— As-salam alaykoum, salue doucement la jeune fille.
Le jeune homme sursaute, baisse les yeux. Ses longs cils effleurent la peau délicate de ses joues.
— Wa alaykoum salam, répond-il en relevant légèrement la tête. Il ajoute d’une voix basse :
— Ne reste pas là… entre.
Elle incline la tête, s’accroupit avec grâce, retire ses sandales, dévoilant des chaussettes noires sobres qui épousent ses pieds. Elle pose le pied droit sur la petite marche, franchit le seuil. L’intérieur est vaste, baigné de lumière. Les fenêtres grandes ouvertes laissent passer un vent léger qui agite les nattes étendues au sol.
Le jeune homme ne bouge pas, mais ses yeux, eux, sont captifs. Qui est-elle ? D’où vient-elle, avec cette allure, ces cils interminables, cette aura ? Un frisson lui traverse la nuque non de désir, mais de peur : peur de souiller sa foi en s’attardant trop sur une étrangère.
Elle relève les yeux vers lui.
— Sauriez-vous où est passé Oustaz Aboubakir ?
Il baisse aussitôt le regard, le cœur battant, puis répond d’une voix calme :
— Mon père est absent aujourd’hui. Il m’a chargé de le remplacer.
Son père ?
Elle ouvre de grands yeux. Ce garçon est donc le fils de son maître ? Oustaz Aboubakir ? Elle ne l’a jamais vu auparavant. Il faut dire que l’homme a de nombreux enfants, en particulier des fils.
Le jeune homme lui fait signe de s’asseoir. Elle s’exécute, sort son Coran, l’ouvre à la page prévue. Lui, l’observe discrètement. Son père lui a confié l’enseignement de ceux qui viendraient aujourd’hui au marquage. Il prend son rôle à cœur.
— Approchez-vous… euh… Il s’interrompt, embarrassé.
— Nora. Je m’appelle Nora, dit-elle doucement.
Elle s’approche. Lorsqu’il voit qu’elle est sur la sourate Maryam, son cœur se réchauffe. L’une de ses préférées. Il lui demande de lire les derniers versets pour repérer où elle s’est arrêtée. Nora lit. Sa voix s’élève, claire et belle. Une récitation douce, presque chantée. Il en a entendu des voix féminines psalmodier le Coran, mais celle-ci… elle est différente. Elle touche quelque chose d’indicible. Il murmure un Masha-Allah, ses lèvres à peine entrouvertes.
Elle sourit, un peu gênée, mais touchée. Il lui apprend alors les versets suivants. Il commence, comme il se doit, par demander la protection d’Allah contre Satan le lapidé. Puis il récite :
> « Elle dit : Je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux, si tu es pieux, [ne m’approche point]. Il dit : Je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur. »
Mais cette fois, ce n’est pas Nora qui est hypnotisante. C’est lui. Sa voix grave, douce et lente, s’infiltre en elle. Elle ne l’écoute pas vraiment : elle l’entend. Elle le sent. Le cœur battant à tout rompre, elle lutte contre ce trouble nouveau. Elle ne veut pas se perdre, pas ici. Pas maintenant.
— Nora ? l’appelle-t-il soudain.
Elle sursaute. Il sourit doucement, et cela la trouble davantage. Elle baisse les paupières, tente de se recentrer. Elle pose son doigt sur le verset, se concentre, répète après lui. Leurs index se frôlent. Un choc. Elle retire aussitôt sa main, le souffle court. Les mots deviennent flous, sa vision se trouble.
Et c’est là qu’il apparaît.
Lyés.
Debout sur le seuil, le regard incandescent. Ses yeux brillent d’un rouge profond, dévorants. Ses poings sont fermés, crispés à faire blanchir les jointures. Il tremble de rage. Nora sent son cœur s’arrêter une seconde, puis bondir dans sa poitrine. Elle sait ce qui va se passer. Elle sait qu’elle n’a aucun pouvoir.
Lyés n’est pas humain.
Le djinn se jette sur elle comme une tempête et pénètre son corps par les pieds. Nora s’effondre, raide, les yeux clos, les lèvres scellées, les poings serrés. Le jeune homme se lève d’un bond.
— Nora ! Nora ! Hé ! Réveillez-vous !
Elle ne répond pas. Il s’agenouille, la touche. Elle repousse sa main avec violence. Il écarquille les yeux. Il comprend. Cette scène… il l’a déjà vue. Une possession. Il en est presque certain.
Il saisit son cou, essaie de la maintenir. Elle relève violemment la tête, hurle un cri inhumain. Il recule, effaré. Comment un djinn a-t-il pu entrer dans un lieu aussi sacré ? Celui-là est audacieux. Il est ici pour une raison.
Il se penche, approche sa bouche de son oreille.
— Qui es-tu ?
Elle éclate de rire. Un rire glacial. Sans joie, sans vie. Juste de la colère.
Il insiste.
— Qui es-tu, djinn ?
— Non, toi, QUI ES-TU ? répond Lyés avec une voix rauque et étrangère. Tu es entré dans MA demeure sans permission.
— C’est toi l’intrus ici. Tu n’as rien à faire dans ce lieu, murmure le jeune homme, déterminé.
Il serre de nouveau son cou. Elle résiste, le combat, hurle. Sa force est surhumaine. Il peine à la maintenir au sol. Mais il tient bon, commence à réciter à haute voix les versets sacrés. La douleur s’inscrit aussitôt sur le visage de Nora. Elle attrape ses oreilles, les écrase de ses paumes pour ne pas entendre. Elle gémit, se cogne la tête contre le sol.
— Arrête ! Tu vas lui faire mal ! s’écrie la voix de Lyés à travers elle.
— Rends-lui son corps, ordonne le jeune homme en haussant le ton. Tu n’as aucun droit sur elle.
Un silence. Puis un cri strident déchire l’air.
Le combat ne fait que commencer.
— Je viens chercher ce qui m’appartient. Pourquoi tu es si proche de ma Nora ? Lâche-moi ! s’écrie la jeune fille, les yeux noirs de colère.
— Quitte son corps, propose calmement le jeune homme.
Elle éclate d’un rire aigu, déchirant. Un rire qui n’a rien d’humain.
Le jeune homme se lève, sans dire un mot. Il cherche une tasse, la remplit d’eau claire, puis s’assied de nouveau. Il récite doucement, avec ferveur, le verset 255 de la deuxième sourate du Coran, Ayat al-Kursiy. Ensuite, il enchaîne trois fois la 114ᵉ sourate, An-Nas, puis trois fois la 113ᵉ, Al-Falaq, et enfin trois fois la 112ᵉ, Al-Ikhlas. Sa voix est posée, ferme, comme un fil de lumière dans l’obscurité.
Il verse quelques gouttes de cette eau bénite sur le visage de la jeune fille.
Elle sursaute violemment, se débat contre quelque chose en elle-même. Son corps se crispe, ses bras tremblent, elle gémit puis, soudain, le silence. Ses poings se desserrent, ses paupières frémissent.
Nora ouvre lentement les yeux. Son hijab est trempé. Ses sourcils se froncent. Dès qu’elle comprend ce qui s’est passé, ses yeux s’emplissent de larmes. Elles roulent sur ses joues sans fin. Une autre crise.
Le jeune homme s’approche, inquiet.
— Est-ce que ça va ?
— Je suis désolée... je suis désolée... murmure-t-elle en pleurant.
D’un geste brusque, elle se lève et court hors de la pièce. Fuir. Elle veut juste fuir. Le jeune homme se lance à sa poursuite. Elle court de toutes ses forces, les larmes brouillant sa vue. Il finit par lui attraper la main, l'obligeant à s'arrêter.
Elle tourne la tête vers lui, le souffle court, et lui lance un regard bouleversant. Honte. Tristesse. Elle sait qu’il a vu son corps vulnérable alors qu’elle n’était plus elle-même. Elle baisse les yeux.
Il la fixe en silence, son regard ancré dans le sien. Calme, profond, presque douloureux. Il refuse de la laisser partir comme ça.
Elle essuie ses larmes d’un revers de manche, tente un petit sourire triste.
— Où comptez-vous aller dans cet état ? demande-t-il doucement.
Elle tente de le rassurer, affirme que tout va bien. Mais il insiste, propose de la raccompagner chez elle. Elle hésite. Refuse une première fois. Puis, voyant qu’il ne lâchera pas, finit par acquiescer d’un signe de tête. Un sourire naît sur les lèvres du jeune homme.
Ils marchent côte à côte sur les pavés blancs jusqu’à sa voiture. Il lui ouvre la portière, elle grimpe à l’intérieur sans un mot. Sur la route, il rompt le silence.
— C’est la première fois que ça t’arrive ?
Elle ne répond pas. Elle n’en parle jamais. Son visage est pâle, presque translucide, et elle regarde droit devant elle. Mais elle sait que Lyés ne lâchera pas l’affaire si facilement. Et ce silence l’angoisse.
Ce qu’elle craint le plus, à cet instant, ce n’est ni la pluie qui menace dehors, ni la nuit qui tombe : c’est une nouvelle crise. Ici, dans cette voiture. Et elle veut juste rentrer chez elle.
— S’il vous plaît... conduisez plus vite, murmure-t-elle.
Il accélère légèrement, tout en la surveillant du coin de l’œil. Le vent s’engouffre entre les branches dehors, secoue les feuillages. Nora essaie de réciter des versets pour se protéger. Mais tout s’est effacé de sa mémoire. Tout. Elle le sait : ce n’est pas normal. C’est lui, Lyés, qui la vide, qui tente de s’implanter plus profondément en elle.
Les djinns... Ces créatures puissantes que les humains ne peuvent combattre seuls.
Le jeune homme jette encore un regard inquiet vers elle.
— Tu es sûre que ça va ?
Elle ne répond toujours pas. Mais lui donne quand même les indications pour la route. Il suit ses indications, silencieux. Après quelques minutes, il s’arrête enfin.
Elle descend, lentement. Marche droit devant elle, vers la falaise. Il ne comprend pas. Mais au lieu d’aller plus loin, elle s’arrête, se retourne, les mains jointes devant elle.
Il baisse sa vitre rapidement, curieux. Elle baisse les yeux, puis relève la tête.
— Quel est votre nom ? demande-t-elle d’une voix presque éteinte.
— Nacim. Je m’appelle Nacim, répond-il sans hésiter.
Elle répète ce nom en silence. Nacim. Elle l’ancre dans sa mémoire, le laisse résonner dans son cœur. Puis elle le regarde à nouveau, un éclat lumineux dans ses yeux. Un éclat de gratitude, peut-être même d’espoir.
La jeune fille sort en courant et bouscule la mère du jeune homme. Nacim apparaît également, une serviette nouée autour de la taille.— Que se passe-t-il ici ? demande la grande Zeineb.— Maman, je dis plusieurs fois à Isma...— C'est entendu, je vais le faire, dit-elle en m'interrompant. Allez, ma tante, dit-elle en la tirant par le bras.— De quoi parle-t-il ? demande la vieille dame.— Ce n'est rien, allez viens ma tante.Le jeune homme retourne dans sa chambre, se change et répond à l'appel de son père dans sa chambre.— Moi : As Salam Aleykum, dis-je debout devant la porte.— Aboubakir : Wa Aleykum Salam.Il s'assoit par terre juste à côté du lit de son père et le regarde dans les yeux.— Comment vas-tu, papa ?— Alhamdoulillah. Je vais bien.— Gloire à Dieu, dit le jeune homme.— Je t'ai appelé pour te parler, annonce le vieil homme.— De quoi veux-tu me parler ?— Je veux qu'on parle de ton mariage, dit le vieil Aboubakir.— Ah, dit-il en souriant.— Je veux que tu prennes une
Le jeune Lyés n’est pas prêt à parler. La fatigue l’envahit ; il n’en peut plus et veut simplement partir. Il se tortille, puis sort du corps de la jeune fille. Avant de traverser le mur et de disparaître, il jette un dernier regard à Nacim. Nous supposons que cela signifie une chose : il doit se préparer, car la guerre entre eux vient de commencer.Les djinns sont des créatures qui ne pardonnent jamais. Le jeune homme vient donc de se faire un ennemi redoutable.Il tourne son regard vers la jeune fille. Elle bouge légèrement la tête de droite à gauche, comme si elle voulait se lever, mais la fatigue pèse sur son corps. Elle se demande, dans son esprit confus, ce qui s’est passé. Elle n’a aucun souvenir. Les larmes montent à ses yeux. Elle comprend qu’elle a eu une nouvelle crise, mais quand ? Et comment ?Le jeune homme lui demande si tout va bien. Submergée par l’émotion, Nora se jette sans réfléchir dans les bras de Nacim, le serrant très fort en sanglotant.Nacim ressent une immen
La jeune fille ne sait pas quoi faire. Isma essaie de la forcer à parler. Elle panique encore plus. Mais lorsqu'elle tente enfin de dire un mot, le jeune Nacim intervient et la sauve en plaçant un argument à sa place. Il demande ensuite à Isma de lui rendre son téléphone. Cette dernière est furieuse, mais elle finit par le lui rendre et va s’asseoir à sa place habituelle, juste à côté du jeune homme.Cette jeune fille porte Nacim dans son cœur depuis l'enfance et est prête à tout pour le faire sien. Comme on dit, l’amour rend parfois égoïste et méchant. Elle est prête à tuer pour lui.Nora se sent émue. Elle écarte les lèvres dans un sourire et baisse la tête. Elle apprécie aussi beaucoup le jeune homme, chose qu’elle n’a plus ressentie depuis des années. Elle s’approche de son Oustaz, qui se trouve être le père de ce jeune homme, celui-là même qui fait inconsciemment apparaître un joli sourire sur les petites lèvres de la demoiselle. Elle ouvre son Coran à la page 19. Son Oustaz et e
La fille arrête Khadija, les deux sourient, la relation qu'elles partagent ressemble moins à une consobrine, plus à une sœur. C'est la sœur qu'elle n'a jamais eue. Ils s'aiment sincèrement inconditionnellement malgré le fait que la grand-tante ne supporte pas de les voir ensemble. Les trois prennent la route et partent en discutant entre elles alors que les pensées de la jeune Nora sont ailleurs, elle a l'air perdue. Elle pense encore à ce jeune homme et sourit en retour. Les minutes passent et elles finissent par arriver à destination après avoir accompagné Aïda chez elle et après avoir mangé ensemble. Les filles trouvent la grande Fatima devant la porte d'entrée, elle jette des regards exacerbés à la pauvre Nora. Celle-ci sait qu'elle va encore la fustiger pour avoir fait quelque chose. La demoiselle reste à l'écart pour se protéger des coups douloureux de sa tante malgré qu'elle y soit habituée. La grand-tante leur demande où elles étaient allés, elle n'oublie pas de réprimander No
La fille scrute Khadija avec un soupir alors qu'elle croise également les bras. Le grand-oncle arrive aussitôt dans la cuisine accompagnée de sa tante. La jeune fille est inquiète et ne sait plus quoi faire jusqu'à présent elle a tout fait dans cette maison et ça ne changera rien la petite cousine va juste créer un scandale en appelant son père. Le vieil homme enlève le balai des mains de la jeune femme et lui ordonne de se recoucher, mais sa tante s'y oppose. La fille essaie de dire un mot cependant, le reste de sa phrase meurt dans sa gorge alors que son oncle la regarde en montrant sa chambre. Elle regarde sa tante sachant qu'elle ne pense pas qu'elle devrait aller au lit, bien qu'elle n'aime pas ça, elle ne dit pas un mot de plus devant son mari. Mohammed et Khadija l'escortent jusqu'à sa chambre et l'aident à s'allonger dans son lit dans sa chambre sombre et très chaude. La jeune Khadija s'empresse d'écarter les rideaux et laisse entrer la lumière et le vent frais. Le vieil homme
Elle esquisse un petit sourire. Un sourire timide, presque furtif, qui fait apparaître deux jolies fossettes sur ses joues. Puis, sans un mot, elle se retourne et commence à escalader lentement la falaise. Lui, il reste figé, le regard rivé sur elle, comme hypnotisé.Son téléphone vibre dans sa poche. Il sursaute, décroche rapidement.— Allô ?— T'es où ? lui demande une voix familière.— J’ai raccompagné une fille chez elle, répond-il, un peu gêné.Au bout du fil, l’autre éclate de rire. Il n’en revient pas. C’est bien la première fois qu’il entend ça de sa part.— Je te jure, ajoute le jeune homme, c’est la première fois que je raccompagne une fille... et que je ne rentre pas chez moi ensuite.Mais il n’écoute plus vraiment. Ses yeux sont toujours rivés sur elle, sur la silhouette de la jeune fille qui atteint enfin le sommet. Elle pose sa main sur le grand portail noir, pousse, entre. L’appel se termine dans un éclat de rire.Derrière le portail, l’atmosphère change. La jeune fille