Alexios
La lune trône haut dans le ciel, son éclat spectral peignant les rues d’une lueur argentée. Sous son regard silencieux, la ville sommeille, bercée par l’illusion de sécurité que la nuit accorde aux ignorants. Mais moi, je sais. Les ombres ne dorment jamais. Elles respirent, elles observent, elles attendent. Et ce soir, elles chuchotent son nom.
Léna.
Je m’arrête au milieu d’une ruelle déserte. L’air est chargé d’humidité, un parfum de pluie à venir flottant dans le silence. Mais ce n’est pas la météo qui me retient. Non. C’est autre chose. Une présence, à peine perceptible. Pourtant, je la ressens comme un frisson sur ma peau morte.
Elle est là.
Tapie quelque part dans l’obscurité, elle croit pouvoir m’échapper, me surprendre. Une pensée amusée traverse mon esprit. Pauvre enfant. Elle ne sait pas encore à quoi elle s’attaque.
— Je pensais que tu n’oserais pas venir.
Ma voix s’élève doucement, se fondant dans la nuit. Elle n’est pas un défi. Plutôt une constatation. J’attends. Le silence est un adversaire redoutable. Il expose les âmes faibles, brise les faux-semblants.
Finalement, elle se montre.
Elle surgit de l’ombre avec la grâce d’un fauve en chasse. Mouvements précis. Regard acéré. Elle serre son arme comme un talisman, les jointures de ses doigts blanchissant sous la pression. Je détaille son visage, chaque ligne, chaque ombre que la lune sculpte sur sa peau. Elle est jeune, mais pas innocente.
— Je suis là pour te tuer.
Sa voix est stable, tranchante comme la lame qu’elle brandit. Un frisson d’excitation serpente en moi. Elle croit à ses propres mots. Pourtant, ses yeux la trahissent.
Je m’avance d’un pas, réduisant imperceptiblement la distance entre nous. Je savoure la façon dont ses pupilles se dilatent, la tension imperceptible dans ses muscles. Elle ne fuit pas. Pas encore.
— Et tu crois que tu peux me tuer ?
Elle ne recule pas. Mais elle hésite.
Son cœur bat plus vite. Un rythme fascinant. Elle le cache bien, cette peur qu’elle refuse d’admettre. Mais moi, je la ressens. Je la goûte dans l’air.
Léna ne répond pas immédiatement. Sa main se resserre autour de son couteau, et son regard se fait plus dur. Elle lutte. Pas seulement contre moi, mais contre elle-même.
— Je n’ai pas peur de toi.
Mensonge.
Elle le dit avec conviction, mais son souffle court trahit un trouble qu’elle ne comprend peut-être pas encore elle-même.
J’incline légèrement la tête, la fixant avec intensité. Je pourrais me moquer d’elle, souligner l’évidence. Mais quelque chose me retient.
Elle est captivante.
Pas simplement parce qu’elle ose se dresser contre moi, mais parce qu’il y a autre chose dans son regard. Un feu qu’elle ne maîtrise pas encore.
Je franchis un pas de plus, pénétrant son espace vital.
Elle tressaille, infime réaction qu’elle tente de masquer. Mais moi, je la vois.
— Vraiment ?
Ma voix n’est qu’un murmure. Un souffle contre sa peau. Je suis si près qu’elle pourrait sentir la froideur de mon corps, l’absence de chaleur qui me définit.
Elle déglutit, les doigts crispés sur son arme.
— Tu veux vraiment me tuer ?
Ses lèvres s’entrouvrent, mais aucun son ne sort. Une lutte intérieure. Un chaos silencieux qui l’ébranle.
Enfin, elle détourne les yeux, une fraction de seconde. Juste assez pour que je comprenne.
— Je… je n’ai pas le choix.
Sa voix est plus faible. Moins assurée. Elle le croit. Mais moi, je vois ce qu’elle refuse d’admettre.
Elle tremble. Pas de peur. Pas uniquement.
Son corps parle un autre langage. Elle me hait autant qu’elle me désire.
Un sourire effleure mes lèvres.
— Tu ne veux pas me tuer, Léna.
Ses yeux s’enflamment. Elle recule d’un pas, rompant le contact visuel. Mais ce n’est pas une fuite. C’est un refus.
Un refus d’admettre ce qui vient de naître entre nous.
Un feu fragile, vacillant, mais prêt à consumer tout ce qu’il touche.
Elle tourne les
talons, disparaît dans la nuit.
Mais elle reviendra.
Elles reviennent toujours.
LénaLa nuit est tombée depuis longtemps.Mais dans la maison, la lumière reste allumée.Il ne fait pas particulièrement froid, mais une couverture est posée sur le canapé. Le feu crépite doucement dans la cheminée, dégageant une chaleur douce et rassurante. Le tic-tac régulier de l’horloge rythme le silence.Kaël lit, allongé sur le canapé, les jambes croisées, les cheveux en bataille, concentré. Ses sourcils sont froncés, sa main joue distraitement avec la couverture. Il ne me voit pas, plongé dans son roman. Le monde pourrait s’effondrer qu’il ne lèverait pas les yeux.Alexio est à la table, penché sur son ordinateur. Il porte ses lunettes, celles qu’il ne met qu’à la maison, celles qui glissent toujours un peu sur son nez et qu’il refuse de changer. Une tasse de thé fume doucement à côté de lui. Il tape, s’arrête, relit. Son regard est plus serein qu’avant. Moins hanté.Et moi… je les observe.Pas comme une étrangère. Pas comme une rêveuse.Comme une femme qui sait ce qu’elle a tr
LénaIl y a un goût de lumière dans la brume du matin.Comme une promesse trop fragile.Une clarté timide, qui hésite encore à se poser sur nos peaux marquées.Mais il y a aussi cette tension, fine, presque imperceptible.Comme une corde trop tendue, prête à se rompre au moindre faux pas.Le retour est silencieux.Pas hostile. Pas triste. Mais suspendu.Le chemin jusqu’à la maison est ponctué du bruit mou de nos pas sur la terre sèche, craquelée, mêlée de feuilles mortes.Nos corps sont encore lourds de fatigue, de plaisir, de ce trop-plein d’intensité qu’aucun mot ne saurait décrire.Et pourtant, déjà, je sens l’inévitable se frayer un chemin.Le quotidien.Ses habitudes, ses horaires, ses attentes.La normalité comme une pluie tiède après la tempête.Et avec lui, cette peur.Qu’il broie ce qu’on vient de créer.Qu’il efface, sans pitié, les traces brûlantes de la forêt.Dans la cuisine, Kaël prépare du café.Ses gestes sont lents, précis. Il mesure, il verse, il attend.Alexio fouil
LénaLe sentier est glissant sous mes pieds mouillés. Kaël tient ma main.Alexio marche derrière moi, sa paume dans le creux de mon dos, ancrée, chaude, rassurante.Nous ne disons rien. Pas encore. Pas tout de suite.Il y a ce silence qui n’est pas vide, mais plein de tout ce que nous venons de vivre.Mon corps flotte encore, engourdi d’eux.Gorgé de leurs caresses, de leur souffle contre ma peau, de leur tendresse comme un feu qui ne consume pas, mais éclaire.Ils m’ont prise, oui. Ensemble.Mais sans jamais me déposséder.Je ne suis pas un terrain conquis.Je suis un territoire qu’ils apprennent à aimer, à comprendre, à explorer avec soin et respect.Et dans leurs gestes, dans leurs murmures, il n’y avait ni avidité, ni prise, seulement une offrande réciproque.Lorsque nous atteignons la clairière, les premiers oiseaux chantent.Tout est encore humide, lavé de la nuit.Les feuilles gouttent doucement, comme des larmes légères, et l’air sent la terre, la sève, la promesse.Je m’arrêt
LénaLe soleil grimpe lentement, mais son feu n’a rien à voir avec celui qui coule en moi.Chaque pas que je fais entre eux est un vertige.Leur peau frôle la mienne, leurs mains se croisent dans mon dos, sur mes hanches, sur mes épaules.Il n’y a pas de mot. Il n’y en a plus besoin.Le silence est devenu langage, le souffle est promesse.Leurs regards me suivent comme une caresse. Alexio, d’un brun tempétueux. Kaël, d’un or calme et profond.Deux flammes contraires, et je suis l’étincelle au centre.Ils s’approchent comme on s’approche d’un secret, d’une offrande, d’un serment ancien.J’ai la gorge nouée d’envie. D’attente.D’amour.Nous atteignons un petit recoin caché, là où la rivière s’élargit en une vasque claire, cerclée de rochers tièdes.Les arbres penchent leurs branches au-dessus de nous, comme s’ils voulaient nous protéger, ou simplement nous voir.Le vent est léger. L’ombre danse sur nos peaux.Alexio me pousse doucement, sans brusquerie, mais avec cette tension sous-jace
LénaQuand j’ouvre les yeux, la première chose que je sens, c’est la chaleur.Pas celle du soleil il dort encore derrière les collines, enveloppé dans sa couverture de brume mais celle de deux corps qui m’entourent.Alexio dans mon dos. Kaël face à moi.Deux présences. Deux rythmes. Deux cœurs battants.Et moi, au centre, comme l’épicentre d’un monde qui ne s’effondre plus.Je ne bouge pas tout de suite.Je savoure.Le silence est encore là, mais il n’est plus un refuge. Il est un écrin.Tout est calme, doux, suspendu.Une parenthèse après la guerre, une île après le naufrage.Je ferme les yeux à nouveau, un instant.Juste pour sentir.Le souffle d’Alexio sur ma nuque, lent, régulier, comme une berceuse ancienne.Ses bras m’enserrent comme une promesse faite dans une langue oubliée.Et Kaël, tout près, les paupières encore closes, tient toujours ma main dans la sienne.Il ne l’a pas lâchée. Pas une seconde. Même dans le sommeil, il s’accroche à moi comme à une vérité.Sa peau est chau
LénaLa journée a passé comme un souffle tiède, une respiration lente après une apnée interminable.Kaël s’est levé. Pas vite. Pas sans douleur. Mais il s’est levé.Et dans ce geste simple, il y avait un monde entier qui renaissait.Alexio l’a soutenu sans un mot. Moi, je l’ai regardé comme on regarde un miracle qu’on n’ose pas toucher.Nous avons marché un peu. Trois ombres entre les arbres calcinés, la terre encore tiède de magie, de guerre, de peur.Mais la Brèche est refermée. Le ciel ne saigne plus.Le monde panse ses plaies, et dans ce silence nouveau, on entend à nouveau la vie. Un oiseau. Une brise. Une rivière qui coule quelque part.Des choses simples. Des choses qu’on croyait perdues.Nous n’avons presque rien dit.Le silence n’était plus pesant. Il était doux. Comme un murmure ancien que seuls les cœurs battants savent entendre.La nuit est tombée lentement, sans brutalité, comme une couverture sur nos épaules fatiguées.Nous avons installé les couvertures côte à côte, sur