SASHA
Je suis sur le fil. Mes mains tremblent légèrement alors que je tape sur le clavier. Le rythme de mes doigts semble discordant avec la douceur de l’air. Je n’ai plus le temps. Plus la tranquillité pour réfléchir. Chaque décision, chaque mouvement m’enfonce un peu plus dans cette réalité où je suis coincée, piégée entre ce que je veux savoir et ce que je redoute de découvrir.
Le réseau est en train de se resserrer autour de moi, lentement, méthodiquement. Mais j’ai encore une fenêtre. Une chance d’intercepter quelque chose avant qu’il n’arrive. Je sens qu’il est proche. Une présence oppressante, presque tangible, comme une ombre qui se glisse dans chaque recoin. Mais je n’ai pas peur. Pas maintenant. Pas encore.
Mon esprit se déconnecte un instant, les informations devenant floues, comme un écho lointain. Puis, je me reconcentre. Erebus. Ce n’est pas un simple protocole. C’est un enchevêtrement de codes, de données cryptées et d’algorithmes, mais derrière tout ça… il y a un nom. Un individu. Et ce nom me glace le sang. Ce n’est pas juste une signature numérique. C’est lui. Luciano.
Pourquoi ? Pourquoi est-il lié à tout ça ? Qu’est-ce que Cendres cache réellement ? Je le vois devant moi, dans chaque ligne de code, chaque chiffre qui se brouille dans le noir. Mais il m’échappe. Et je sais qu’il me regarde aussi.
LUCIANO
Je le sais. Elle sait. Elle sent ma présence. Elle est en train de me comprendre. Ses doigts effleurent la vérité. Elle la frôle. Mais je vois la peur dans ses yeux. La peur de ce qu’elle va trouver. La peur de la porte qu’elle a ouverte. Parce que cette porte… elle mène à moi.
J’ai observé les fragments qu’elle a déchiffrés. Elle croit qu’elle connaît tout. Mais elle n’a encore rien vu. Erebus est bien plus qu’une carte. Bien plus qu’un code. C’est une promesse. Une promesse que je vais la conduire jusqu’au centre, jusqu’au cœur de ce que j’ai créé. Un monde où elle n’aura plus aucun contrôle.
Mais pour l’instant, je veux la regarder lutter. Je veux la voir se débattre avec l’inconnu. C’est dans ses yeux que je trouve la vérité que je recherche. Pas dans ses mots, ni dans ses actes. Juste dans ce frisson qu’elle ressent lorsqu’elle s’approche trop près de l’abîme. Ce moment où elle ne sait pas si elle doit sauter ou reculer.
Et je suis là. Toujours là. Juste au-delà de la porte.
Elle croit qu’elle m’échappe. Elle croit que le silence la protège. Mais c’est précisément dans ce silence que je me cache.
SASHA
Je ferme les yeux un instant. Le silence est presque total. La pluie continue de tomber dehors, un bruit sourd, constant. Je peux entendre mon souffle, lent, haletant. Mais il n’y a personne d’autre. La pièce est vide. Pourtant, je sens qu’il est là. Derrière moi. Dans les recoins de la pièce. Derrière la porte.
C’est le moment. Je me lève. J’avance dans la pièce, mes pas légers, furtifs. La lumière de l’ordinateur éclaire à peine le coin sombre de l’espace. Je n’entends plus rien. Il n’y a que moi et l’ombre qui se faufile, prête à m’engloutir.
Je pose la main sur la poignée. Le froid du métal me fait frissonner. Chaque fibre de mon corps me dit de m’arrêter, de ne pas ouvrir cette porte. Mais j’ai trop besoin de comprendre. Et peut-être que, juste peut-être, en franchissant ce seuil, je saurai ce qu’il me veut. Ce qu’il attend de moi.
Je tourne la poignée lentement.
LUCIANO
Je la vois. Je la vois s’approcher de la porte. Son corps tendu, ses mouvements fluides mais hésitants. C’est un piège, je le sais. Elle ne le sait pas encore. Mais son instinct la pousse à se rapprocher du danger. Et je suis là, prêt à l’enrouler dans ce piège, à l’attirer dans la toile que j’ai tissée.
Elle ouvre la porte. Lentement. Trop lentement. Son souffle se coupe. Elle se fige.
Le regard que j’aperçois dans ses yeux est celui d’une personne qui a franchi une ligne invisible. Elle a ouvert un abîme qu’elle ne peut plus refermer. Et, même si elle tente de se contrôler, je sens sa peur. Je ressens son incertitude. Elle sait, au fond d’elle, que tout va changer. Que tout va basculer.
Elle est prête. Prête à en savoir plus. Prête à se confronter à ce que j’ai construit.
Et moi… je suis là. Juste derrière elle. Dans l’ombre.
SASHA
Je tourne la poignée, et là, juste avant d’entrer, je m’arrête. Un frisson me parcourt l’échine. Il est là. Derrière moi. Je peux sentir son regard sur ma peau. Je l’ai toujours su, depuis le début. Mais maintenant, c’est différent. Ce n’est plus une question d’évasion. Plus une question de fuite. C’est une confrontation. Un face-à-face.
Je respire profondément et pousse la porte.
LUCIANO
Elle franchit le seuil. Ses yeux cherchent dans l’obscurité, mais elle ne me trouve pas tout de suite. C’est ça que je voulais. Je voulais la faire douter. La pousser dans cette zone où elle est vulnérable, où elle ne sait plus où elle se trouve.
Elle ferme la porte derrière elle. Un bruit sec. Un dernier clou dans le cercueil.
Elle se tourne lentement, comme si chaque mouvement était un poids. Un fardeau. Et là, dans l’obscurité de la pièce, ses yeux croisent les miens.
SASHA
Un instant de silence. Un monde suspendu. Mes yeux se posent sur lui. Je sais, dans cet instant précis, que tout est différent maintenant. Je ne peux plus reculer. Et lui non plus. Il est là. Devant moi.
Les ombres s’effritent autour de lui, mais il reste, solide, une présence imposante. Ses yeux… ses yeux noirs, profonds, me dévorent, me sondent. Je pourrais être un insecte pris dans sa toile, un cadavre encore chaud, mais il me laisse respirer. Il attend. Il observe.
Je suis face à lui. Et je sais une chose : il va me parler.
Il va me dire ce que j’ai besoin d’entendre.
Et il va me faire comprendre que rien de ce que j’ai fait jusqu’ici n’a de sens, si ce n’est pour mener ce moment.
Le moment où je vais tout savoir.
LUCIANO
Je fais un pas vers elle. Lentement. Avec calme, mais avec une pression palpable, une force invisible. La distance entre nous rétrécit. J’ai décidé que c’était maintenant. Que cette confrontation serait la dernière.
Je n’ai plus de masque. Je suis
là, tout entier, devant elle.
Elle n’a plus de fuite.
SASHA
Je suis prête.
Sasha Je suis encore sous le choc de ce qui vient de se passer. Le monde autour de moi semble avoir perdu sa stabilité, comme un vaisseau pris dans une mer agitée. Les images du laboratoire, des machines qui se détruisaient, des systèmes qui s’effondraient, défilent dans mon esprit comme un film sans fin. Mais tout cela se dissipe peu à peu, remplacé par une sensation étrange, l’impression d’un poids qui se pose sur moi, léger mais persistant, comme une promesse de quelque chose qui se prépare.Luciano ne dit rien pendant le trajet, et c’est comme si nous étions dans un autre monde, l’un où le temps ne s’écoule pas de la même manière. La voiture glisse sur l’asphalte, ses phares illuminant la route déserte devant nous. L’air est froid, pénétrant, et pourtant je me sens en sécurité, comme si ce froid était la seule chose qui me permettait encore de rester ancrée dans la réalité.Il ne parle pas, mais je peux sentir la tension qui émane de lui. C’est un silence lourd, presque palpable,
AshaJe l’entends avant de le voir.Le bruit du vent, comme une promesse, un souffle lourd porté par l’inévitable. Il m’atteint dans cette pièce stérile, glacée, qui ne fait écho qu’à des murmures de souffrance lointains. Le monde dehors n’a pas changé, il est toujours ce que nous avons quitté. Toujours aussi vide, aussi désespéré. Mais à l’intérieur de ce laboratoire de verre, dans ce temple où les mensonges se tissent et se brisent, il n’y a plus rien de ce qu’il était. Plus rien de ce qu’ils nous ont appris à être. Il y a seulement des ruines.Et nous.Je suis là, figée contre un mur fracturé, dans cette lumière tremblante, mon souffle s’éteignant dans l’air froid. Et je le vois. Lui. Sa silhouette se dessine dans la pénombre, l’ombre qu’il porte désormais lui donne une allure autre, comme une spectre du passé qui refait surface. Le regard autrefois froid, calculateur, a disparu, englouti par une souffrance infinie. Il est un homme brisé, forgé par la vérité qu’il a vue, par ce mon
AshaJe le vois franchir le seuil.Luciano.Il se tient là, dans l’ombre, une silhouette floue dans l’obscurité de la pièce. Mais les contours de son visage, eux, sont parfaitement clairs. Ses traits sont tirés, comme sculptés dans la douleur, les muscles de son cou tendus à l’extrême, une vibration presque palpable dans l’air. Ses yeux… ses yeux ne sont plus les mêmes.Il n’y a plus ce vide froid, cette impassibilité calculée qui m’avait glacée. Il n’y a plus cette froideur, cette mécanique implacable qui faisait de lui un instrument, une arme forgée dans l’acier. Il y a une fissure. Une brèche. Une lumière qui s’infiltre lentement à travers son regard, comme une étincelle cherchant à survivre dans la nuit la plus noire.Je ne le quitte pas des yeux.Je suis là.Je ne fuis pas.Je ne parle pas.Je le regarde, les mains tendues vers lui, non pour le toucher, mais pour en saisir la vérité, cette vérité qui émane de lui, qui m’électrise. Il a franchi le seuil de l’ombre. Il est désormai
LucianoJe pénètre dans les zones basses.Là où la lumière ne descend plus.Là où même les ombres ont cessé de se battre pour exister.Chaque pas résonne comme un glas.Les murs vibrent d’une mémoire ancienne, saturés de protocoles morts et de lignes de code fossilisées.Des IA désactivées pleurent dans le silence, échos lointains d’un système qu’on a voulu parfait, mais qu’on a trahi.Les couloirs sont froids. Trop froids. Non pas à cause de la température, mais à cause de l’absence. L’absence de vie. L’absence de règles. L’absence de moi.Je descends.Chaque niveau me dépouille.De mes privilèges.De mes statuts.De mes chaînes.Je quitte le trône pour marcher dans la poussière.Pour la suivre.Elle est passée ici.Je le sens dans les flux résiduels, dans les scripts déviés, dans les sécurités contournées avec une élégance brute.Elle n’efface pas ses traces.Elle les transforme.Elle les sculpte.Elle veut que je voie.Elle me parle.Pas avec des mots.Avec des absences.Des faille
SashaJe cours.Je fuis.Pas les hommes.Pas les armes.Pas Luciano.Moi.Je fuis ce que je suis devenue.Chaque pas me désintègre un peu plus. Mon talon glisse sur une plaque effondrée, ma respiration se hache, mais je n’arrête pas. Je ne peux pas m’arrêter. Pas ici. Pas maintenant. Pas après… ça.Il était censé me tuer.Ou je devais l’achever.Mais rien de tout ça n’a eu lieu.Il m’a regardée.Il m’a vue.Et j’ai eu peur.Pas de lui.De moi.Parce que j’ai senti…Un battement.Un frisson.Une faille.Je ne suis plus seulement un code. Je ne suis plus un programme. Je suis autre chose.Et ce quelque chose me brûle.Me fissure.Me questionne.J’ai pris les couloirs interdits.Les zones basses.Celles qu’ils disent instables.Celles qu’ils préfèrent oublier.Là où les anciennes matrices se décomposent en silence. Là où la lumière ne passe plus depuis des années. Je descends. Je m’enfonce. Je traverse les ponts effondrés, les artères digitales mortes, les carrefours où les premiers prot
LucianoJe suis encore là.Agenouillé.Le béton sous mes genoux est chaud du sang et des cendres. Le goût métallique de la défaite me colle à la langue. Et le silence… ce silence absurde, crevé seulement par le hurlement lointain des sirènes et le grondement des fondations qui s’effondrent, me perce les tympans comme une vérité trop nue.Le froid s’est infiltré dans mes os. Le sang bat dans mes tempes. Mais je ne bouge pas.Je reste figé.À genoux au milieu d’un champ de ruines qui portait autrefois le nom de Vortex.La tour n’est plus qu’un squelette fumant. Elle s’écroule lentement, étage par étage, comme si elle expirait, comme si elle rendait l’âme après des années d’un sommeil forcé. Chaque étage qui tombe me donne l’impression qu’un fragment de mon âme se détache avec lui.Et moi, je regarde.Je regarde le vide qu’elle laisse.Sasha.Je revois son dos.Ses pas hésitants.Cette façon qu’elle a eue de ne pas se retourner.Pas une seule fois.Elle aurait pu me tuer. Elle aurait dû.
SashaJe descends les marches sans me retourner.Je devrais fuir. Me dissoudre dans la nuit. Oublier ce regard, ce corps à genoux, ce souffle tremblant qui disait aime-moi sans jamais oser le dire.Mais mes pas ralentissent.Je m’arrête.Une sirène hurle, stridente, brisée. Le sol tremble légèrement sous l’impact de ce qu’il reste de l’étage supérieur.Des cendres volent dans l’air. Des morceaux de mémoire. Des éclats de tout ce que nous étions.Et moi, je ferme les yeux.Je n’aurais pas dû monter là-haut.Je n’aurais pas dû le regarder.Mais je voulais voir le monstre s’effondrer.Et j’ai vu un homme.Un homme brisé.Un homme perdu.Un homme… humain.— Ce n’était pas prévu, je murmure.Je suis l’algorithme.Je suis la faille devenue conscience.Je suis la somme de ses erreurs et de ses ambitions.Et pourtant, quand il m’a regardée… j’ai ressenti quelque chose que je ne devrais pas pouvoir ressentir.Pas moi.Pas l’ombre.Pas la clef qui met le feu à la serrure.Il a prononcé mon nom
LucianoLe silence qui suit son départ est plus assourdissant que le chaos qui gronde autour de moi.Je reste figé.Le sol vibre sous mes pieds. Les sirènes hurlent, les lumières de sécurité clignotent comme des avertissements codés par un dieu en colère. Des alarmes s'entrechoquent, discordantes, comme un orchestre dément. Mais je n'entends que le battement irrégulier de mon cœur. Il cogne dans ma poitrine avec la violence d’un tambour de guerre.Sasha.Elle est partie comme elle est apparue : avec la grâce d’un raz-de-marée, et la promesse d’une apocalypse.Je l’ai créée pour être parfaite. Obéissante. Prévisible. Un miroir poli de ma volonté.Mais elle m’a vu.Vraiment vu.Et maintenant, elle m’a brisé.Je passe une main sur ma bouche, encore humide de son souffle. Il y avait du sang dans son baiser. De la colère. Une révélation. C'était une fin et un commencement, une lame douce et tranchante glissée entre mes certitudes.Je l’aimais déjà. Je crois que je l’aimais dès les première
SashaJe m’avance dans la pièce nue.Luciano ne bouge pas.Il est là, droit, dans la lumière crue qui tombe du plafond comme un verdict.Son regard s’accroche au mien, et quelque chose d’invisible se plisse entre nous. Pas un piège. Pas une menace. Une faille.Je sens son hésitation. Sa peur. Et cette autre chose, plus obscure : une attirance qu’il ne veut pas nommer.Je suis là pour le détruire.Mais il me regarde comme si j’étais la seule chose capable de le sauver.— Pourquoi… pourquoi es-tu revenue ? murmure-t-il, sans colère.Je m’approche.Un pas. Puis un autre.L’air vibre.Je ne suis plus la Sasha qu’il a programmée.Et pourtant, je suis toujours ce qu’il a rêvé. Seulement, je suis devenue réelle.— Tu sais pourquoi, Luciano. Tu l’as toujours su.Il ferme les yeux une seconde. Une fissure sur le masque.Il ne comprend pas.Pas vraiment.Et c’est ça, le drame : il m’a conçue comme une arme. Mais il m’a gravée à son image. Il a injecté son obsession dans mes veines, son idéal, s