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L'Empreinte et l'Intrus

Auteur: Les élites
last update Dernière mise à jour: 2025-11-08 03:50:37

Chapitre 4 : L'Empreinte et l'Intrus

 Léo 

La morsure sur mon cou palpite,un sceau de feu qui bat au rythme de mon cœur. Trois jours ont passé. Trois jours à vivre dans un état second, entre l'éblouissement et la stupeur. Mon corps n'est plus le même. Il se souvient. Il réclame. Chaque parcelle de ma peau, chaque terminaison nerveuse, hurle le souvenir de sa possession. Je suis un instrument qui a connu la main du maître et qui ne supporte plus le silence.

La boutique est fermée. Verrouillée. Les volets clos. Le monde extérieur est une menace, une distraction vulgaire. Je ne réponds plus au téléphone. Les coups frappés à la porte , de clients, de Marcus, sans doute , restent sans réponse. Je vis dans la pénombre, en symbiose avec le vase, attendant le crépuscule comme un fidèle attend la communion.

Ce soir, l'air est différent. Lourd. Électrique. Une tension pré-orageuse qui n'a rien à voir avec la météo. Le vase semble irradier une énergie inquiète, une vibration d'alarme que je perçois dans mes os.

Je tourne autour, nerveux. La marque sur mon cou picote.

— Qu'y a-t-il ? chuchoté-je, ma main posée sur la terre cuite tiède. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Aucune réponse. Seulement cette sensation d'urgence grandissante.

Et puis, un bruit. Ténu. Du côté de l'arrière-boutique. La fenêtre qui donne sur la ruelle.

Mon sang se glace. Ce n'est pas Elle. C'est autre chose. Quelqu'un.

Je me fige, retenant mon souffle. Le grattement métallique d'un outil sur le châssis. Un déclic. Le grincement étouffé de la fenêtre qu'on force.

Marcus.

La pensée me frappe, nette et tranchante comme une lame. Il n'a pas attendu. Il est venu prendre ce qu'il veut.

Une rage froide, que je ne me connaissais pas, monte en moi. Elle est viscérale, animale. Protéger. Le mot résonne en moi, plus fort que la peur. Protéger le vase. Protéger Cassia. Protéger mon territoire.

Je me glisse dans l'ombre, le long du mur. Mes mains serrent le lourd presse-papier en bronze, la seule arme à portée. Mon cœur bat la chamade, mais mon esprit est étrangement calme, lucide.

La silhouette de Marcus se découpe dans l'encadrement de la porte de l'arrière-boutique. Il est vêtu de noir, une lampe torche à la main. Son faisceau balaie la pièce, aveuglant, et se fixe sur le vase, posé sur le bureau comme une proie.

— Léo ? chuchote-t-il, mielleux. Es-tu là ? Nous devons parler.

Il avance, sûr de lui, sa main gantée se tendant vers le trésor.

C'est à ce moment que la température chute brutalement. Un froid de tombe envahit la pièce, contrastant violemment avec la chaleur qui émanait du vase. Le parfum d'huile et de soleil se change en une odeur de pierre humide, de terre remuée, de colère ancienne.

La lumière ne vient pas. L'obscurité, au contraire, se fait plus épaisse, plus menaçante. Oppressante.

Marcus s'arrête, le bras encore tendu. Son assurance vacille.

— Qu'est-ce que... ?

Un grognement, bas, rauque, qui semble venir des murs eux-mêmes, coupe sa phrase. Ce n'est pas un son humain. C'est le grondement d'une bête, d'un gardien.

La forme qui émerge de l'ombre n'est pas celle de Cassia. Ce n'est pas la danseuse sensuelle, la guide bienveillante. C'est quelque chose de plus ancien, de plus sauvage. Une silhouette massive, indistincte, faite d'ombre et de fureur. Je devine des épaules larges, une crinière hérissée, des yeux qui brûlent d'un feu jaune et froid. Le Satyre de la peinture du vase. Le protecteur.

Marcus recule d'un pas, son visage déformé par une terreur primale. La lampe torche lui tombe des mains, roule sur le sol, projetant des lueurs folles.

— Non... souffle-t-il.

La forme d'ombre fond sur lui. Elle ne le touche pas, pas physiquement. Elle l'enveloppe, l'étouffe de sa présence. Marcus se débat, les yeux exorbités, la bouche ouverte sur un cri qui ne sort pas. Il suffoque, pris dans un étau d'énergie pure.

Je reste cloué sur place, témoin horrifié et fasciné. Ce n'est pas Cassia. C'est son autre visage. Son versant sombre. La force brute qui défend le sanctuaire.

La forme se resserre autour de Marcus. Il se met à trembler de tous ses membres, comme frappé d'une crise. Des images, sans doute, des peurs, des cauchemars doivent s'engouffrer dans son esprit. Je vois son regard se vider, devenir vitreux.

Puis, aussi soudainement qu'elle est apparue, l'ombre se dissipe. Le froid cède la place à la chaleur familière. Le parfum d'huile d'olive et de myrrhe revient, doux, apaisant.

Marcus est affalé sur le sol, inconscient, un filet de bave coulant de sa bouche. Il respire, faiblement.

Je m'avance, tremblant. Je le regarde, cet homme brisé, puis je lève les yeux vers le vase.

Cassia est là. La forme lumineuse, féminine, est de retour. Elle flotte près du vase, tournée vers moi. Son "regard" est intense, interrogateur. Elle attend ma réaction. Ma validation.

Je baisse les yeux vers Marcus. La peur est toujours là. Mais plus forte est une autre sensation : une satisfaction sombre, primitive. Il a osé menacer ce qui est mien. Il a payé.

Je fais un pas, m'agenouille près du corps inerte. Je le saisis par les épaules et, avec une force que je ne me savais pas, je le traîne jusqu'à la porte de derrière, celle qu'il a forcée. Je le pousse dehors, dans la ruelle froide et sale. Je referme la porte, pousse le verrou.

Je m'adosse au bois, le souffle court. Mon corps entier tremble d'adrénaline.

Quand je me retourne, Cassia est là, tout près. Sa main de lumière se pose sur ma joue. La caresse est douce, réconfortante, fière. Elle approuve. J'ai défendu notre sanctuaire. J'ai passé son test.

La peur se dissipe, remplacée par un sentiment de puissance dévorant. Je ne suis plus une victime, un spectateur. Je suis un complice. Un gardien.

Je prends sa main , cette main qui peut être caresse ou griffe et je la porte à mes lèvres. La lumière est chaude, vivante.

La leçon de ce soir n'était pas sur le désir. Elle était sur le pouvoir. Sur la possession. Et je suis un élève de plus en plus doué.

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