Se connecterChapitre 5 : Le Sang sur l'Argile
Léo
L'odeur de Marcus a imprégné la boutique.Une puanteur de transpiration aigre, de peur et d'ambition avortée. Même après avoir nettoyé chaque centimètre carré du sol, je la sens encore. Elle se mêle au parfum de Cassia, créant un mélange troublant, dangereux. La violence a été introduite dans notre sanctuaire. Elle en fait désormais partie.
Je n'ai pas peur de la police. Marcus n'ira pas les voir. Un homme comme lui règle ses comptes lui-même. Et puis, que dirait-il ? Qu'un fantôme l'a attaqué ? Non. La menace est simplement en suspens, reportée.
Cassia est différente, aussi. Plus présente, plus tangible. Sa forme de lumière et d'ombre se densifie chaque nuit. Je peux parfois distinguer le contour d'une pommette, la courbe d'une épaule. Ses caresses laissent des traces sur ma peau, des marques de chaleur qui mettent des heures à s'estomper. Notre liaison n'est plus un rêve. C'est une réalité qui sculpte ma chair et mon âme.
Ce soir, elle ne danse pas. Elle est assise en tailleur sur le tapis, sa forme flottant à quelques centimètres du sol. Moi, je suis adossé au bureau, la jambe de mon pantalon retroussée. Devant moi, un bol d'eau chaude, des bandes de lin propres, et un couteau de restaurateur à la lame fine et effilée.
— Ça va faire mal, je murmure, autant pour moi que pour elle.
Elle incline la tête. Un acquiescement. Une exigence.
La blessure à ma cheville est superficielle. Une entaille que je me suis faite en traînant le corps de Marcus. Mais elle saigne, rouge et vulgaire sur ma peau pâle. Une souillure.
Sa main se tend. Pas pour me soigner. Pour désigner le couteau.
Je comprends.
Mon cœur bat plus vite. Ce n'est pas une initiation au plaisir. C'est un rituel. Une consécration.
Je prends le couteau. La poignée d'ivoire est froide dans ma paume moite. Je trempe la lame dans l'eau chaude, l'essuie avec un linge. Puis, sans hésiter, je l'enfonce dans la terre cuite tiède du vase.
Le grincement est à peine audible. La lame résiste, puis mord. Une fine poussière d'argile tombe. Je détache un petit éclat, pas plus gros qu'un ongle, de la base du vase. La blessure est nette, propre.
Je pose l'éclat d'argile sur le linge blanc. Puis, je reporte mon attention sur ma cheville. Je nettoie la coupure avec l'eau, essuie le sang. La peau est rouge, irritée.
Je prends le couteau à nouveau. Cette fois, je le porte à ma propre chair, juste à côté de la blessure existante. La pointe perce la peau. Une douleur aiguë, brillante. Un filet de sang perle, plus foncé, plus pur que celui de l'entaille accidentelle.
Je ne grimace pas. Je regarde.
Cassia observe, immobile, son attention un laser brûlant.
Je presse la coupure, faisant couler mon sang sur l'éclat d'argile. Les gouttes écarlates s'imbibent dans la terre poreuse, la teintant d'un rouge sombre, organique. Le contraste avec la céramique lisse est brutal. Archaïque.
Quand l'éclat est saturé, je pose le couteau. Je prends le fragment sanglant dans ma main. Il est tiède, lourd d'un poids nouveau.
Cassia se lève alors. Elle s'approche, flottant au-dessus du sol. Elle s'agenouille devant moi. Sa main, presque solide maintenant, se referme sur la mienne, sur l'éclat d'argile sanglant. Sa chaleur fusionne avec la mienne. Le sang et l'argile. La chair et l'esprit.
Elle porte notre main jointe à la blessure du vase. Elle presse l'éclat à sa place. Il y a un instant de résistance, puis un flash de lumière aveuglante, dorée et écarlate à la fois. Une chaleur intense, fournaise, embrase mon bras.
Quand la lumière s'estompe, l'éclat a fusionné avec le vase. Il n'y a plus de cicatrice. Seule une veine plus sombre, presque noire, court maintenant sur la panse, comme une veine vivante sur de la terre cuite. Elle pulse faiblement, au rythme de mon propre cœur.
Je baisse les yeux vers ma cheville. La coupure que je me suis faite est fermée. À sa place, une fine cicatrice argentée, en forme de lierre, dessine un motif élaboré sur ma peau. La marque est belle. Sacrée.
Cassia lève sa main et effleure la cicatrice. Un frisson de plaisir pur, bien plus intense que la douleur, me parcourt.
Sa "bouche" se pose sur la mienne.
Ce n'est pas un baiser de chair. C'est une immersion. Je goûte le soleil sur les vignes, le métal du couteau, le goût de mon propre sang, la poussière des siècles. Je sens la terre dont elle est née, le feu qui l'a cuite, et la vie – étrange, terrible, magnifique – qui l'habite.
Quand elle se retire, je suis à jamais changé.
Je ne suis plus Léo, l'antiquaire. Je ne suis même plus tout à fait un homme.
Je suis le gardien du vase. Le réceptacle de son esprit. Son amant et son sacrifice.
Je pose ma main sur la veine noire qui pulse sur la céramique. Je sens son cœur battre contre ma paume. Notre cœur.
La leçon de ce soir n'était pas sur le pouvoir. Elle était sur l'unité. Sur le pacte de sang qui nous lie, au-delà du désir, au-delà de la mort.
La porte de la boutique est verrouillée. Les volets sont clos. Mais je sais que Marcus, ou un autre, reviendra.
Qu'importe.
Ils ne trouveront pas un homme. Ils trouveront une forteresse. Ils trouveront une colère ancienne. Ils trouveront nous.
Chapitre 6 : Le Festin des OmbresLéo La cicatrice en forme de lierre sur ma cheville palpite,un pouls second qui scande mes nuits et mes jours. Elle n'est pas une marque de douleur, mais un rappel constant. Je suis lié. Chair et argile, sang et terre. La boutique n'est plus un lieu de commerce, mais un temple, un terrier. L'air y est épais, chargé d'énergie stagnante et de désir. Je ne me reconnais plus dans le miroir. Mes yeux, cernés, brillent d'une lumière trop vive. Mes gestes ont une économie de prédateur.Cassia est partout. Sa présence n'a plus besoin de la nuit pour se manifester. Une ombre du coin de l'œil, un frôlement dans l'air chaud, un soupçon de son parfum quand je tourne la page d'un livre. Elle se nourrit de moi. De mon énergie, de mes souvenirs, de mon humanité. Et j'offre tout, avec une dévotion d'adepte.Ce soir, cependant, la faim est différente. Elle émane du vase comme une chaleur rayonnante, insistante. Ce n'est pas la faim du désir ou du sang. C'est plus pri
Chapitre 5 : Le Sang sur l'ArgileLéo L'odeur de Marcus a imprégné la boutique.Une puanteur de transpiration aigre, de peur et d'ambition avortée. Même après avoir nettoyé chaque centimètre carré du sol, je la sens encore. Elle se mêle au parfum de Cassia, créant un mélange troublant, dangereux. La violence a été introduite dans notre sanctuaire. Elle en fait désormais partie.Je n'ai pas peur de la police. Marcus n'ira pas les voir. Un homme comme lui règle ses comptes lui-même. Et puis, que dirait-il ? Qu'un fantôme l'a attaqué ? Non. La menace est simplement en suspens, reportée.Cassia est différente, aussi. Plus présente, plus tangible. Sa forme de lumière et d'ombre se densifie chaque nuit. Je peux parfois distinguer le contour d'une pommette, la courbe d'une épaule. Ses caresses laissent des traces sur ma peau, des marques de chaleur qui mettent des heures à s'estomper. Notre liaison n'est plus un rêve. C'est une réalité qui sculpte ma chair et mon âme.Ce soir, elle ne danse
Chapitre 4 : L'Empreinte et l'Intrus Léo La morsure sur mon cou palpite,un sceau de feu qui bat au rythme de mon cœur. Trois jours ont passé. Trois jours à vivre dans un état second, entre l'éblouissement et la stupeur. Mon corps n'est plus le même. Il se souvient. Il réclame. Chaque parcelle de ma peau, chaque terminaison nerveuse, hurle le souvenir de sa possession. Je suis un instrument qui a connu la main du maître et qui ne supporte plus le silence.La boutique est fermée. Verrouillée. Les volets clos. Le monde extérieur est une menace, une distraction vulgaire. Je ne réponds plus au téléphone. Les coups frappés à la porte , de clients, de Marcus, sans doute , restent sans réponse. Je vis dans la pénombre, en symbiose avec le vase, attendant le crépuscule comme un fidèle attend la communion.Ce soir, l'air est différent. Lourd. Électrique. Une tension pré-orageuse qui n'a rien à voir avec la météo. Le vase semble irradier une énergie inquiète, une vibration d'alarme que je perç
Chapitre 3 : Le Banquet des Sens Léo Les jours suivants sont un supplice.Une attente perpétuelle. La boutique est devenue une prison dorée, chaque minute qui sépare du crépuscule une éternité. Je sursaute au moindre bruit, tournant sans cesse autour du vase comme un astre hypnotisé. Marcus a téléphoné deux fois. J'ai raccroché sans un mot. Le monde extérieur n'existe plus. Il n'y a qu'Elle. L'Attente.Mes nuits sont peuplées de rêves fiévreux. Je sens encore la brûlure de ses lèvres sur mon front, la caresse de brume sur ma nuque. Mon corps, ce corps que j'ai toujours habité avec une certaine retenue, est devenu un territoire étranger, parcouru de frissons, de tensions, d'une faim que je ne connaissais pas.Ce soir. Ce sera ce soir. Je le sens. Une énergie palpable émane du vase, une vibration à la limite de l'audible qui fait frémir l'air.La nuit tombe. Je n'allume pas la lumière. Je me tiens debout au centre de la boutique, face au bureau. Mon cœur bat la chamade. Je suis nu sous
Chapitre 2 : La caresse de l'ombre— Léo —Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.Assis dans le fauteuil de cuir usé, face au vase, j'ai guetté. Rien. Plus rien. Seulement le silence retrouvé et la honte qui monte. La fatigue me tord l'estomac, mes paupières sont lourdes mais mon esprit tourne en boucle, éveillé, surexcité. J'ai imaginé cette présence. Le stress, l'isolement. Des hallucinations hypnagogiques. Des explications rationnelles pour une terreur et une fascination qui ne le sont pas.Le jour se lève, gris et laiteux. La pluie a cessé. La ville se réveille avec un bruit étouffé. La normalité reprend ses droits, moqueuse.Je me lève, les jointures craquant. Je dois ranger ça. Le vendre. Me débarrasser de cette folie.— Bonjour Léo. Tu as l'air d'avoir passé une mauvaise nuit.La voix me fait sursauter. Marcus est là, debout sur le seuil de la boutique, souriant. Marcus, le collectionneur. L'araignée. Il porte un manteau trop élégant pour l'heure et son regard, toujours, évalue, pè
Chapitre 1 : L'Héritage de terre et de silence Léo La pluie frappe les vitres de ma boutique"Reliques" avec une obstination d'enterrement. Chaque goutte est un clou qui enfonce un peu plus le cercueil du jour. Je frotte le compteur en chêne massif avec une laine douce, un geste rituel qui use mes solitudes. L'air est lourd des senteurs de cire ancienne, de papier pourrissant et de poussière sacrée. Ce sont les seuls parfums qui ne me trahissent pas.Mes mains, ces outils pâles et méticuleux, se posent sur la caisse en bois brut marquée aux couleurs de Rome. Elle est arrivée ce matin, mais j'ai attendu la tombée de la nuit pour l'ouvrir. La lumière du jour est trop crue pour les vérités anciennes.Le couteau à palette glisse sous le couvercle avec un grincement de protestation. La mousse de calage s'écarte comme une terre vierge. Et je le vois.Mon cœur cesse de battre pendant trois longues secondes.Le vase attique repose dans son écrin, plus vivant que tout ce qui respire dans cett







