Damon
Je me redresse lentement, glissant hors du lit sans bruit. Mon regard reste fixé sur elle, son visage serein baigné par la lumière de la lune qui filtre à travers les rideaux. Une mèche sombre tombe sur sa joue, et l’envie de la toucher me brûle la peau.
Contrôle-toi.
Je passe une main dans mes cheveux, inspirant profondément. Mon corps est en tension constante depuis qu’elle est entrée dans ma vie. La marquer… l’idée même déclenche une déferlante de chaleur dans mes veines. Mais je ne peux pas céder. Pas encore.
Je sors de la chambre, descendant les escaliers du manoir d’un pas silencieux. Les membres de la meute dorment encore, mais je perçois les bruits lointains de la nuit : le froissement des feuilles dans le vent, le craquement d’une branche sous le poids d’un prédateur.
Dans le salon, Viktor est là, assis dans un fauteuil en cuir. Il tient un verre de whisky entre ses doigts, le liquide ambré reflétant la lueur du feu dans la cheminée.
— Tu comptes rester là toute la nuit ? demandé-je en m’adossant au chambranle de la porte.
Viktor lève les yeux vers moi, un sourire froid effleurant ses lèvres.
— Tu n’as pas l’air d’avoir dormi non plus.
— Je n’ai pas besoin de sommeil.
Il hausse un sourcil, portant le verre à ses lèvres.
— Ce n’est pas le sommeil qui te manque.
Je serre les dents.
— Si tu as quelque chose à dire, Viktor, dis-le.
Il se lève lentement, ses yeux noirs se fixant dans les miens avec une intensité glaciale.
— Tu te mens à toi-même, Damon. Tu ressens ce lien. Elle est ton âme sœur. Tu ne peux pas lutter contre ça indéfiniment.
Je m’approche de lui, le défiant du regard.
— Je ne suis pas prêt à la marquer.
— Ou peut-être as-tu peur qu’elle ne survive pas ?
Un grondement sourd monte dans ma poitrine.
— Je ne suis pas comme toi, Viktor. Je ne suis pas prêt à la briser.
Son sourire s’élargit.
— Alors prépare-toi à ce qu’un autre le fasse à ta place.
Je saisis son col et le plaque violemment contre le mur. Son verre de whisky tombe au sol, éclatant en mille morceaux.
— Elle est à moi.
Viktor rit, son sourire carnassier déformant son visage.
— Alors prouve-le.
Je le relâche, mon souffle court.
— Elle n’est pas prête.
Viktor secoue la tête, essuyant une goutte de whisky sur sa chemise.
— Ce n’est pas elle qui n’est pas prête. C’est toi.
Je m’éloigne de lui, mes muscles tendus sous l’effet de la colère.
— Elle n’est pas un jeu, Viktor.
— Non. Mais tu risques de la perdre si tu attends trop longtemps.
Je quitte la pièce avant de faire quelque chose que je pourrais regretter. Mes pas me mènent instinctivement vers l’extérieur. L’air froid de la nuit mord ma peau nue, mais je n’y prête pas attention. La forêt s’étend devant moi, sombre et menaçante.
Je me transforme presque sans y penser. Mes os craquent, ma peau brûle alors que mon loup prend le contrôle. Des griffes noires remplacent mes doigts, mes muscles se tendent sous la pression de la transformation. Une douleur familière me traverse alors que mon museau s’allonge, mes crocs acérés brillant dans l’obscurité.
Je me mets à courir.
Les arbres défilent autour de moi à une vitesse folle. L’adrénaline pulse dans mes veines alors que mes pattes frappent le sol humide. La forêt m’appelle, le besoin de chasser monte en moi.
Soudain, une odeur étrange s’insinue dans l’air. Métallique. Du sang.
Je ralentis, mes oreilles dressées. Un bruit de pas dans le sous-bois. Je m’approche lentement, mes crocs découverts.
Une silhouette émerge de l’ombre. Un loup. Non, pas un loup de ma meute.
Il est grand, massif, son pelage noir strié de cicatrices. Ses yeux rouges brillent dans la pénombre. Un intrus.
Je me place en position d’attaque, un grondement sourd s’échappant de ma gorge.
— Tu es sur un territoire qui ne t’appartient pas, dis-je d'une voix grondante.
Le loup se transforme lentement, sa forme humaine se dessinant sous la lune. Un homme élancé aux traits anguleux et aux cheveux noirs se tient devant moi, un sourire froid sur le visage.
— Damon Black. On se rencontre enfin.
Je plisse les yeux.
— Qui es-tu ?
— Un messager.
Je grogne, découvrant mes crocs.
— De la part de qui ?
Il s’approche, son sourire s’élargissant.
— Le clan des Ombres.
Je me fige.
— Tu mens.
— Crois ce que tu veux. Mais ton oméga n’est pas en sécurité. Si tu ne la marques pas bientôt… d’autres viendront la revendiquer.
Je l’attrape par le cou avant qu’il ne puisse s’éloigner.
— Si tu poses la main sur elle…
Il rit, son souffle chaud contre ma peau.
— Ce n’est pas moi qu’elle devrait craindre. C’est toi.
Je le jette au sol avec une violence maîtrisée. Il se relève, essuyant le sang qui coule de sa lèvre d’un revers de main.
— Protège-la… si tu en es capable.
Il se transforme en loup et disparaît dans l’ombre.
Je reste là, le cœur battant à tout rompre, mon souffle rauque résonnant dans le silence de la nuit.
Je sens l’odeur d’Alina avant même qu’elle n’apparaisse. Elle se tient au bord de la clairière, sa silhouette fine enveloppée dans une robe de nuit légère.
— Damon ?
Je m’approche d’elle, encore à moitié sous ma forme de loup.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demandé-je d'une voix rauque.
— Je t’ai senti… troublé.
Elle tend une main vers moi, et je la prends doucement.
— Tu es en danger, Alina.
— Alors protège-moi.
Elle se hisse sur la pointe des pieds, ses lèvres frôlant ma joue.
— Je n’ai pas peur de toi, Damon.
Je ferme les yeux, sentant son souffle chaud contre ma peau.
— Tu devrais.
Elle s’approche encore, glissant ses bras autour de mon cou.
— Mais je ne le suis pas.
Je passe mes bras autour de sa taille, la serrant contre moi.
Elle est à moi.
Et je suis prêt à tuer pour elle.
AlinaLe soleil se lève doucement, et je sens la lumière effleurer ma peau.Elle traverse les rideaux, se faufile jusqu’à mon visage, et j’ouvre les yeux à peine, laissant le monde entrer par fragments.Damon dort encore à mes côtés, son souffle régulier contre ma nuque.Je passe une main sur son torse, doucement, comme pour vérifier qu’il est bien là, qu’il ne disparaîtra pas dans le tumulte qui nous attend.Mes doigts glissent jusqu’au ventre.Je sens le frémissement léger, timide, mais réel.Un battement qui ne m’appartient pas entièrement et pourtant, il fait désormais partie de nous.Je me tourne légèrement pour le regarder.Il est paisible, les traits détendus, mais je lis dans son regard clos la vigilance, la peur, l’amour tout en même temps.Je souris, un sourire tendre, parce que je sais qu’il s’inquiète encore.Pour moi. Pour lui. Pour ce qui grandit en moi.Je me blottis un peu plus contre lui, mes bras autour de son torse, et je sens la chaleur de son corps qui m’ancre, qu
DamonLa chambre est silencieuse.Ou plutôt… le silence y est différent.Pas celui lourd et tendu du Conseil, ni celui saturé de présages dans les rues.Celui-ci est tiède, presque liquide, comme une eau calme qui nous enveloppe, nous sépare du reste du monde pour quelques heures encore.La lampe diffuse une lumière douce, vacillante.Elle caresse les murs d’une lueur ambrée et découpe sur la peau d’Alina des reflets mouvants qui jouent sur ses épaules, le long de sa nuque.Elle est allongée contre moi, la tête nichée dans le creux de mon épaule.Ses doigts dessinent de lents cercles sur mon torse, des gestes minuscules mais essentiels, comme s’ils tenaient en place les morceaux de moi qui risqueraient de se détacher.Chaque tracé semble murmurer reste ici, comme si elle craignait que je disparaisse dans le tumulte qui nous attend.Je la regarde.Pas seulement elle nous.Nous trois.Ma main glisse jusqu’à son ventre.Sous mes doigts, ce léger arrondi que je commence à connaître mais q
DamonNous ne quittons pas la salle depuis ce moment.Mais dehors, le monde commence déjà à nous répondre.Je le sens d’abord dans la pierre.Un frémissement infime, presque un soupir.Sous mes pieds, une vibration ténue, régulière, comme le battement d’un cœur lointain qui cherche peu à peu son rythme.Elle remonte par mes jambes, s’attarde dans ma poitrine, puis se perd dans ma gorge.Je jette un coup d’œil autour de moi : personne ne réagit.Peut-être qu’ils ne sentent rien. Ou peut-être qu’ils refusent d’y croire.Yssandra retourne s’asseoir. Son corps paraît immobile, mais ses yeux sont rivés sur un point invisible, quelque part au-delà des murs.Kelor s’approche de deux autres Maîtres. Ils parlent si bas que leurs lèvres bougent à peine, penchés l’un vers l’autre comme s’ils partageaient un secret brûlant qui pourrait consumer tout ce qui l’entend.Le temps se distend.Il n’y a plus que le silence, ce silence épais qui colle aux peaux.Puis, soudain, la grande porte s’ouvre dans
DamonLe silence qui suit la lumière n’est pas vide.Il a une texture, un poids.Il s’installe dans la salle comme une marée qui monte, glisse sous les portes et remplit chaque espace, jusqu’à étouffer nos respirations.Personne ne parle.Personne n’ose bouger.C’est comme si nos corps avaient compris, avant même notre esprit, que briser ce silence serait un sacrilège.Je vois les Anciens relever la tête lentement, très lentement, comme des voyageurs qui sortent d’une caverne pour voir un ciel inconnu.Certains clignent des yeux, comme pour chasser un éblouissement qui n’a pourtant plus lieu.D’autres restent figés, pétrifiés par ce qu’ils ont vu.Maître Kelor est toujours à genoux. Ses mains tremblent.Pas de peur. Pas même d’émotion.Non… de la reconnaissance.La reconnaissance pure, brute, de celui qui se sait témoin d’un instant qui ne se reproduira jamais.Puis, dans le cercle, une autre voix s’élève.Une voix si vieille qu’elle semble provenir de plus loin que le corps qui la po
DamonLa salle du Conseil est plus vaste que dans mes souvenirs.Peut-être que c’est moi qui ai changé.Ou alors, c’est ce qui m’accompagne aujourd’hui qui rend chaque pierre plus grande, chaque souffle plus lourd.Les murs circulaires s’élèvent haut, jusqu’aux verrières incrustées de motifs anciens, laissant entrer un jour pâle et froid. Au centre, le sol de marbre poli miroite comme une eau immobile, et tout autour, les gradins de pierre accueillent les Anciens. Drapés de manteaux aux couleurs profondes rouge sombre, bleu nuit, or terni ils nous suivent du regard avec une attention tranchante.Ce ne sont pas des hommes et des femmes ordinaires. Chacun d’eux porte sur ses traits le poids d’années de décisions irréversibles, de pactes et de serments. Et pourtant, aujourd’hui, je sens… une inquiétude qu’ils s’efforcent de dissimuler.Alina marche à mes côtés. Ce n’est pas elle qui avance, pas vraiment. Ses pas sont guidés par quelque chose de plus vaste, de plus ancien qu’elle.Elle es
DamonNous ne parlons pas.Ce n’est pas un silence ordinaire, pas celui qui s’installe parfois entre deux êtres fatigués ou concentrés. C’est un silence qui pèse, qui se dilate, qui s’insinue jusque dans nos respirations. Plus lourd que n’importe quelle phrase, plus vaste que la pièce où nous nous trouvons.Alina garde les yeux fixés sur la ligne sombre à l’horizon. Elle la fixe comme si le moindre battement de cils pouvait la dissoudre. Moi, je ne la regarde pas pas encore. Je préfère écouter. J’écoute le souffle d’Alina, et j’écoute autre chose, derrière, dessous : ce battement qui persiste encore dans l’air.Un rythme étranger. Pas le sien, pas le mien. Un pouls venu d’ailleurs, et qui s’est accroché à nous pendant la nuit comme une ombre refuse de lâcher celui qui marche sous le soleil.— Tu ne dors plus depuis longtemps, dis-je doucement.Elle hoche la tête, toujours sans détourner les yeux.— Je n’ai pas osé fermer les paupières.— Par peur ?Un long silence. Puis :— Par certit