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LEON
Le déclic sourd du mécanisme qui s’arrête est le premier son. Puis le silence. Un silence épais, étouffant, qui s’abat d’un coup dans cette boîte métallique suspendue. La lumière vacille, pâlit, et se stabilise dans une lueur jaunâtre et malade. Je relève la tête du sol où je fixais mes mains. Mes mains, justement. Les cicatrices encore roses, tendues sur les articulations, me rappellent à chaque mouvement que mon corps n’est plus tout à fait le mien. Un accident, disent-ils. Une seconde d’inattention. Maintenant, il y a un avant et un après, tracé à vif sur ma peau.
Je ne suis pas seul.
L’odeur arrive en premier. Un mélange de fleur coupée, sucrée, et de quelque chose de plus acide, de l’adrénaline peut-être. Je tourne lentement la tête. Elle est dans l’angle opposé, adossée au miroir, comme pour s’y fondre. Une femme. Robe noire, épaules nues. Elle a les mains plaquées contre la paroi derrière elle, les doigts écartés. Et sa bouche. Elle a les lèvres rouges. D’un rouge violent, imparfait, comme si elle venait de frotter son doigt dessus pour en effacer une partie. La trace carminée dépasse le contour, elle lui donne un air à la fois dévasté et farouche.
Nos regards se croisent dans le reflet du miroir. Elle baisse immédiatement les yeux, mais je l’ai vue. Une lueur sombre, rapide. De la panique ? De la colère ? Je ne sais pas.
Je pousse un juron que j’étouffe dans ma gorge. « Putain. »
Je cherche le bouton d’alarme, le presse. Un son faible, ridicule, résonne quelque part, loin. Personne ne répond. L’air devient immédiatement plus chaud, plus lourd. Je retire ma veste, et le frottement de la laine de mon pull contre ma chemise produit une décharge crépitante d’électricité statique. Le son est anormalement fort dans le silence.
Je la vois tressaillir.
Son regard se pose sur mes mains, sur les cicatrices que je ne cherche plus à cacher. Puis il remonte, s’attarde sur ma bouche, sur mon cou. Je sens mon pouls battre à la base de ma gorge, et j’ai l’impression qu’elle le voit battre. Que son regard suit ce rythme affolé.
Son propre pouls, je le vois maintenant. Une veine bat à la tempe, doucement, puis plus vite. Une autre, délicate, palpite sur le côté de son poignet, là où la peau est si fine qu’on devine les os. Elle croise et décroise ses chevilles. Le mouvement fait frémir l’ourêt de sa robe sur ses genoux.
L’espace, qui n’était déjà pas grand, semble se contracter à chaque seconde. Je ne peux plus respirer sans que l’air que j’expire ne semble se heurter à elle. Elle remplit tout. Son parfum, le bruissement léger de sa respiration, la chaleur qui émane d’elle.
C’est physique. Une traction violente, magnétique, au centre de mon corps. Une attirance qui n’a rien à voir avec la beauté, ou si peu. C’est une reconnaissance. Une alchimie dangereuse et immédiate. Je la détaille, avide. La courbe de son cou, la clavicule saillante, l’ombre entre ses seins. Je pense à la pression de mes doigts sur cette peau. Je pense à la marque que mes dents pourraient y laisser.
Je vois ses yeux noircir. Elle fixe ma bouche, elle aussi. Ses lèvres entrouvertes laissent passer un souffle court. Elle a compris. Elle ressent la même chose. Cette tension insoutenable, ce fil tendu à se rompre entre nous.
La lumière clignote une fois, deux fois, et s’éteint. Nous sommes plongés dans un noir absolu, pesant.
Le juron qu’elle laisse échapper alors n’est qu’un souffle rauque. « Mon Dieu. »
Dans l’obscurité, tous les autres sens s’exacerbent. J’entends le froissement de sa robe. Je sens son parfum se rapprocher, m’envelopper. La chaleur de son corps à moins d’un mètre. Mon cœur cogne contre mes côtes. Je suis debout, je ne me souviens pas de m’être levé.
Quand la lumière de secours s’allume, faible et rougeâtre, elle est là. Juste devant moi. Son souffle chaud frappe ma tempe. Son regard est un abîme où je me perds déjà.
Je ne pense plus. Je n’existe plus. Il n’y a que cette attraction, cette nécessité pure et animale. La preuve que je suis vivant, que cette chair marquée peut encore ressentir quelque chose d’aussi violent, d’aussi vrai.
Je me jette sur elle.
Léon Un seul mot, tout aussi rauque.Le 5ème étage. Le temps presse.Je prends une inspiration, un semblant de courage absurde dans cette situation. Je fais un demi-tour complet pour lui faire face.— On a oublié les présentations, hier. Dans la confusion, dis-je, essayant un ton détaché qui sonne faux. Je m’appelle Léon.Son regard se décroche du miroir et se plante dans le mien, choc frontal. Elle est surprise. Une lueur d’amusement, noir et féroce, traverse ses prunelles. Elle dépose son cartable au sol, comme pour un rituel.— Emma, répond-elle.Elle tend sa main, droite, poignet ferme, ongles rouges impeccables. Un geste d’affaires, parfaitement incongru. Une étincelle d’humour absurde fend la tension, si vive qu’elle en est presque douloureuse. Je saisis sa main. Sa peau est douce, froide. Mais le contact électrise l’air. Nos paumes se touchent, nos doigts s’enlacent un bref instant – une poignée de main normale, sauf qu’elle n’a rien de normal. C’est une reconnaissance, un pac
LEONL’hôtel semble avoir changé d’atmosphère pendant la nuit. L’air conditionné a un goût de poussière, les tapis roses dégagent une odeur de renfermé. Mes bagages sont faits, posés près de la porte. Un vol dans trois heures. Une vie à reprendre, comme si de rien n’était.Je n’ai pas dormi. Mon corps est un champ de bataille sourd. Les cicatrices de l’accident palpitent d’une douleur familière, mais c’est une autre marque, plus récente, qui m’obsède. L’empreinte de ses ongles sur mes épaules, la sensation fantôme de ses cuisses autour de ma taille, le goût de sa peau salée encore sur ma langue. J’ai pris une douche brûlante, je me suis frotté jusqu’au rouge, mais son odeur , un mélange de son parfum, de ma sueur et de nous , semble imprégnée dans mes propres pores.Je descends. Mes doigts hésitent sur le bouton de l’ascenseur. Le métal est froid. La panne est réparée, évidemment. La vie est une machine bien huilée qui efface les incidents. Je pousse un son rauque, un rire sans humour
EmmaNous ne nous embrassons plus. Nous haletons bouche à bouche, échangeant l’air vicié, le goût de l’autre. La sueur coule en ruisseaux, mélange nos odeurs en un parfum unique, animal, indécent. Je vois défiler dans ses yeux gris chaque pensée interdite, chaque fêlure, chaque dévoration. Il voit les miennes. Il n’y a plus de masque. Nous sommes deux âmes nues, accrochées l’une à l’autre dans la chute.La pression en moi devient un bloc de lave, un point de non-retour. C’est trop. C’est insoutenable. Je veux fuir cette intensité, je veux m’y dissoudre.— Je… je ne vais pas tenir… — Lâche-toi… lâche tout pour moi Sa voix est brisée, un ordre, une supplique. Il accélère, devient frénétique, désespéré. Comme si le monde allait finir dans le prochain grondement de l’ascenseur.C’est cette pensée qui fait céder la dernière digue. La fin du monde partagée avec un inconnu. Mon corps explose en une série de contractions violentes, silencieuses, qui arrachent tout de moi, âme comprise. Un c
LEONLe goût de sa bouche est une addiction instantanée. Un mélange de baume fruité et de sel, d’urgence et de consentement muet. Mes mains sur ses hanches la soulèvent comme si elle ne pesait rien, et le choc de son corps contre le miroir fait vibrer toute la cage. Le reflet dans la lumière rougeâtre nous montre enlacés, deux animaux pris au piège, les yeux injectés de désir pur.Ses jambes se referment autour de ma taille, un étau de chair et de soie qui me coupe le souffle. Je la presse plus fort contre la surface froide, cherchant à m’enfoncer en elle par la seule force de mon bassin contre le sien. Le frottement est insupportable. Délicieux.— Attends Sa voix est un filet rauque, mais ses yeux disent le contraire. Ils me dévorent. Ils exigent. Attendre ? Impossible. L’attraction était un aimant, maintenant c’est une réaction en chaîne. J’engloutis son murmure avec un baiser plus sauvage, mes dens heurtant les siennes. Ma main arrache le bas de sa robe, trouve la fine bande de so
EMMALe rouge à lèvres. C’est ma seule pensée quand la cage s’arrête. J’ai passé mon doigt sur mes lèvres dans un geste nerveux, effaçant la couleur, laissant une trace baveuse, indécente. Je suis en retard. Encore. Et maintenant, je suis prisonnière. Avec un homme.Je le vois dans le miroir, avant même de le regarder vraiment. Grand, les épaules larges, le visage fermé. Puis je vois ses mains. Des mains abîmées. Marquées par la violence de quelque chose , un accident, une chute, un combat. Les cicatrices sont récentes, la peau encore en reconstruction. Elles me fascinent. Elles racontent une histoire de douleur et de survie.Il jure. Sa voix est grave, raclée par l’agacement ou la peur. L’air devient irrespirable. Je m’adosse au miroir froid, cherchant un peu de fraîcheur, mais mon dos brûle. L’électricité statique fait crépiter son pull. Le son fuse dans le silence comme une étincelle.Et puis… cela bascule.Ce n’est pas un regard. C’est une prise. Quand nos yeux se rencontrent enfi
LEONLe déclic sourd du mécanisme qui s’arrête est le premier son. Puis le silence. Un silence épais, étouffant, qui s’abat d’un coup dans cette boîte métallique suspendue. La lumière vacille, pâlit, et se stabilise dans une lueur jaunâtre et malade. Je relève la tête du sol où je fixais mes mains. Mes mains, justement. Les cicatrices encore roses, tendues sur les articulations, me rappellent à chaque mouvement que mon corps n’est plus tout à fait le mien. Un accident, disent-ils. Une seconde d’inattention. Maintenant, il y a un avant et un après, tracé à vif sur ma peau.Je ne suis pas seul.L’odeur arrive en premier. Un mélange de fleur coupée, sucrée, et de quelque chose de plus acide, de l’adrénaline peut-être. Je tourne lentement la tête. Elle est dans l’angle opposé, adossée au miroir, comme pour s’y fondre. Une femme. Robe noire, épaules nues. Elle a les mains plaquées contre la paroi derrière elle, les doigts écartés. Et sa bouche. Elle a les lèvres rouges. D’un rouge violent,







