engloutir ce que nous étions.Je la sens dans chaque battement de mo