Entre mensonges et silences, la fuite de Sophie

Après avoir été appris que j'avais un cancer du cerveau, j'ai découvert deux choses.

La première, c'était que mon acte de mariage avec Maxime était faux. La seconde, c'était que mon fils biologique, celui que j'avais élevé pendant six ans, était au courant de cette affaire, et souhaitait même qu'une autre femme devienne sa mère.

À cet instant, j'ai compris que ces sept années passées à abandonner ma propre famille, à vivre en isolement et à tout donner n'avaient été qu'une immense farce.

Alors, j'ai décidé de disparaître complètement de la vie de ces père et fils ingrats.

D'abord, j'ai annulé le dîner aux chandelles que j'avais réservé un mois plus tôt pour notre septième anniversaire, puis j'ai quitté le groupe WhatsApp de la maternelle de mon fils ainsi qu'une dizaine de groupes de santé sur Facebook que j'avais rejoints pour eux.

Ensuite, j'ai contacté un médecin pour passer un test de tension et j'ai obtenu des médicaments spéciaux, juste pour m'assurer que mon état ne m'empêcherait pas de traverser l'océan.

Enfin, j'ai appelé mon frère aîné, que je n'avais pas vu depuis sept ans ; je lui ai confié qu'épouser un homme à l'autre bout du monde m'avait semblé une épreuve insurmontable, que j'avais fait une erreur et que je voulais rentrer à la maison.

…

« Madame, votre tumeur oppresse déjà les nerfs. Il faut décider rapidement. »

Sophie Delacroix marchait dans le couloir de l'hôpital, rempli d'une odeur de désinfectant. Les mots du médecin résonnaient encore dans ses oreilles.

Elle tremblait, serrant le résultat de l'examen qu'elle avait froissé entre ses doigts.

Depuis quelque temps, elle avait souvent mal à la tête, vomissait, et saignait parfois du nez. Elle pensait que ce n'était qu'un peu de fatigue, du surmenage. Mais les analyses médicales avaient révélé un verdict sans appel.

Le médecin expliquait qu'il fallait choisir un traitement.

Soit l'opération, avec cinquante pour cent de chances de réussite.

Soit un traitement conservateur, avec médicaments et chimiothérapie ; elle allait perdre ses cheveux, mais elle allait vivre quelques années de plus.

Sophie avait peur. Depuis l'enfance, elle craignait les aiguilles. Se retrouver sur une table d'opération, face à la mort, la terrifiait.

Mais en refusant l'opération, elle devait affronter une tumeur qui s'agrandissait, une souffrance insoutenable et une issue, très probablement, tragique.

Elle a fermé les yeux et a pensé à son mari, Maxime Lefèvre.

Ils étaient mariés depuis sept ans. Elle l'aimait, voulait encore passer des années auprès de lui.

Et surtout, ils avaient un fils, Lucas, qui était beau et vif depuis sa naissance.

En pensant à ces deux êtres qui donnaient sens à sa vie, Sophie a trouvé du courage.

Elle s'est levée, a ouvert la porte du bureau du médecin.

« Docteur, j'ai décidé. Je veux être opérée. »

Le médecin, l'air sérieux, a demandé : « Vous savez qu'il n'y a que cinquante pour cent de chances. Vous en êtes sûre, Madame ? »

Elle a souri doucement, « Oui, j'en suis sûre. Mon mari et mon fils seront là. Avec eux, je n'ai peur de rien. »

Le médecin a acquiescé. « Très bien. Nous programmons l'opération dans un mois. »

Sophie est sortie de l'hôpital, impatiente de rentrer pour recevoir le soutien de sa famille.

Mais la domestique lui a dit que Maxime était encore au bureau.

Alors elle s'est rendue directement au siège du Groupe Lefèvre.

Devant le bureau du président, elle a entendu la voix d'un homme, « Max, si Sophie apprend que t'as embauché Aurélie comme secrétaire, elle va exploser. »

Sophie s'est figée un instant et a vu distinctement Julien Caron, l'ami de Maxime, à travers la porte entrouverte.

Aurélie Garnier. Ce nom lui était terriblement familier.

C'était la femme que son mari avait gardée dans un coin de son cœur depuis dix ans.

Assis derrière son bureau, Maxime fixait l'écran, chemise noire ouverte au col, manches retroussées, l'air toujours aussi froid et distant.

Il semblait agacé. « Ce sont mes affaires, ne t'en mêle pas. »

Julien a haussé les épaules. « Tu sais, je n'ai traité Sophie comme ta femme que par politesse. Mais qui, autour de toi, ignore encore que ce mariage est une mascarade ? Et votre acte de mariage, c'est même moi qui l'ai falsifié, haha ! »

Sophie a blêmi. Le sol s'est dérobé sous ses pieds.

Elle… avait-elle bien entendu ?

Leur mariage n'était qu'une mascarade ?

Maxime, de profil, n'avait pas remarqué la présence de Sophie.

Poussé par la curiosité, Julien continuait, « Max, pourquoi tu ne dis rien ? Maintenant qu'Aurélie est revenue, tu ne vas pas enfin larguer Sophie ? »

« Dis donc, s'il n'y avait pas eu Sophie pour te coller aux basques, profiter de ton ivresse pour tomber enceinte, jamais tu n'aurais accepté ce mariage de pure forme juste pour ton enfant. Aurélie en a eu le cœur brisé et il lui a fallu tout ce temps pour trouver la force de revenir. Quel pauvre couple, vous deux. »

Sophie retenait son souffle.

La pression dans sa tête montait, elle s'est couverte la bouche pour ne pas vomir.

Lors de cette nuit dont Julien parlait, ils avaient bu des verres au bar, et Julien était également présent.

Julien savait bien qu'elle n'avait pas saoulé Maxime. C'était un concurrent qui avait mis une drogue dans le verre de Maxime, et elle s'était portée volontaire comme antidote, c'est pour ça qu'elle avait suivi Maxime à l'hôtel.

Pourquoi voulaient-ils lui rejeter toute la responsabilité ?

Julien a ricané, « Quand vas-tu enfin donner à Aurélie le statut qu'elle mérite et l'épouser dignement ? Si elle ne s'était pas éloignée à cause de sa maladie du cœur pour ne pas te faire porter ce fardeaux à l'époque, Sophie n'aurait jamais eu la moindre chance. La place de Madame Lefèvre, c'est Aurélie qui aurait dû l'occuper. »

Maxime a levé les yeux, mécontent.

Son regard, froid comme un hiver rigoureux, a lancé un avertissement glacial.

« J'ai eu Lucas avec Sophie… »

Sophie tremblait, incapable de rester debout. Elle s'est précipitée vers les toilettes, ne pouvant plus supporter la scène ni les paroles suivantes.

Elle a vomi sans contrôle, peut-être écœurée par la vérité, peut-être par sa tumeur grandissante.

Une employée, surprise, lui a tendu des mouchoirs.

Elle les a pris, les yeux rouges, et a souri de manière forcée. « Merci. Ne dites pas à Maxime que je suis passée. »

Elle est ressortie du bureau en titubant et a erré dans la rue comme une âme vide, revoyant en boucle sa première rencontre avec Maxime.

Sept ans plus tôt, elle brillait sur la scène internationale comme créatrice de bijoux. Elle tenait d'une main ferme la maison fondée par son frère aîné, Hugo Delacroix, sans imaginer qu'un jour, le nom de Maxime Lefèvre croiserait le sien.

Lors d'un déplacement, sa robe s'était déchirée à la sortie d'un hôtel.

Elle allait se retrouver les jambes nues lorsque Maxime était sorti de sa Maybach et lui avait tendu un costume impeccablement repassé.

« Attachez-le autour de votre taille. »

Ces mots avaient dissipé sa gêne dans cet environnement inconnu.

En levant les yeux, elle avait été troublée par le visage parfait de Maxime.

À partir de ce jour, elle n'avait cessé de penser à lui. Elle avait demandé à Hugo de la mettre en relation, avait cherché tous les prétextes pour collaborer avec Maxime, pour le croiser, pour retenir son attention. Même en sachant qu'il gardait dans son cœur une ancienne passion, une femme disparue sans prévenir, elle n'avait jamais renoncé.

Une nuit d'ivresse avait tout bouleversé. Ils avaient eu une liaison, puis leur Lucas était arrivé, et le mariage avait suivi comme une évidence.

Sophie se souvenait d'avoir demandé, la nuit de noces, pourquoi il l'épousait alors qu'elle ne lui imposait rien.

Maxime, d'ordinaire si froid, l'avait regardée intensément pour la première fois et avait dit lentement, avec gravité : « Je veux te donner, à toi et à notre enfant, un foyer. »

Pour ces mots, Sophie s'était jetée la tête baissée dans ce mariage. Elle s'était consacrée à son mari et à leur fils, avait abandonné sa carrière malgré l'opposition farouche de son frère, et avait choisi de rester en France.

Mais à présent, tout ce pour quoi elle avait tout donné n'existait plus.

Maxime ne l'avait jamais considérée comme sa femme. Pendant sept ans, il avait pensé à une autre et leur union n'avait été qu'une façade !

Le cœur de Sophie saignait.

Elle avait la sensation d'avoir été une risée, du début à la fin.

Alors, elle a pris une décision.

Si l'opération réussissait dans un mois, elle emmènerait Lucas avec elle.

Maxime n'aurait plus à se soucier d'eux, et il pourrait épouser qui bon lui semblerait.

Rien qu'en pensant à son fils, Sophie a retrouvé un peu de force.

Elle est rentrée chez elle et, en montant l'escalier, elle a entendu Lucas parler avec le majordome : « Paul, tu crois que maman serait très triste si elle savait que papa et elle ne sont mariés que pour de faux ? »

Sophie a ouvert grand les yeux.

Le majordome Paul a répondu doucement : « On n'y peut rien, Monsieur n'aime pas vraiment Madame… tu le sais bien. »

Lucas a fait la moue, « En fait, moi non plus je n'aime pas trop maman. J'aime beaucoup Aurélie, elle est si gentille ! À chaque fois que maman m'emmène au bureau, Aurélie me donne plein de choses à manger et à jouer. Maman, elle, dit toujours que je mange trop de sucreries et que je dois étudier. C'est embêtant ! »

Puis il a ajouté, rêveur, « Si seulement Aurélie pouvait épouser papa… »

Sophie a serré les poings. La douleur lui a monté à la tête.

Même l'enfant, qu'elle avait porté et élevé avec tant d'efforts, semblait devenu aussi froid, aussi indifférent que son père.

Elle a revu les scènes de tendresse familiale, les rires, les repas à trois.

Tout cela n'était plus qu'un rêve. Un cauchemar aux couleurs douces.

Elle a pensé à son frère, à son avertissement, à sa voix inquiète lorsqu'il lui avait dit de ne pas s'éloigner, de ne pas faire confiance à cet homme. Si Hugo savait ce que Maxime et Lucas étaient devenus, il viendrait sans doute lui-même régler les comptes.

Sophie a baissé les yeux, les larmes aux cils, et a descendu lentement les marches.

L'espoir qu'elle avait mis en elle pour se battre et survivre à l'opération s'est effondré.

Dans le salon, elle a composé un numéro, disant d'une voix tremblante : « Hugo, je veux divorcer. Tu peux venir me chercher et me ramener à la maison ? »