Emily
Le soleil perce à peine à travers les rideaux de ma chambre lorsque j’ouvre les yeux. Mon corps est encore engourdi, la chaleur résiduelle de la nuit passée avec Victorio ancrée dans ma chair. Je sens encore le poids de son corps contre le mien, le goût de sa bouche sur mes lèvres, la brûlure de ses doigts sur ma peau.
Je me redresse lentement, la couverture glissant le long de mon dos nu. La chambre est silencieuse, baignée dans une lumière dorée. À côté de moi, le lit est vide. Victorio est parti. Bien sûr qu'il est parti. Ce n’est pas un homme qui reste après avoir pris ce qu'il voulait.
Je m’assois au bord du lit, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Ce que je ressens en ce moment est une erreur. Ce que j’ai fait est une erreur.
Je suis en train de perdre le contrôle.
Je suis censée le piéger, pas succomber à lui.
Je ferme les yeux en me repassant chaque seconde de la nuit passée. La manière dont ses lèvres ont parcouru chaque centimètre de ma peau. La brutalité de son emprise. La douceur inattendue de son baiser après l’orage.
Mon téléphone vibre sur la table de nuit.
Je le saisis et regarde le nom s’afficher : David.
Je prends une inspiration avant de décrocher.
— Oui ?
— T’es où ? — demande-t-il, le ton froid.
— Chez moi.
— Tu crois vraiment que tu vas pouvoir continuer comme ça ?
Je me tends.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
David pousse un long soupir.
— Emily… Tu crois qu’il ne se doute pas de ce que tu fais ? Victorio n’est pas stupide. Il joue avec toi. Il va te briser avant même que tu ne réalises ce qui t’arrive.
Je serre les dents.
— Je gère la situation.
— Non, tu es en train de perdre le contrôle !
Je ferme les yeux, la mâchoire crispée.
— Il n’a rien découvert. Tout est sous contrôle.
— Bien sûr, répond David d’un ton sec. Tu dis ça parce que tu crois qu’il t’a prise par surprise ? Tu crois qu'il n’a pas prévu ce qui est en train de se passer ?
Je me lève, commençant à marcher dans la pièce.
— Ce n’est pas le moment, David.
— Tu es impliquée personnellement. Ce n’est plus une mission, Emily. Il te manipule. Il va te détruire.
— J’ai compris ! — explosé-je.
Un silence lourd s’installe entre nous. Puis David reprend, d’un ton plus doux :
— On est de ton côté, Emily. Ne laisse pas ce type t’engloutir.
Je raccroche, les mains tremblantes. Je sais que David a raison. Mais je suis déjà trop loin. Je ne peux plus reculer maintenant.
—
Plus tard dans la journée, je me retrouve au club de Victorio. La musique résonne dans l’air, lourde et sensuelle. L’atmosphère est saturée de luxure et de danger. Des corps se pressent sur la piste de danse, des verres s’entrechoquent, des rires graves percent le brouhaha ambiant.
Je le cherche du regard, sachant très bien qu’il est là. Il m’a convoquée, mais il ne m’a pas dit pourquoi.
Je le repère dans un coin du club, entouré de ses hommes. Il est assis sur une banquette en cuir noir, un verre de whisky à la main, le regard sombre dirigé vers moi.
Il lève la main, me faisant signe d’approcher.
Mon cœur s’accélère alors que je traverse la pièce. Les regards des autres clients glissent sur moi, certains appréciateurs, d’autres pleins de jalousie.
Je me tiens devant lui, les bras croisés.
— Qu’est-ce que tu veux, Victorio ?
Il me détaille lentement, de haut en bas, un sourire carnassier au coin des lèvres.
— Assieds-toi.
Je reste immobile, mes yeux plantés dans les siens.
— Dis-moi ce que tu veux.
Il se redresse, posant son verre sur la table basse.
— Hier soir n’a pas suffi à satisfaire ta curiosité ?
Je serre les dents.
— C’était une erreur.
Il rit doucement.
— Alors pourquoi es-tu venue ?
Mon cœur bat à tout rompre. Il a raison. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi me sens-je attirée vers lui comme une idiote alors que je sais exactement qui il est ?
— J’ai mes raisons, — dis-je froidement.
Il se lève lentement, s’approchant de moi jusqu'à ce que nos corps soient presque collés.
— Et moi j’ai les miennes.
Il effleure ma joue du bout des doigts.
— Tu crois que tu peux jouer avec moi, Emily ? Tu crois que tu peux entrer dans ma vie, me manipuler, puis t’en aller ?
Mon souffle se bloque.
— Tu es en train de dire que tu sais ?
Son sourire s’élargit.
— Je suis en train de dire que je ne suis pas aveugle. Tu es douée, Emily. Très douée. Mais pas assez pour me duper.
Mon estomac se noue.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Il attrape mon menton entre ses doigts, me forçant à lever le regard vers lui.
— Je veux voir jusqu’où tu es prête à aller.
Il penche la tête, son souffle effleurant mes lèvres.
— Tu veux jouer à ce jeu ? Alors joue avec moi. Jusqu’au bout.
— Si je refuse ? — murmuré-je.
Son sourire s’efface, son regard s’obscurcit.
— Alors, je découvrirai qui tu es vraiment… et tu ne me plairas plus autant.
Il s’écarte lentement, me laissant le souffle court, le cœur battant la chamade.
— Ne me déçois pas, Emily, — murmure-t-il en s’éloignant.
Je reste figée, les jambes tremblantes, le cœur prêt à exploser dans ma poitrine.
Il sait. Il a compris. Il ne fait que jouer avec moi.
Et maintenant ?
Je devrais partir. Je devrais mettre fin à cette mission. Prévenir mes supérieurs.
Mais au lieu de ça, une pensée dangereuse me traverse l’esprit.
Si j’allais jusqu’au bout ?
Si je m’abandonnais à lui, à ce jeu dangereux, jusqu’à ce que l’un de nous soit consumé ?
Je suis une agent du FBI.
Il est un mafieux sanguinaire.
Et pourtant, il est déjà en train de me posséder.
EmilyJe cours.Je cours sans regarder derrière.Mes jambes cognent le sol avec la violence d’un instinct, celui qui ne cherche plus à comprendre mais juste à fuir.Je sens encore ses mains sur moi. Son souffle. Son odeur.Mes pieds nus s’enfoncent dans la boue. Des cailloux déchirent ma plante, mais je ne ralentis pas. Je n’ai pas le luxe de la douleur.Le manoir s’éloigne. Ce palais de marbre et de cendres. Ce tombeau.Je ne sais pas si je pleure ou si c’est la pluie.Le ciel s’est ouvert, presque en colère. Il crache son deuil sur moi.Je me rappelle ses yeux.Pas ceux qu’il avait avant.Ceux d’après.Ce regard sans tremblement.Ce regard qui n’attendait plus rien.Ce regard de roi qui sacrifie pour que l’empire survive, même si l’empire, c’est une ruine vide.Il m’a prise.Il m’a crucifiée contre ce mur, comme s’il voulait faire de mon corps un drapeau planté au sommet de sa victoire funèbre.Et moi, j’ai résisté.J’ai griffé. Mordu. Hurlé en silence.Mais il m’a gravée.Et mainte
LorenzoLe silence après la détonation a une couleur.Un goût.Une odeur.Il ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé.Il ne ressemble pas à la paix, ni même à la fin.Il est poisseux, dense, presque physique. Il suinte des murs comme une malédiction, s'insinue dans les pores, s'accroche aux cils, à la gorge, à chaque fragment de ce qu’il me reste d’humain.Je me tiens là, figé.Droit dans mes bottes.Et pourtant, chaque cellule en moi hurle.Lucia gît au sol.Une tache rouge, d’abord modeste, s’étend sous sa tempe comme une offrande sacrificielle.C’est lent, c’est presque gracieux, cette façon qu’a le sang de se répandre comme si même la mort avait voulu la respecter une dernière fois.Elle ne crie pas.Elle ne tremble plus.Et pourtant, c’est moi qui vacille.Je l’ai regardée tomber.Je l’ai vue s’effondrer comme on ferme un livre trop longtemps ouvert sur une page douloureuse.Elle n’a pas résisté.Elle n’a pas fui.Elle m’a regardé. Jusqu’au bout.Et dans son dernier regard, il
EmilyJe l’ai vu dans ses yeux, ce regard impitoyable, glacé, où l’homme et le roi se confondent en une seule décision absolue irrévocable, immuable, lourde du poids de toutes les nuits sans sommeil, de toutes les batailles silencieuses. Ce regard n’avait plus rien d’humain. C’était le point de non-retour. Celui où la moindre hésitation disparaît, où la vie et la mort se confondent dans un instant suspendu.Lucia, elle aussi, avait senti ce changement. Lentement, presque avec une grâce douloureuse, elle avait tourné la tête vers moi. Son regard n’était ni suppliant ni effrayé, mais chargé d’une intensité déchirante qui m’a traversée comme un couperet. Elle ne fuyait pas ; elle me regardait une dernière fois, comme pour me dire que cette histoire, aussi sanglante soit-elle, ne s’éteindrait pas avec elle. Que la flamme continuait de brûler, quelque part entre nous, malgré tout.— Lorenzo... murmura-t-elle d’une voix basse, presque fragile, une tentative désespérée de ramener un peu de r
EmilyJe savais qu’il nous convoquerait.Lorenzo n’aime pas le désordre qu’il n’a pas orchestré.Il sent. Il pressent.Et quand le vent tourne, il appelle les tempêtes à table.Lucia est arrivée avant moi.Elle ne m’a pas regardée. Pas tout de suite.Mais ses épaules étaient droites.Trop droites pour une femme qui recule.Et dans ses yeux, il n’y avait ni défi, ni peur.Il y avait une position.Je suis entrée sans frapper.La pièce était vide d’autres présences.Mais pleine de lui.Lorenzo.Debout.Face à la cheminée éteinte.Le dos tendu.Les poings ouverts mais crispés.Pas un mot.Pas un geste.Pas encore.J’ai fermé la porte derrière moi. Lentement.Et alors seulement, il s’est retourné.Son regard.Pas de colère.Pas de tendresse.Autre chose.Un mélange de lucidité et d’orgueil blessé.Comme s’il voyait pour la première fois la scène qu’il n’avait pas écrite.Il nous a regardées toutes les deux.Pas comme un homme regarde deux femmes.Mais comme un souverain jauge un putsch sil
LorenzoJe suis le roi.Pas par héritage.Par construction.Je n’ai pas hérité d’un trône.Je l’ai forgé.À coups de pactes, de regards, de sang versé dans le silence.Chaque homme que j’ai fait plier, je l’ai regardé dans les yeux.Je n’ai jamais tremblé.Jamais attendu que l’histoire m’accueille.Je l’ai forcée à m’écrire.Et pourtant ce soir…tout semble me glisser entre les doigts.Pas d’un coup.Mais grain après grain,comme un sablier que plus rien ne retient.Je suis debout dans mon bureau.Le feu dans la cheminée s’éteint lentement.Même lui semble me juger.Mourir lentement, sans flamme, comme si ma volonté ne suffisait plus à l’alimenter.Je n’ai pas bougé depuis des heures.Je ne sais plus très bien si je veille…ou si je veille ma propre fin.Il y a des silences plus bruyants que les balles.Et c’est ça que j’entends maintenant.Ce qui gronde, ce n’est pas la haine.C’est l’indépendance.C’est la tentation du pouvoir.Emily.Lucia.Elles ne m’ont pas quitté en fuyant.Elle
LuciaJe n’ai rien dit en sortant.Ni au garde. Ni au silence.Je suis descendue sans un bruit, comme on descend d’un rêve trop dense pour survivre à l’aube.Emily ne m’a pas poursuivie.Elle n’avait pas besoin.Ce qu’elle m’a laissé n’avait pas besoin de mots supplémentaires.C’était là, sous ma peau.Un verdict sans gavel.Un adieu sans départ.J’ai marché longtemps.Les rues étaient désertes.La nuit pesait comme une fièvre qu’on ne peut pas briser.Je sentais mes pas me porter, mécaniques.Mais c’est mon esprit qui saignait.Pas de colère. Pas encore.Plutôt ce vertige ancien, celui qu’on ressent quand le sol commence à refuser de nous appartenir.Je suis rentrée chez moi à pied.Le vent était froid.Pas autant que l’idée que quelque chose venait de basculer et que ce n’était plus moi qui tirais les ficelles.Peut-être ne l’avais-je jamais fait.Peut-être avais-je juste été la ficelle.Je suis restée longtemps dans l’ombre du couloir, la main sur la poignée.Mon front contre le b