Elle esquisse un petit sourire. Un sourire timide, presque furtif, qui fait apparaître deux jolies fossettes sur ses joues. Puis, sans un mot, elle se retourne et commence à escalader lentement la falaise. Lui, il reste figé, le regard rivé sur elle, comme hypnotisé.
Son téléphone vibre dans sa poche. Il sursaute, décroche rapidement.
— Allô ?
— T'es où ? lui demande une voix familière.
— J’ai raccompagné une fille chez elle, répond-il, un peu gêné.
Au bout du fil, l’autre éclate de rire. Il n’en revient pas. C’est bien la première fois qu’il entend ça de sa part.
— Je te jure, ajoute le jeune homme, c’est la première fois que je raccompagne une fille... et que je ne rentre pas chez moi ensuite.
Mais il n’écoute plus vraiment. Ses yeux sont toujours rivés sur elle, sur la silhouette de la jeune fille qui atteint enfin le sommet. Elle pose sa main sur le grand portail noir, pousse, entre. L’appel se termine dans un éclat de rire.
Derrière le portail, l’atmosphère change. La jeune fille sent son cœur se serrer violemment. Un frisson traverse son dos. Il est là. Lyés.
Il se dresse dans la cour, sombre, menaçant. Son regard brûle de jalousie et de haine. Il a vu. Il a tout vu. Il a vu comment elle regardait ce garçon. Ce regard-là... jamais elle ne l’a eu pour lui. Jamais. Et ça le rend fou.
Elle joint ses mains, supplie :
— S’il te plaît... laisse-moi tranquille...
Mais plus elle parle, plus il s’approche. Sa colère bouillonne. Il est prêt à tout. À tuer, s’il le faut. Pour l’avoir. Pour la posséder encore.
— Tu m’as été donnée, murmure-t-il. Tu m’appartiens.
Ses mots claquent dans l’air, tranchants comme une lame. Elle ignore toujours qui a pu faire ça. Qui a osé l’offrir à ce djinn. Qui l’a condamnée ainsi ? Mais ce n’est pas ce qui l’importe en cet instant. Ce qu’elle veut, c’est survivre. S’échapper. Ne pas redevenir sa prisonnière.
Elle tente encore de le raisonner. Mais il n’écoute rien. Quand Lyés est en colère, plus rien ne l’arrête.
— Encore toi ?
La voix claque derrière elle. Elle se retourne. Nacim. Il est revenu. Il l’a suivie ?
La fureur de Lyés explose. Ses yeux deviennent noirs, perçants. Il n’a qu’une envie : tuer ce garçon. Mais étrangement, il n’y arrive pas. Quelque chose l’en empêche. Et c’est insupportable.
Ils se fixent. Deux regards qui s’entrechoquent. Deux âmes qui se jaugent.
Et une pensée tourmente Lyés : comment est-ce possible que Nacim puisse le voir ?
— S’il te plaît Nacim, murmure-t-elle, pars. Laisse-moi... Va-t’en...
— Non, réplique Nacim. Je ne peux pas te laisser comme ça.
Ces mots, simples, la touchent en plein cœur. Personne jusqu’ici n’a réussi à la libérer de Lyés. Personne. Ils ont tout essayé. Même lui raser la tête, croyant pouvoir rompre le lien. Mais rien n’a marché. Lyés revient toujours. Inlassablement. Obsédé.
Le vieil Mohammed sort de la maison. Il aperçoit la scène et fronce les sourcils. À qui parlent-ils ? Il ne comprend pas. Il appelle sa nièce. Elle tourne la tête vers lui, tout comme Nacim. Et Lyés en profite. Une seconde d’inattention lui suffit.
Il se faufile. Sa forme sombre se désintègre dans une brume de poussière. Il glisse jusqu’aux pieds nus de la jeune fille, remonte lentement le long de ses jambes, s’infiltre dans ses veines... jusqu’à atteindre son cœur.
Elle vacille. Nacim se jette en avant pour la rattraper, mais trop tard. Elle s’effondre. Sa tête heurte le carrelage avec violence. Un mince filet de sang s’échappe de son front.
Le vieil homme accourt, terrifié.
— Allah ! Ma nièce... Allah, aide-nous...
Elle ne répond pas. Elle est là, mais ce n’est plus elle. Nacim la secoue doucement. Elle reste figée. Vide. Possédée.
Ils la soulèvent tous les deux, peinent à la porter jusqu’à sa chambre. Elle résiste, lutte de toutes ses forces. Puis, sans prévenir, elle mord violemment la main du vieil homme. Il retient un cri de douleur.
Ils finissent par l’installer sur son lit. Mais elle tente aussitôt d’en sortir, comme si quelque chose en elle refusait d’être contenue.
— Vite, Khadija ! crie Mohammed. Va chercher le fouet !
La jeune femme s’exécute, terrorisée. Ils n’ont plus que ce moyen. Le frapper. Pas pour la blesser, non. Pour frapper le djinn. Car elle, dans cet état, ne ressent rien. Mais lui, lui ressent chaque coup.
Mais Nacim s’interpose.
— Non ! Ne la frappez pas... laissez-moi faire, je vous en prie.
Il s’assoit au bord du lit. Ses yeux se ferment, son souffle se calme. Puis il commence à réciter.
Sa voix tremble d’émotion. C’est un croyant sincère, un cœur pur, habité d’une foi profonde.
> « Dis : Il m'a été révélé qu'un groupe de djinns a prêté l'oreille, puis a dit : "Nous avons entendu une Lecture merveilleuse, qui guide vers la droiture. Nous y avons cru, et nous n'associerons jamais personne à notre Seigneur. Vraiment, notre Seigneur, que Sa grandeur soit exaltée, ne s’est donné ni compagnon, ni enfant." »
Lyés gronde. Sa voix siffle, invisible :
— Arrête ! Sinon je t’emmène avec moi ! Je te perds dans la brousse ! Là où aucun humain ne mettra jamais les pieds !
Mais Nacim ne fléchit pas. Quelque chose, dans son cœur, l’attache à elle. Quelque chose de plus fort que la peur.
> « Parmi les hommes, certains cherchaient refuge auprès des djinns, mais cela ne faisait qu’accroître leur détresse... »
Et la voix du jeune homme continue de monter, calme, lumineuse. Un bras de lumière contre un brasier d’ombres.
Il entame un autre verset, mais soudain, un cri transperce la pièce : Fatima porte brusquement la main à sa poitrine. Elle hurle de douleur, vacille, les traits crispés, haletante. La vieille femme tente de résister, mais ses jambes tremblent. Khadija bondit vers elle, paniquée.
— Maman ? Maman, qu’est-ce qui t’arrive ?
Tous les regards se tournent vers elle, mais Fatima quitte la pièce, le cœur oppressé, le souffle court. Sa fille la suit de près, la peur au ventre.
Dans la chambre, le jeune homme continue à lire à l’oreille de Nora, tandis que Mohammed la tient fermement. La tension monte… puis un cri déchirant s’échappe de la gorge de la jeune fille. Elle ouvre les poings avec violence, puis, d’un coup, se fige. Calme. Vide. Le silence devient assourdissant.
— Nora ?... l’appelle doucement le vieil homme.
Pas de réponse.
— Laissez-la quelques minutes, propose Nacim. Elle revient doucement à elle.
Et en effet… peu à peu, Nora remue la tête, puis les mains, les orteils. Son corps reprend vie. Lentement, elle entrouvre les paupières. Un souffle court s’échappe de ses lèvres. Elle se redresse, rabat vivement son hijab sur son visage.
— Comment tu te sens ? demande Nacim avec douceur.
— DEHORS ! hurle-t-elle en sanglotant.
Elle les repousse tous d’un geste désespéré et claque la porte derrière eux. La pièce retombe dans le silence. Nora s'effondre en larmes, vidée, brisée. Sa tête tambourine de douleur. Dehors, dans le salon, Nacim reste assis, inquiet, les yeux rivés à la porte. Il espère un signe. N’importe lequel.
Mais rien.
Après quelques minutes, il se lève. Mohammed le raccompagne jusqu’à la porte.
— Merci pour ce que tu as fait… sincèrement.
Nacim hoche la tête, inquiet.
Dans la voiture, il s’affale contre le dossier, le regard perdu. Est-ce qu’elle va vraiment bien ?
Pendant ce temps, Nora reste enfermée dans sa chambre. Elle n’ouvre à personne. Le jour décline lentement, laissant place à une soirée calme et pesante. Les couleurs du ciel s’assombrissent, les étoiles apparaissent, timides, et la lune éclaire la ville de sa lumière laiteuse.
Dans l’ombre de sa chambre, Nora pleure encore.
Elle finit par se traîner jusqu’à la salle de bain. Ses vêtements trempés de sueur collent à sa peau. Elle les enlève un à un, les jette dans le panier, puis ouvre le robinet. L’eau froide se déverse sur elle. Ses larmes se mêlent à l’eau. Le silence, enfin, l’enveloppe.
Plus tard, elle soigne une petite blessure au bras devant sa coiffeuse. Elle passe une robe de nuit, puis s’allonge dans son lit en désordre, trop épuisée pour le refaire correctement. Elle ferme les yeux. Le sommeil l’emporte.
Dans une autre pièce, Mohammed est allongé dans son lit rond, d’un blanc éclatant. Un grand placard de la même couleur occupe un mur entier. Le canapé moelleux trône à côté de la fenêtre entrouverte, les rideaux flottant doucement dans la brise nocturne.
Fatima sort de la salle de bain et vient se coucher à côté de lui.
— Cette maladie commence à vraiment te faire souffrir, murmure-t-il.
— Je vais aller mieux très vite, surtout… ne dis rien à notre fille.
Il soupire. Elle ferme les yeux. Le silence les enveloppe.
Le temps passe. La nuit s’efface lentement. Le soleil se lève, doré, éclatant.
Dans sa chambre, Nora s’étire longuement. Elle baille. La lumière filtre à travers la fenêtre qu’elle a oubliée de fermer. En repensant à la veille, son visage se voile de tristesse.
Soudain, la porte s’ouvre avec fracas.
— Nora ! Ce n’est pas encore l’heure de traîner au lit ! Tu crois que tu vas rester enfermée ici pour toujours ?! Le travail t’attend !
C’est Fatima. Féroce. Intransigeante.
— J’arrive, ma tante… répond Nora dans un souffle résigné.
Elle se lève lentement, passe à la salle de bain, se brosse les dents, fait ses ablutions. Elle prie. Une routine pour tenir debout.
Mais au moment de replacer son oreiller, quelque chose l’interpelle : des billets. Neufs. De l’argent.
Elle reste figée.
— C’est à moi, lance une voix derrière elle. C’est moi qui ai mis ça là.
Lyés. Il est dans l’encadrement de la porte, les yeux à moitié baissés. Il garde ses distances pendant qu’elle termine ses invocations.
Quelques minutes plus tard, Nora entre dans le salon. Elle salue sa tante et sa cousine. Puis elle file vers la cuisine, traverse le couloir, attrape le balai derrière la porte.
— Ma sœur, tu fais quoi ? s’étonne Khadija.
Nora lui sourit doucement et tente de cacher le balai derrière son dos.
Mais Khadija penche la tête, voit le manche dépasser.
— Lulu ! Va m’attendre dans la chambre, lui dit Nora en détournant les yeux.
— Papa ! Viens voir ! Ma sœur travaille ! hurle Khadija en courant dans le salon.
— QUOI ? rugit le vieil homme.
La jeune fille sort en courant et bouscule la mère du jeune homme. Nacim apparaît également, une serviette nouée autour de la taille.— Que se passe-t-il ici ? demande la grande Zeineb.— Maman, je dis plusieurs fois à Isma...— C'est entendu, je vais le faire, dit-elle en m'interrompant. Allez, ma tante, dit-elle en la tirant par le bras.— De quoi parle-t-il ? demande la vieille dame.— Ce n'est rien, allez viens ma tante.Le jeune homme retourne dans sa chambre, se change et répond à l'appel de son père dans sa chambre.— Moi : As Salam Aleykum, dis-je debout devant la porte.— Aboubakir : Wa Aleykum Salam.Il s'assoit par terre juste à côté du lit de son père et le regarde dans les yeux.— Comment vas-tu, papa ?— Alhamdoulillah. Je vais bien.— Gloire à Dieu, dit le jeune homme.— Je t'ai appelé pour te parler, annonce le vieil homme.— De quoi veux-tu me parler ?— Je veux qu'on parle de ton mariage, dit le vieil Aboubakir.— Ah, dit-il en souriant.— Je veux que tu prennes une
Le jeune Lyés n’est pas prêt à parler. La fatigue l’envahit ; il n’en peut plus et veut simplement partir. Il se tortille, puis sort du corps de la jeune fille. Avant de traverser le mur et de disparaître, il jette un dernier regard à Nacim. Nous supposons que cela signifie une chose : il doit se préparer, car la guerre entre eux vient de commencer.Les djinns sont des créatures qui ne pardonnent jamais. Le jeune homme vient donc de se faire un ennemi redoutable.Il tourne son regard vers la jeune fille. Elle bouge légèrement la tête de droite à gauche, comme si elle voulait se lever, mais la fatigue pèse sur son corps. Elle se demande, dans son esprit confus, ce qui s’est passé. Elle n’a aucun souvenir. Les larmes montent à ses yeux. Elle comprend qu’elle a eu une nouvelle crise, mais quand ? Et comment ?Le jeune homme lui demande si tout va bien. Submergée par l’émotion, Nora se jette sans réfléchir dans les bras de Nacim, le serrant très fort en sanglotant.Nacim ressent une immen
La jeune fille ne sait pas quoi faire. Isma essaie de la forcer à parler. Elle panique encore plus. Mais lorsqu'elle tente enfin de dire un mot, le jeune Nacim intervient et la sauve en plaçant un argument à sa place. Il demande ensuite à Isma de lui rendre son téléphone. Cette dernière est furieuse, mais elle finit par le lui rendre et va s’asseoir à sa place habituelle, juste à côté du jeune homme.Cette jeune fille porte Nacim dans son cœur depuis l'enfance et est prête à tout pour le faire sien. Comme on dit, l’amour rend parfois égoïste et méchant. Elle est prête à tuer pour lui.Nora se sent émue. Elle écarte les lèvres dans un sourire et baisse la tête. Elle apprécie aussi beaucoup le jeune homme, chose qu’elle n’a plus ressentie depuis des années. Elle s’approche de son Oustaz, qui se trouve être le père de ce jeune homme, celui-là même qui fait inconsciemment apparaître un joli sourire sur les petites lèvres de la demoiselle. Elle ouvre son Coran à la page 19. Son Oustaz et e
La fille arrête Khadija, les deux sourient, la relation qu'elles partagent ressemble moins à une consobrine, plus à une sœur. C'est la sœur qu'elle n'a jamais eue. Ils s'aiment sincèrement inconditionnellement malgré le fait que la grand-tante ne supporte pas de les voir ensemble. Les trois prennent la route et partent en discutant entre elles alors que les pensées de la jeune Nora sont ailleurs, elle a l'air perdue. Elle pense encore à ce jeune homme et sourit en retour. Les minutes passent et elles finissent par arriver à destination après avoir accompagné Aïda chez elle et après avoir mangé ensemble. Les filles trouvent la grande Fatima devant la porte d'entrée, elle jette des regards exacerbés à la pauvre Nora. Celle-ci sait qu'elle va encore la fustiger pour avoir fait quelque chose. La demoiselle reste à l'écart pour se protéger des coups douloureux de sa tante malgré qu'elle y soit habituée. La grand-tante leur demande où elles étaient allés, elle n'oublie pas de réprimander No
La fille scrute Khadija avec un soupir alors qu'elle croise également les bras. Le grand-oncle arrive aussitôt dans la cuisine accompagnée de sa tante. La jeune fille est inquiète et ne sait plus quoi faire jusqu'à présent elle a tout fait dans cette maison et ça ne changera rien la petite cousine va juste créer un scandale en appelant son père. Le vieil homme enlève le balai des mains de la jeune femme et lui ordonne de se recoucher, mais sa tante s'y oppose. La fille essaie de dire un mot cependant, le reste de sa phrase meurt dans sa gorge alors que son oncle la regarde en montrant sa chambre. Elle regarde sa tante sachant qu'elle ne pense pas qu'elle devrait aller au lit, bien qu'elle n'aime pas ça, elle ne dit pas un mot de plus devant son mari. Mohammed et Khadija l'escortent jusqu'à sa chambre et l'aident à s'allonger dans son lit dans sa chambre sombre et très chaude. La jeune Khadija s'empresse d'écarter les rideaux et laisse entrer la lumière et le vent frais. Le vieil homme
Elle esquisse un petit sourire. Un sourire timide, presque furtif, qui fait apparaître deux jolies fossettes sur ses joues. Puis, sans un mot, elle se retourne et commence à escalader lentement la falaise. Lui, il reste figé, le regard rivé sur elle, comme hypnotisé.Son téléphone vibre dans sa poche. Il sursaute, décroche rapidement.— Allô ?— T'es où ? lui demande une voix familière.— J’ai raccompagné une fille chez elle, répond-il, un peu gêné.Au bout du fil, l’autre éclate de rire. Il n’en revient pas. C’est bien la première fois qu’il entend ça de sa part.— Je te jure, ajoute le jeune homme, c’est la première fois que je raccompagne une fille... et que je ne rentre pas chez moi ensuite.Mais il n’écoute plus vraiment. Ses yeux sont toujours rivés sur elle, sur la silhouette de la jeune fille qui atteint enfin le sommet. Elle pose sa main sur le grand portail noir, pousse, entre. L’appel se termine dans un éclat de rire.Derrière le portail, l’atmosphère change. La jeune fille