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Chapitre 1 : L'Héritage de terre et de silence
Léo
La pluie frappe les vitres de ma boutique"Reliques" avec une obstination d'enterrement. Chaque goutte est un clou qui enfonce un peu plus le cercueil du jour. Je frotte le compteur en chêne massif avec une laine douce, un geste rituel qui use mes solitudes. L'air est lourd des senteurs de cire ancienne, de papier pourrissant et de poussière sacrée. Ce sont les seuls parfums qui ne me trahissent pas.
Mes mains, ces outils pâles et méticuleux, se posent sur la caisse en bois brut marquée aux couleurs de Rome. Elle est arrivée ce matin, mais j'ai attendu la tombée de la nuit pour l'ouvrir. La lumière du jour est trop crue pour les vérités anciennes.
Le couteau à palette glisse sous le couvercle avec un grincement de protestation. La mousse de calage s'écarte comme une terre vierge. Et je le vois.
Mon cœur cesse de battre pendant trois longues secondes.
Le vase attique repose dans son écrin, plus vivant que tout ce qui respire dans cette pièce. Il mesure trente centimètres de hauteur, une taille parfaite, presque humaine. La céramique est d'une finesse à vous briser l'âme, d'un brun-rouge si profond qu'il semble boire la lumière. La scène représente une ménade et un satyre enlacés dans une danse qui défie le temps. Leurs corps sont saisis dans un mouvement de passion pure, chaque muscle tendu vers l'extase.
Mes doigts tremblent en effleurant l'épaule de la ménade. La terre cuite n'est pas froide. Elle est tiède, comme une peau qui vient d'être caressée.
Une décharge électrique remonte le long de mon bras, fulgurante, impossible. Je retire ma main comme brûlé.
— Ce n'est rien, murmuré-je à la pièce vide. De la statique.
Mais je mens. Je mens comme je respire, par nécessité vitale.
J'installe le vase sur mon bureau, dans le halo doré de la lampe Tiffany. La nuit est maintenant noire, la pluie s'est transformée en rideau liquide qui isole ma boutique du monde des vivants. Je prends ma loupe d'horloger, les outils de restauration alignés avec une précision chirurgicale. Je dois examiner la pièce, comprendre sa structure, son histoire.
Mais mes doigts refusent d'obéir. Au lieu de cela, ils tracent le contour des corps enlacés, suivent la courbe des hanches, la tension des bras, la bouche entrouverte de la ménade. La terre semble vibrer sous mon toucher. Une chaleur étrange emplit la pièce, moite, organique.
La lampe vacille soudain. L'ampoule grésille, pâlit, puis revient à la vie avec une intensité troublante. L'air se charge d'un parfum qui n'a rien à faire ici : de l'huile d'olive chaude, du soleil sur la pierre blanche, de la sueur et du vin, et quelque chose de plus sauvage, de plus ancien, quelque chose qui sent le sang et la myrrhe.
Le vase semble pulser d'une lumière intérieure. Une lueur ambrée, profonde, qui naît du cœur de la terre cuite et se diffuse dans la pièce. Les ombres dansent sur les murs, prennent des formes qui n'ont rien de géométrique.
Je me lève, recule d'un pas. Mon cœur bat à me briser la cage thoracique. Je devrais avoir peur. Je devrais fermer la boutique, appeler quelqu'un. Mais je reste figé, hypnotisé.
L'ombre du vase sur le mur se déforme, s'étire, se détache de la surface. Elle n'est plus une simple silhouette, mais une forme féminine, sinueuse, qui ondule dans la pénombre. Je distingue des courbes, des hanches larges, une chevelure dénouée qui bouge dans un vent que je ne sens pas.
Mes paumes sont moites, mon souffle court. La peur est là, oui, une peur animale et viscérale. Mais plus forte encore est cette curiosité dévorante, cette fascination qui me cloue au sol.
La forme d'ombre tourne lentement vers moi ce qui devrait être son visage. Il n'y a pas de traits, seulement une présence. Une attention.
Et dans le silence absolu qui s'est abattu sur la boutique, une voix murmure dans ma tête. Ce n'est pas un son, c'est une sensation, comme du miel coulant dans mon esprit.
— Enfin.
Le mot résonne en moi, s'installe dans mes os. Je ferme les yeux, les rouvre. L'ombre est toujours là. Plus nette maintenant. Plus réelle.
Je tends une main tremblante, non pas vers le vase, mais vers l'ombre. Vers elle.
La température dans la pièce monte encore. Je sens une goutte de sueur glisser le long de ma colonne vertébrale.
— Qui es-tu ? chuchoté-je, la voix rauque.
La réponse n'est pas un mot, mais une vague de sensations qui me submerge : la chaleur du soleil sur la peau, le goût du vin épicé, le frémissement de la soie, le contact de doigts habiles sur ma nuque.
Je ferme les yeux, submergé. Quand je les rouvre, l'ombre a disparu. Le vase est simplement un vase, magnifique, mais inerte. Le parfum s'est dissipé. Seul persiste, imprégné dans l'air, le souvenir troublant de l'huile d'olive et du désir.
Je reste immobile, les jambes flageolantes, la main toujours tendue vers le vide. La boutique est redevenue silencieuse, trop silencieuse.
Mais quelque chose a changé. Quelque chose d'irréversible.
Cette chose, quelle qu'elle soit, est vivante.
Et elle m'a choisi.
Chapitre 6 : Le Festin des OmbresLéo La cicatrice en forme de lierre sur ma cheville palpite,un pouls second qui scande mes nuits et mes jours. Elle n'est pas une marque de douleur, mais un rappel constant. Je suis lié. Chair et argile, sang et terre. La boutique n'est plus un lieu de commerce, mais un temple, un terrier. L'air y est épais, chargé d'énergie stagnante et de désir. Je ne me reconnais plus dans le miroir. Mes yeux, cernés, brillent d'une lumière trop vive. Mes gestes ont une économie de prédateur.Cassia est partout. Sa présence n'a plus besoin de la nuit pour se manifester. Une ombre du coin de l'œil, un frôlement dans l'air chaud, un soupçon de son parfum quand je tourne la page d'un livre. Elle se nourrit de moi. De mon énergie, de mes souvenirs, de mon humanité. Et j'offre tout, avec une dévotion d'adepte.Ce soir, cependant, la faim est différente. Elle émane du vase comme une chaleur rayonnante, insistante. Ce n'est pas la faim du désir ou du sang. C'est plus pri
Chapitre 5 : Le Sang sur l'ArgileLéo L'odeur de Marcus a imprégné la boutique.Une puanteur de transpiration aigre, de peur et d'ambition avortée. Même après avoir nettoyé chaque centimètre carré du sol, je la sens encore. Elle se mêle au parfum de Cassia, créant un mélange troublant, dangereux. La violence a été introduite dans notre sanctuaire. Elle en fait désormais partie.Je n'ai pas peur de la police. Marcus n'ira pas les voir. Un homme comme lui règle ses comptes lui-même. Et puis, que dirait-il ? Qu'un fantôme l'a attaqué ? Non. La menace est simplement en suspens, reportée.Cassia est différente, aussi. Plus présente, plus tangible. Sa forme de lumière et d'ombre se densifie chaque nuit. Je peux parfois distinguer le contour d'une pommette, la courbe d'une épaule. Ses caresses laissent des traces sur ma peau, des marques de chaleur qui mettent des heures à s'estomper. Notre liaison n'est plus un rêve. C'est une réalité qui sculpte ma chair et mon âme.Ce soir, elle ne danse
Chapitre 4 : L'Empreinte et l'Intrus Léo La morsure sur mon cou palpite,un sceau de feu qui bat au rythme de mon cœur. Trois jours ont passé. Trois jours à vivre dans un état second, entre l'éblouissement et la stupeur. Mon corps n'est plus le même. Il se souvient. Il réclame. Chaque parcelle de ma peau, chaque terminaison nerveuse, hurle le souvenir de sa possession. Je suis un instrument qui a connu la main du maître et qui ne supporte plus le silence.La boutique est fermée. Verrouillée. Les volets clos. Le monde extérieur est une menace, une distraction vulgaire. Je ne réponds plus au téléphone. Les coups frappés à la porte , de clients, de Marcus, sans doute , restent sans réponse. Je vis dans la pénombre, en symbiose avec le vase, attendant le crépuscule comme un fidèle attend la communion.Ce soir, l'air est différent. Lourd. Électrique. Une tension pré-orageuse qui n'a rien à voir avec la météo. Le vase semble irradier une énergie inquiète, une vibration d'alarme que je perç
Chapitre 3 : Le Banquet des Sens Léo Les jours suivants sont un supplice.Une attente perpétuelle. La boutique est devenue une prison dorée, chaque minute qui sépare du crépuscule une éternité. Je sursaute au moindre bruit, tournant sans cesse autour du vase comme un astre hypnotisé. Marcus a téléphoné deux fois. J'ai raccroché sans un mot. Le monde extérieur n'existe plus. Il n'y a qu'Elle. L'Attente.Mes nuits sont peuplées de rêves fiévreux. Je sens encore la brûlure de ses lèvres sur mon front, la caresse de brume sur ma nuque. Mon corps, ce corps que j'ai toujours habité avec une certaine retenue, est devenu un territoire étranger, parcouru de frissons, de tensions, d'une faim que je ne connaissais pas.Ce soir. Ce sera ce soir. Je le sens. Une énergie palpable émane du vase, une vibration à la limite de l'audible qui fait frémir l'air.La nuit tombe. Je n'allume pas la lumière. Je me tiens debout au centre de la boutique, face au bureau. Mon cœur bat la chamade. Je suis nu sous
Chapitre 2 : La caresse de l'ombre— Léo —Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.Assis dans le fauteuil de cuir usé, face au vase, j'ai guetté. Rien. Plus rien. Seulement le silence retrouvé et la honte qui monte. La fatigue me tord l'estomac, mes paupières sont lourdes mais mon esprit tourne en boucle, éveillé, surexcité. J'ai imaginé cette présence. Le stress, l'isolement. Des hallucinations hypnagogiques. Des explications rationnelles pour une terreur et une fascination qui ne le sont pas.Le jour se lève, gris et laiteux. La pluie a cessé. La ville se réveille avec un bruit étouffé. La normalité reprend ses droits, moqueuse.Je me lève, les jointures craquant. Je dois ranger ça. Le vendre. Me débarrasser de cette folie.— Bonjour Léo. Tu as l'air d'avoir passé une mauvaise nuit.La voix me fait sursauter. Marcus est là, debout sur le seuil de la boutique, souriant. Marcus, le collectionneur. L'araignée. Il porte un manteau trop élégant pour l'heure et son regard, toujours, évalue, pè
Chapitre 1 : L'Héritage de terre et de silence Léo La pluie frappe les vitres de ma boutique"Reliques" avec une obstination d'enterrement. Chaque goutte est un clou qui enfonce un peu plus le cercueil du jour. Je frotte le compteur en chêne massif avec une laine douce, un geste rituel qui use mes solitudes. L'air est lourd des senteurs de cire ancienne, de papier pourrissant et de poussière sacrée. Ce sont les seuls parfums qui ne me trahissent pas.Mes mains, ces outils pâles et méticuleux, se posent sur la caisse en bois brut marquée aux couleurs de Rome. Elle est arrivée ce matin, mais j'ai attendu la tombée de la nuit pour l'ouvrir. La lumière du jour est trop crue pour les vérités anciennes.Le couteau à palette glisse sous le couvercle avec un grincement de protestation. La mousse de calage s'écarte comme une terre vierge. Et je le vois.Mon cœur cesse de battre pendant trois longues secondes.Le vase attique repose dans son écrin, plus vivant que tout ce qui respire dans cett







