Chapitre 3

Sophie a commandé un Uber. En attendant, elle a commencé à chercher son billet d’avion, décidée à filer directement vers l’aéroport.

Mais, à ce moment-là, le médecin l’a appelée.

« Madame, quand comptez-vous partir à l’étranger pour votre traitement conservateur ? »

Sophie se tenait sous un lampadaire jaune. Sa silhouette fine s’étirait longuement sur le sol. Elle a baissé les yeux vers son ombre. « Maintenant. Je vais justement à l’aéroport. »

Le ton du médecin est devenu pressant, « Ne faites pas ça ! Vous souffrez d’une tumeur au cerveau, la pression intracrânienne n’est pas la même que chez une personne normale. Prendre l’avion pourrait provoquer de graves incidents. Il faut absolument faire un test de tension avant ! »

Sophie est restée figée.

Comment cela pouvait-il arriver maintenant…

Elle s’était préparée à disparaître cette nuit, et voilà qu’elle ne pouvait même pas partir.

Le médecin a poussé un soupir de soulagement, comme s’il se félicitait d’avoir appelé à temps. « Venez demain à l’hôpital pour un examen. Je vais évaluer si votre état vous permet de voyager en avion. »

L’appel s’est terminé, et sa voiture est arrivée.

Le chauffeur a baissé la vitre. « Madame, on y va ? »

Sophie a hésité une seconde. « Oui, mais conduisez-moi à la Maison Lune Bleue. »

Elle a expressément évité les hôtels appartenant au Groupe Lefèvre. Une fois installée, elle a pris un bain chaud et a fermé les yeux pour réfléchir.

Puisqu’elle ne pouvait pas prendre l’avion, elle allait réserver une croisière.

Le trajet serait plus long, mais elle pourrait profiter du paysage. Passer une semaine en mer, ce n’était pas si mal.

Elle y pensait encore quand son nez s’est mis à la démanger. Luttant contre la fatigue, elle a baissé la tête. Des taches rouges se sont répandues dans l’eau du bain.

Sophie a essuyé rapidement le sang, a pincé son nez pour arrêter le saignement. Puis, au bout d’un moment, elle est sortie se coucher.

Son téléphone est resté silencieux.

Peut-être que Maxime, en lisant sa lettre, s’était senti soulagé de la voir assez raisonnable pour céder la place à Aurélie.

Allongée sur le lit, Sophie s’est endormie sans s’en rendre compte.

Quand elle s’est réveillée, elle s’est préparée pour aller à l’hôpital. C’est alors que son téléphone a sonné. Sur l’écran s’affichaient deux mots : Mme Duval.

Elle a eu un bref moment d’hésitation. C’était l’institutrice principale de Lucas.

Elle a décroché, un peu inquiète. « Allô, Mme Duval ? »

« Mme Lefèvre, pouvez-vous venir à l’école tout de suite, s’il vous plaît ? Lucas s’est battu avec un camarade de classe. L’autre enfant a une égratignure au front ! Les parents sont ici, ils demandent des explications. »

Mme Duval a parlé vite, d’un ton nerveux.

Sous l’élan maternel, le cœur de Sophie s’est contracté. « Et Lucas ? Il est blessé ? »

« Non, il n’a rien, mais il refuse de s’excuser. Les parents sont furieux. »

Sophie a réfléchi un instant.

Aujourd’hui, c’était un jour de travail. Maxime devait être débordé.

D’habitude, c’était toujours elle qui gérait les affaires de l’école. Puisqu’elle allait bientôt partir, elle pouvait bien, une dernière fois, faire ce qu’une mère devait faire.

Elle imaginait déjà son fils, seul face aux reproches des adultes, et cela lui serrait le cœur. Elle a aussitôt pris la direction de l’école. Dès qu’elle est descendue de la voiture, elle s’est dirigée droit vers le bureau de Mme Duval.

En pensant à Lucas, à son air perdu, elle a accéléré le pas sans s’en rendre compte.

Mais avant d’entrer, elle a entendu une voix claire, douce comme une source d’eau fraîche, « Lucas n’a pas cherché la bagarre. Il était contrarié parce que la maîtresse l’a grondé pour un devoir non rendu, et c’est à ce moment-là que votre fils n’a cessé de se moquer de lui, car il n’a pas eu sa petite fleur du jour. C’est pour ça qu’ils se sont disputés. On ne peut pas dire que ce soit entièrement la faute de Lucas, n’est-ce pas, M. Lambert ? »

En entendant cela, le cœur de Sophie a tremblé.

Elle a avancé et, en voyant la scène, sa respiration s’est accélérée.

C’était Aurélie Garnier.

Elle portait une longue robe bustier pâle, ses cheveux étaient attachés à moitié avec un ruban blanc. Même de dos, elle paraissait d’une élégance et d’une douceur irréelles.

À côté d’elle, Maxime, en costume noir, large d’épaules, mince de taille, se tenait près d’elle. Et Lucas, blotti contre la main d’Aurélie, semblait si proche d’elle, et si familier avec sa présence.

Tous trois formaient l’image parfaite d’une famille heureuse.

Les parents du petit Adrien, apaisés par les mots d’Aurélie, avaient cessé de se plaindre.

Aurélie s’est penchée avec un sourire et a caressé la tête de Lucas. « Lucas, excuse-toi auprès de ton camarade Adrien, d’accord ? »

Lucas a fait la moue, puis il est allé s’excuser sagement.

Les deux familles se sont réconciliées, tout le monde a retrouvé le sourire.

Autour d’eux, quelques professeurs ont poussé un soupir de soulagement et ont regardé Aurélie avec admiration. « Mme Lefèvre, vous avez vraiment un don pour l’éducation. Il refusait de s’excuser tout à l’heure, et dès que vous êtes arrivée, tout s’est arrangé. »

Maxime a tressailli, fronçant légèrement les sourcils. « Elle n’est pas… »

Mais M. Lambert a ri et l’a interrompu, « M. Lefèvre, quelle chance vous avez d’avoir une épouse pareille ! Pas comme la mienne, un vrai dragon à la maison ! Vous formez un si beau couple, je vous souhaite beaucoup de bonheur. »

Un éclat d’irritation a traversé les yeux de Maxime.

« Ce n’est pas la mère de mon fils », a-t-il répondu fermement.

Le visage d’Aurélie s’est figé. Elle a serré Lucas dans ses bras. Lucas a alors crié : « Même si Aurélie n’est pas ma maman, elle est bien meilleure qu’elle ! »

L’atmosphère s’est immédiatement tendue.

Le regard de Maxime est devenu sombre. Il a fixé son fils d’un air sévère.

Sophie, debout à la porte, a tout vu.

L’oppression dans sa poitrine, le vertige familier, l’ont envahie de nouveau. Elle s’est agrippée au cadre de la porte, incapable de détourner les yeux.

Elle avait l’impression d’être une fleur malade, privée de lumière et d’eau, prête à se faner. Tous ceux qu’elle croyait être sa famille s’éloignaient d’elle, attirés par l’éclat de la rose qu’était Aurélie.

À ce moment-là, Lucas s’est tourné et l’a aperçue.

« Maman ! »

Il a crié et s’est précipité vers elle, quittant Aurélie.

Maxime l’a vue aussi, et sans hésiter, il s’est avancé.

La scène a figé Sophie.

Mais une seconde plus tard, Lucas a agrippé sa robe, le visage plein de colère, « C’est de ta faute ! Hier soir, pourquoi tu m’as pas forcé à faire mes devoirs ? Si tu l’avais fait, j’aurais eu ma petite fleur ! Et Adrien ne se serait pas moqué de moi ! C’est de ta faute ! »

Il a tiré sur sa robe, puis l’a poussée.

La force de cet enfant vif l’a déséquilibrée. Elle, déjà faible, a vacillé, prête à tomber.

Quelqu’un l’a rattrapée à temps.

Sophie s’est retrouvée dans une étreinte chaude.

En se retournant, elle a croisé le regard froid de Maxime, qui fixait Lucas, « Excuse-toi auprès de ta mère ! Qui t’a permis de lui parler comme ça ? Tu es assez grand pour faire tes devoirs sans qu’on te tienne la main ! »

À la maison, Maxime avait toujours été strict. Lucas, terrifié, a reculé, les lèvres tremblantes, les yeux rouges, sans oser parler ni s’excuser.

Sophie s’est redressée et a repoussé doucement Maxime.

Il a aussitôt remarqué que quelque chose n’allait pas.

« Tu vas bien ? »

Elle a hoché la tête.

Maxime a serré sa main pour la rassurer. Puis, d’une voix autoritaire, il a ordonné, « Lucas, excuse-toi. »

L’enfant a frissonné.

Aurélie, restée un peu en retrait, a observé la scène. Son regard a glissé sur leurs mains jointes avant de se détourner.

Elle s’est avancée avec un sourire doux, « Max, ne crie pas ainsi. Le petit a été grondé et s’est battu, il est déjà contrarié. C’est normal qu’il soit un peu nerveux. Je suis sûre que Madame Lefèvre ne lui en voudra pas, n’est-ce pas ? »

Sophie a levé les yeux et a croisé ceux d’Aurélie.

De si près, elle a senti sur elle un parfum d’agrume légère… la même qu’elle avait sentie sur Maxime la nuit précédente.

Son cœur a tremblé. Elle a retiré sa main brusquement.

Aurélie a continué à afficher son plus beau sourire ; sans se formaliser, elle a demandé, « Max, c’est la première fois que je rencontre Mme Lefèvre. Tu ne nous présentes pas ? »

Maxime s’est figé.