Home / Romance / Hassan et Lalla Tislin / Chapitre 3 : La Nuit des Échos

Share

Chapitre 3 : La Nuit des Échos

Author: zinerom
last update Last Updated: 2025-11-09 03:58:17

La nuit tomba d’un seul geste, rapide et claire.

Les montagnes autour d’Afella semblaient plus hautes que jamais, comme si elles s’étaient redressées pour mieux entendre.

Dans les ruelles, les lampes à huile brûlaient avec lenteur, étirant leurs flammes en fils fragiles.

Le vent, depuis le coucher du soleil, ne s’était pas encore montré.

Mais on sentait sa promesse : ce silence avant l’appel, ce frisson que connaissent ceux qui ont déjà entendu le monde parler.

Hassan ne dormait pas.

Dans la petite pièce qu’il partageait avec son père, il regardait les ombres danser sur le mur de pisé.

Le vieux dormait profondément, insensible aux murmures qui couraient dans les poutres.

Hassan, lui, sentait la terre bouger sous lui.

Pas un tremblement — un souffle, lent, comme une respiration qui monte depuis très loin.

Il se leva, passa la djellaba sur ses épaules, et sortit.

La lune n’était pas pleine, mais sa lumière suffisait à dessiner les sentiers.

De la maison du cheikh, plus haut, aucune lampe ne brillait.

Seule la silhouette d’un grand figuier marquait la frontière entre leurs mondes.

Au pied du figuier, Lalla Tislin l’attendait déjà.

Ses yeux reflétaient la clarté pâle de la lune.

— Je savais que tu viendrais, dit-elle.

— Et moi, que tu ne dormirais pas.

— Comment pourrais-je dormir, avec ce que le vent nous a dit hier ?

Ils restèrent un instant sans parler.

Au loin, on entendait la rivière rouler des pierres, et le cri d’un hibou.

Puis Tislin reprit :

— Aïcha a dit que le vent demanderait un prix. Et cette nuit… j’ai rêvé d’elle.

— D’Aïcha ?

— Non. De celle qu’elle a nommée. Tislit n’Ouchen.

Elle était dans le puits, mais l’eau ne la noyait pas. C’était elle qui respirait pour la montagne.

Et elle m’a dit : “Quand les échos se lèvent, ne cours pas. Écoute jusqu’au bout.”

Hassan la regarda longuement.

— Tu crois que les rêves parlent vraiment ?

— Ici, oui. Les rêves ne viennent pas du sommeil, ils viennent du vent.

Ils descendirent ensemble jusqu’à la source.

À chaque pas, le silence se faisait plus dense, plus chargé.

Les oliviers frémissaient sans bruit, comme si leurs feuilles retenaient le souffle.

Arrivés au puits, ils s’arrêtèrent.

L’eau brillait d’un éclat sombre, presque métallique.

La double spirale, gravée la veille, s’était reformée — mais plus grande, plus lente, comme si le monde respirait à travers elle.

Tislin toucha le bord. La pierre vibra.

— Il est revenu, dit-elle.

— Ou peut-être qu’il n’était jamais parti.

Soudain, un écho monta du fond du puits — pas un son, pas une voix, mais un retour.

Leurs propres souffles, répétés, déformés, plus lourds, plus anciens.

Chaque mot qu’ils avaient dit la veille revenait, mais chargé d’un autre accent, celui du temps.

Le puits répétait ce qu’ils n’avaient pas compris.

— C’est ça, la Nuit des Échos, murmura Tislin.

— Il nous renvoie nos propres paroles.

— Oui. Pour qu’on sache ce qu’on a vraiment dit.

Un vent léger se leva, tournant autour d’eux.

Les herbes déposées par Aïcha frémirent.

Une flamme bleue se forma au-dessus de l’eau — minuscule, stable, comme un regard.

Dans cette lumière, Hassan crut voir des signes : des visages, des ombres, des portes.

Et au milieu, un symbole qu’il reconnut sans l’avoir appris : un œil ouvert au centre d’une spirale.

— C’est lui, dit Tislin.

— Qui ?

— Le gardien. Celui qu’on ne voit qu’une fois avant le choix.

La flamme s’éteignit d’un coup.

Le vent retomba.

Mais le sol, sous eux, vibra longuement, comme si quelque chose marchait lentement sous la terre.

Tislin leva la tête.

La lune semblait plus basse, presque posée sur la montagne.

Et dans la lumière blafarde, la silhouette d’Aïcha apparut sur la crête, immobile.

Elle leva une main.

Son geste voulait dire : “Tenez bon.”

Puis la nuit se referma.

Et, pour la première fois depuis des générations, la montagne répondit.

Un son long, profond, sans origine, roula sous leurs pieds.

Ce n’était ni un tonnerre, ni un cri, ni une prière.

C’était une phrase de pierre, un mot du monde.

Le vent traduisit doucement :

“Le Souffle revient… mais pas seul.”

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Hassan et Lalla Tislin   Chapitre 14 : Le secret du vent

    Le secret du ventLa nuit tomba comme une page qu’on referme avec lenteur. Dans Afella, personne n’osait parler trop fort depuis que la voix dorée avait traversé la vallée. On marchait plus doucement, on posait les jarres comme si la terre avait des oreilles — et elle en avait, désormais. Hassan, lui, sentait dans sa paume la spirale battre avec une régularité nouvelle, moins flamboyante qu’autrefois, plus profonde, comme si le vent s’était installé en lui pour de bon.Ce soir-là, Younes ne vint pas s’asseoir au bord du puits. Il s’éloigna au contraire, suivant un sentier que les chèvres n’empruntaient plus depuis la grande saison sèche. — Où vas-tu ? demanda Hassan. — Là où commence le souffle, répondit l’enfant sans se retourner. Il ne parlait pas plus fort qu’un brin d’herbe, et pourtant sa voix semblait agrandir l’air.Ils montèrent. Au-dessus d’eux, les étoiles se donnaient la main. La montagne, sous la lumière, avait le visage d’un vieillard heureux. Ils atteignirent u

  • Hassan et Lalla Tislin   Chapitre 13 : Le murmure du monde

    Le murmure du mondeDepuis qu’il avait reçu la voix dorée, Younes ne vivait plus comme les autres enfants du village.Il se levait avant le soleil, quand le vent dort encore,et restait longtemps, les yeux fermés, assis sur la margelle du puits.Ses mains touchaient la pierre,et dans cette pierre, il sentait un rythme — un battement très ancien,le même que celui qu’il portait dans sa poitrine.Le village entier l’observait.Les femmes disaient :“Ce petit ne parle pas, mais tout se tait pour l’écouter.”Les hommes, eux, faisaient le signe du respect.Même les vieillards avaient cessé de chuchoter qu’il était “l’enfant du vent”.Ils savaient désormais que le vent lui appartenait, et qu’il appartenait au vent.Un matin, alors que la brume s’effaçait lentement, Younes leva la tête vers le ciel.Il vit des oiseaux voler en cercle, sans bruit,et dans ce silence suspendu, il sentit que la montagne retenait son souffle.— Père, dit-il doucement.Hassan, qui taillait le bois d’un figuier t

  • Hassan et Lalla Tislin    Chapitre 12 : La voix dorée

    La voix doréeLe vent, depuis des jours, soufflait sans colère.Il passait dans les ruelles comme un vieux visiteur revenu voir ses souvenirs.Le puits respirait toujours — lentement, régulièrement —et parfois, au milieu de la nuit, on entendait un rire d’enfant se mêler à son souffle.C’était celui de Younes.Depuis qu’il portait la spirale dorée, il ne rêvait plus comme les autres enfants.Ses rêves étaient faits de sons :le bruit du vent sur les pierres,le murmure des herbes dans les champs,et, parfois, des voix…celles qu’il n’avait jamais connues.Un soir, il demanda à son père :— Père… pourquoi j’entends des gens qui parlent dans le vent ?Hassan le regarda longtemps avant de répondre.— Parce que le vent garde tout ce que le monde dit.— Même les morts ?— Surtout eux.Younes resta pensif.— Et si je leur réponds ?— Alors ils t’écouteront. Mais attention… le vent répond toujours.La nuit suivante, la vallée s’endormit tôt.Un ciel lourd, sans lune, couvrait les montagnes.

  • Hassan et Lalla Tislin   ️ Chapitre 11 : Les enfants du vent

    Les enfants du ventLes années passèrent comme passent les saisons — sans hâte, mais sans retour.La vallée d’Afella avait changé.L’eau du puits ne chantait plus comme avant : elle murmurait des noms.Des noms d’anciens, de vivants, d’enfants à venir.Hassan avait vieilli, mais ses yeux gardaient la même clarté.La marque rouge sur sa paume ne s’était jamais effacée.Certains jours, elle battait encore, plus fort, comme si le vent voulait lui rappeler sa promesse.Aïcha n’Tissint n’était plus.On disait qu’elle s’était endormie dans les herbes, le visage tourné vers la montagne, un sourire aux lèvres.Et depuis ce jour-là, quand le vent soufflait au crépuscule, on aurait juré entendre sa voix dire :“Écoute. Le souffle continue.”Tislin, elle, n’était plus visible.Certains disaient qu’elle s’était fondue dans le vent, d’autres qu’elle vivait au sommet du mont Amghar, entre les brumes.Mais chaque fois que le vent soufflait du sud, on sentait un parfum de miel et d’argile,et les enf

  • Hassan et Lalla Tislin   ️ Chapitre 10 :Le retour du souffle

    Le retour du souffle(La première parole du vent.)L’aube vint sans bruit.La lumière se glissa entre les pierres, timide, presque honteuse.Depuis des jours, la vallée vivait dans une attente muette — un entre-deux où chaque souffle semblait appartenir à quelqu’un d’autre.Mais ce matin-là, le vent revint.Pas avec la violence d’autrefois.Il revint comme un souvenir, doux et précis.Et avec lui, une voix.Hassan, réveillé avant le jour, sentit d’abord une chaleur dans sa poitrine.La marque rouge battait fort, au rythme d’un cœur qui n’était pas tout à fait le sien.Puis il entendit un murmure :“Hassan…”Il se leva, sortit.La brume couvrait encore le sol, fine, argentée.Le puits, au milieu du village, respirait à nouveau.Chaque expiration soulevait une poussière lumineuse,chaque inspiration semblait avaler la lumière du monde.Au-dessus, une silhouette blanche apparut : Lalla Tislin.Elle marchait lentement, pieds nus, son voile effleurant la terre.Autour d’elle, le vent tourn

  • Hassan et Lalla Tislin   Chapitre 9 : La marque du cœur

    La marque du cœurLe lendemain du serment, le vent ne vint pas.Pour la première fois depuis des lunes, la vallée d’Afella connut un vrai silence.Pas celui de la peur, ni celui du deuil — un silence suspendu, vibrant, comme si le monde retenait son souffle.Mais à midi, quelque chose changea.Hassan travaillait près du figuier, réparant la margelle du puits.Quand il posa la main sur la pierre, un frisson le traversa — non de froid, mais de chaleur.Sous sa paume, la roche palpita, doucement, au rythme de son propre cœur.Il retira sa main, surpris, et vit une trace : une spirale fine, rouge, gravée dans la peau.Aïcha, qui observait de loin, s’approcha lentement.— Elle t’a marqué, dit-elle.— Qui ?— Le vent. Ou elle. Peut-être les deux ne font-ils plus qu’un.Hassan ne répondit pas.La marque brûlait, mais sans douleur.C’était une chaleur qui semblait vivante, qui battait.Chaque fois qu’il respirait, la spirale brillait un peu plus.— Que veut dire ce signe ? demanda-t-il.Aïcha

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status