LOGINLina avait cru, pendant quelques jours, que le plus difficile était derrière elle.Il y avait eu à ce moment précis, presque insignifiant en apparence, où elle avait cliqué sur valider pour s’inscrire à la formation. Son cœur avait battu plus fort, ses mains avaient légèrement tremblé, mais elle avait souri. Un sourire discret, pour elle seule. Celui qu’on esquisse quand on sait qu’on vient de poser un acte important.Elle n’avait pas reculé.Ce souvenir continuait de lui donner du courage.Pourtant, très vite, la réalité s’était chargée de lui rappeler que le courage ne payait pas les factures.Les premiers jours sans travail avaient un goût étrange. Un mélange de liberté et d’angoisse. Le temps semblait plus large, mais aussi plus lourd à porter. Chaque matin, elle se réveillait sans alarme, ce qui aurait dû être un soulagement. Ça ne l’était pas toujours. Elle restait souvent quelques minutes allongée, les yeux ouverts, à écouter le bruit lointain de la ville.Elle comptait.Pas le
Quand Adrien quitta le café, la pluie s’était intensifiée.Il resta un instant sous l’auvent, sans bouger, comme s’il attendait quelque chose — ou quelqu’un. Il n’était pas homme à hésiter ainsi. D’ordinaire, ses décisions étaient immédiates, nettes. Mais là, quelque chose résistait.Il pensa à Lina.À sa manière de se tenir droite malgré la fatigue.À la façon dont elle l’avait regardé — sans admiration, sans soumission.À cette tension permanente dans son corps, comme si elle était toujours prête à se défendre.Il aurait pu partir.Rentrer chez lui.Oublier.Mais il resta.À l’intérieur, Lina rangeait mécaniquement les tasses, consciente de chaque seconde qui passait. Elle savait qu’il était parti. Elle aurait dû se sentir soulagée.Elle ne l’était pas.Quand elle leva les yeux et l’aperçut encore là, son cœur se contracta.— Vous avez oublié quelque chose ? demanda-t-elle en s’approchant.Adrien tourna légèrement la tête.— Non.Il hésita, puis ajouta :— Vous finissez à quelle heu
Lina Morel avait appris à compter avant même de comprendre ce que signifiait manquer.Compter les pièces.Compter les jours.Compter les heures debout.Sa vie était une succession de calculs minuscules, invisibles pour ceux qui n’avaient jamais eu à choisir entre réparer une chaudière ou remplir un frigo.Elle se levait tôt. Trop tôt. Pas par discipline, mais par nécessité. Le sommeil n’était jamais profond, toujours interrompu par une inquiétude persistante, logée quelque part entre la poitrine et le ventre.Son studio faisait à peine vingt mètres carrés. Une seule fenêtre donnant sur une cour intérieure humide. Les murs étaient trop fins, l’air trop froid l’hiver, trop lourd l’été. Rien n’y était vraiment à elle, à part quelques livres écornés et une plante qu’elle oubliait parfois d’arroser.Elle n’appelait pas ça “vivre”.C’était survivre avec dignité.Le café où elle travaillait n’avait rien de pittoresque. Pas de clientèle bohème, pas d’âme littéraire. Juste des habitués fatigué
Adrien Valmont avait appris très jeune à ne rien devoir à personne.Ni excuses.Ni reconnaissance.Ni explications.Il se souvenait encore de cette sensation précise — celle d’avoir compris, avant les autres, que le monde ne fonctionnait pas à l’équité mais à la force. Pas la force brute. La force froide. Celle qui consiste à observer, à anticiper, à frapper au bon moment sans trembler.Il venait de là.D’un endroit où l’on ne s’attend pas à réussir.D’un milieu où l’argent n’était pas un outil mais une obsession lointaine, presque mythologique.Il avait grandi avec l’idée que certains vivaient dans un autre monde — inaccessible, protégé, fermé — et qu’il n’y entrerait jamais à moins de le forcer.Alors il avait forcé.À vingt ans, il dormait peu. À trente, il ne dormait presque plus. Les nuits n’étaient qu’un prolongement stratégique des journées. Pendant que les autres ralentissaient, lui calculait. Pendant que les autres espéraient, lui décidait.Il n’avait jamais cru aux raccourci
Adrien avait appris très jeune à compartimenter.Sa vie n’était qu’une succession de pièces fermées à clé. Certaines luxueuses, d’autres sombres, mais aucune ne communiquait vraiment avec les autres. C’était ainsi qu’il avait survécu. C’était ainsi qu’il avait gagné.Les journées s’enchaînaient à un rythme implacable. Conseils d’administration. Appels cryptés. Déjeuners où l’on parlait chiffres et domination comme d’autres parlent météo. Norvex n’était plus une simple acquisition : c’était un combat stratégique, une guerre d’ego où le moindre faux pas pouvait coûter des millions — ou bien plus.Adrien y excellait.À l’extérieur, il était impeccable. Calme. Tranchant. Indéchiffrable.À l’intérieur, quelque chose se fissurait.Lina apparaissait dans ses pensées sans prévenir. Pas comme une distraction agréable, mais comme une présence insistante. Il la revoyait derrière son comptoir, concentrée, fatiguée, terriblement réelle. Il se souvenait de la chaleur de sa peau, de sa manière de le
Adrien avait choisit le restaurant avec soin. Pas pour impressionner — il savait que ce genre d’effort était inutile avec elle — mais pour se donner une marge de contrôle. Un lieu trop luxueux aurait creusé l’écart. Un lieu trop simple aurait sonné faux. Il voulait un espace neutre. Un terrain où il ne serait pas uniquement Adrien Valmont. Lina était là, réellement là. Pas impressionnée. Pas intimidée. Présente. C’était rare. — Vous semblez ailleurs, dit-elle. — Je réfléchis à ce que je risque, répondit-il sans détour. — Et alors ? Il la regarda droit dans les yeux. — Je risque de ne plus avoir envie de repartir. Cette vérité le surprit lui-même. Il observa ses gestes. La façon dont elle tenait ses couverts. Dont elle évaluait l’espace. Elle n’était pas à sa place ici — et pourtant, elle n’essayait pas de s’excuser de l’être. Il avait fréquenté des femmes brillantes, ambitieuses, parfaitement à l’aise dans ce décor. Aucune ne l’avait fait vaciller ainsi. Parc







