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Chapitre 4 : Le prix du vent

Author: zinerom
last update Last Updated: 2025-11-09 04:01:07

Au matin, le vent s’était tu.

La vallée semblait endormie, lavée, trop calme pour être paisible.

Depuis la crête jusqu’au puits, tout paraissait immobile — mais chacun sentait que quelque chose s’était déplacé, pas dans la terre, mais dans le temps.

Hassan fut le premier à sortir.

Son père dormait encore, épuisé par une nuit sans rêve.

Dans la cour, les mules ne broutaient plus : elles regardaient vers le nord, les oreilles dressées.

Un bruit venait de là-haut — pas un cri, pas un tonnerre.

Un souffle régulier, comme celui d’une forge ancienne.

Quand il atteignit la terrasse du figuier, il vit Lalla Tislin.

Elle portait le même talisman qu’Aïcha lui avait donné, désormais brillant d’une lueur douce, presque vivante.

Elle ne dit rien.

Ils comprirent sans parler : le vent allait réclamer son prix.

— Le vent ne prend jamais ce qu’on attend, murmura Hassan.

— Alors préparons ce qu’on ne veut pas perdre, répondit Tislin.

Ils descendirent ensemble vers le puits.

L’eau n’était plus claire.

Elle avait pris la teinte du ciel — ce gris de métal avant la pluie.

Sur la margelle, les herbes d’Aïcha étaient toujours là, mais noircies, comme brûlées de l’intérieur.

Une silhouette apparut sur le sentier.
Aïcha n’Tissint, droite, lente, appuyée sur son bâton de genévrier.

— Vous avez entendu la réponse du vent, dit-elle.

— Oui, répondit Tislin. Il a dit qu’il ne revenait pas seul.

— Alors écoutez bien. Quand le vent ne revient pas seul, il apporte ce qu’on lui a refusé autrefois.

Hassan fronça les sourcils.

— Que veut-il ?

— Pas ce que vous pensez. Le vent ne veut ni or, ni promesse.

Il veut le poids d’une parole tenue.

Tislin baissa les yeux.

— Et si la parole n’existe plus ?

— Alors il prendra le silence à sa place.

Aïcha s’approcha, posa la main sur la pierre.

— Cette nuit, j’ai rêvé de l’ancien gardien. Il m’a dit que le prix serait juste, mais douloureux.

Et dans mon rêve, j’ai vu trois choses : le puits s’ouvrir, le figuier tomber, et un homme marcher dans le vent sans ombre.

Hassan sentit son cœur battre plus vite.

Il comprit avant même qu’elle parle.

— C’est moi, dit-il.

— Peut-être, répondit-elle. Ou peut-être le vent choisira autrement.

Une brume légère monta du puits.

Elle sentait le sel et la cendre.

Le vent se leva, d’abord doux, puis plus fort.

Les feuilles tourbillonnèrent, formant une spirale, la même que sur le talisman.

Tislin posa la main sur le pendentif.

— Si quelqu’un doit payer, que ce soit moi.

Aïcha secoua la tête.

— Non, ma fille. Le vent ne choisit pas selon la pitié, mais selon la vérité.

Une rafale éclata.

La corde pendue au puits se tendit, vibra, puis s’arracha d’un coup, happée vers le fond.

Un cri résonna — ni humain, ni animal.

Le vent souffla si fort qu’il les fit plier.

Puis tout s’arrêta.

Le silence qui suivit n’était pas un vrai silence.

C’était un vide plein, un battement suspendu.

Dans la poussière qui retombait, Tislin remarqua que le talisman avait changé de couleur : il brillait rouge, comme un rubis vivant.

Aïcha leva les yeux vers la montagne.

Une ombre immense glissait le long des crêtes, lente, fluide, presque humaine.

— Voilà, dit-elle. Le vent a pris son prix.

— Qu’a-t-il pris ? demanda Hassan d’une voix blanche.

Aïcha ne répondit pas.

Elle regardait Tislin, et dans son regard, quelque chose s’éteignait doucement.

Tislin porta la main à sa poitrine.

Son souffle se coupa un instant.

— Il m’a pris le son de ma voix, murmura-t-elle.

Hassan fit un pas vers elle.

Elle tenta de parler, mais aucun son ne sortit.

Ses lèvres bougeaient, et pourtant le vent semblait avaler chaque mot avant qu’il ne naisse.

Aïcha ferma les yeux.

— La montagne a eu ce qu’elle voulait : le silence d’un cœur sincère.

Mais ce n’est pas une punition, c’est une alliance.

Hassan tomba à genoux.

Le vent s’apaisa, presque tendre.

Une dernière rafale passa, légère, et dans son sillage, une voix faible, invisible, chuchota :

“Quand elle parlera de nouveau, le monde changera.”

Puis tout redevint calme.

La vallée, baignée d’un or pâle, paraissait respirer lentement.

Le vent s’était tu — mais il n’avait pas disparu.

Il s’était installé dans le silence de Tislin.

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