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Chapitre 4

Author: Snow
« L'Esprit-Lunaire fragile » de Liliane avait toujours eu un sens du timing aussi troublant que commode.

J'avais remporté la Grande Chasse annuelle, abattant le plus grand cerf d'un seul tir net. Son esprit s'était fracturé, et ma victoire avait été oubliée dans la ruée affolée vers son chevet.

J'avais réussi — pour la première fois depuis une génération — à invoquer les Aurores Boréales, ces lumières éthérées qui avaient dansé au-dessus du complexe. Son esprit s'était fracturé, et mon exploit avait été qualifié de « perturbation » de l'ordre naturel.

Cette fois, lorsque le garde a apporté la nouvelle, je n'ai rien ressenti : ni colère sourde, ni désespoir.

Seulement un nœud froid et dur de certitude qui se solidifiait au fond de mon ventre. C'était le moment.

Le vent de la Falaise de la Lune-Brisée fouettait comme une lame glacée, chargé d'odeurs de pierre froide et de pins lointains.

Et là, perchée dramatiquement tout au bord, se tenait Liliane. Certainement, elle était là-bas.

Elle portait une robe tissée de véritable soie-lunaire, qui diffusait une lueur douce, faisant d'elle le centre tragique, incontestable, de ce tableau soigneusement mis en scène. Dans sa main délicatement tremblante, elle tenait un poignard cérémoniel en Argent-Lunaire — pas comme une arme, mais comme un accessoire fragile, pathétique.

L'image parfaite d'une beauté éthérée en détresse.

« Papa ! Maman ! Mes frères ! » Des sanglots secouaient son corps mince, chaque note parfaitement calculée, portée par le vent. « Je les ai revus dans mes rêves… la meute des Griffes-de-Sang… ils disent que je suis une voleuse… que mon sang est sale, volé… » Elle s'enlaçait elle-même, frémissant d'une vulnérabilité terriblement convaincante. « Ils disent qu'ils vont me ramener… dans cet endroit horrible, primitif… et me vendre aux trolls des montagnes pour des restes ! »

Mon père, le puissant Alpha, un loup capable de commander des milliers d'un seul regard, avait l'air d'avoir été éventré.

« Liliane, mon cœur, mon trésor, pose la lame. Viens. Tu es chez toi. Tu es en sécurité. Tout ce que tu veux, je te le donne. Je vais décrocher la lune pour toi ! »

Ma mère, la Luna, pleurait en haletant bruyamment, la main plaquée contre sa poitrine.

« Liliane ! Ma chérie, ma fille ! Mon bébé ! S'il te plaît, descends ! Je ne peux pas respirer quand tu es là-haut ! »

Voyant son public complètement happé, Liliane a pressé la pointe aiguisée du poignard contre son poignet. Une ligne rouge et nette a perlé aussitôt, contraste brutal sur sa peau pâle et parfaite.

« Mais… mais ma sœur me déteste… » a-t-elle sangloté, jetant vers moi un regard chargé d'un éclat venimeux.

« Elle dit que je salis notre noble lignée… que je suis une honte pour l'héritage des Crinière-d'Argent… »

Sa voix est montée dans un gémissement désespéré, théâtral.

« Si ma propre sœur ne peut pas m'accepter… alors je devrais… rendre mon esprit à la Lune… et vous libérer de ma honte ! »

Ses yeux, pleins de larmes fabriquées et d'une malice bien réelle, se sont plantés dans les miens.

« Lyra ! Tu lui as vraiment dit ça ?! »

La paume de Finn a frappé contre ma joue avec une force assez violente pour me faire tourner la tête. La brûlure qui a suivi était immédiate, familière — la marque de son affection.

Il n'a pas attendu ma réponse.

Il a agrippé mes cheveux et m'a tirée en avant, si violemment que mon cuir chevelu s'est mis à brûler.

« Liliane, ne l'écoute pas ! » a crié Finn, sa voix résonnant contre la falaise, amplifiée par le vent. « Tu es la véritable héritière ! La lumière de cette meute ! C'est elle, l'impostrice ! La bâtarde des Griffes-de-Sang qu'on nous a forcés à élever ! »

« Lyra n'est pas notre fille ! » a hurlé ma mère entre deux sanglots théâtraux, tendant une main vers Liliane. « Liliane, tu es notre seule enfant ! Notre vraie enfant ! »

Comme sur commande, les sanglots hystériques de Liliane se sont changés en un petit reniflement pitoyable, parfaitement contrôlé.

Elle a regardé mes parents, l'air d'un chiot vulnérable cherchant réconfort et validation.

« Liliane, douceur, le danger est passé », a murmuré Étienne en s'avançant, les mains de guérisseur tendues, la voix douce et apaisante. « Donne-moi le poignard. Tu n'en as pas besoin. Laisse-moi t'aider. Je vais arranger ça. »

« AHH ! »

Liliane a poussé un cri aigu, presque strident, et tout son corps s'est mis à trembler dans une panique visiblement calculée. Son bras, celui qui tenait le poignard, est parti dans un mouvement brusque… trop brusque, trop précis.

La lame d'Argent-Lunaire a scintillé, un éclair mortel dans la pénombre.

Une brûlure blanche et incandescente a traversé mon visage. Du front, en diagonale sur mon œil, jusqu'à la mâchoire. J'ai senti le frottement écœurant de l'os sous ma pommette.

Le sang a jailli aussitôt, chaud et épais, m'aveuglant l'œil gauche et remplissant ma bouche d'un goût métallique de cuivre.

La douleur était si intense, si totale, qu'elle en devenait quasiment abstraite. Et pourtant, tout ce que je voyais à ce moment-là, c'était le souvenir de ma vraie mère, sa langue chaude et douce léchant une profonde plaie sur ma patte après un accident d'entraînement.

« Chut, ma petite fille courageuse », elle murmurait, son amour aussi tangible que la terre sous mes pattes. « Maman est là. La douleur va passer. Je ne laisserai rien te blesser. »

Mes jambes ont cédé. Je me suis effondrée sur la terre dure et implacable. Le monde s'est rétréci à un mince fil de vision floue, noyé dans une agonie qui écrasait l'âme.

« C'était un accident ! Je n'ai pas pu contrôler ! » Liliane geignait, incarnation même d'un remords horrifié. Puis, avec un soupir final, gracieux, elle s'est laissée tomber — parfaitement, élégamment — dans les bras impatients d'Étienne.

Le chaos a éclaté. Tous — mes parents, mes frères — se sont précipités vers elle, un tourbillon de voix inquiètes, de mains fébriles, de mots rassurants.

Pas un seul ne s'est retourné vers moi.

En sang, à moitié aveugle et abandonnée sur la pierre froide.

« Maman… » ai-je soufflé, le mot destiné à un autre monde, ma respiration formant un petit nuage fantomatique dans l'air glacé.

Les larmes que je ne pouvais plus retenir se sont mêlées au sang, la brûlure du sel s'infiltrant dans la plaie ouverte comme de l'acide. Je tremblais — non pas du froid — mais de la rupture finale et absolue d'une espérance dont je n'avais même pas conscience.

En m'appuyant contre la paroi rugueuse, je me suis hissée debout, une main serrée contre le ravage de mon visage. L'odeur cuivrée de mon propre sang emplissait mes narines. Je devais bouger. Maintenant.

Le Murmure-Ancestral a hurlé dans mon crâne — non plus une voix, mais une vague brute d'urgence panique et incontrôlée.

« ALERTE ! LE WARG-D'OMBRE S'ÉVEILLE ! LES ANCIENS SCEAUX S'ÉCROULENT ! SA PRISON VA CÉDER DANS MOINS DE TRENTE MINUTES ! IL VA DÉVORER TOUTE LA MEUTE ! TOUT LE MONDE ! VA AU CŒUR DE LA GUEULE-DES-TÉNÈBRES ! IMMÉDIATEMENT !
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