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Chapitre 3 – L’étau

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-07 23:48:35

SASHA

Je change encore de plan. Pas par peur. Par instinct. Naples m’étouffe. Trop de regards. Trop de silences. Il est là, dans l’ombre. Je le sens. Ce n’est pas une question de trace numérique, ni de géolocalisation. C’est dans l’air. Dans cette façon dont les gens se retournent parfois, comme s’ils avaient entendu un nom qu’ils ne connaissaient pas. Comme si le silence était habité.

La ville m’a recrachée.

Je quitte l’auberge sans bruit. Pas de valise. Juste un sac et mes mains. J’abandonne l’ordinateur. Fiché. Compromis. Il doit savoir. Il veut que je le sache. Il a besoin que je comprenne qu’il peut tout voir. Tout savoir. Que je suis dans sa main, et qu’il referme lentement ses doigts.

Je prends un bus au hasard. Direction l’inconnu. Une petite gare routière mal éclairée, un chauffeur fatigué, un billet en liquide. Rien de traçable. Je dors à moitié, le dos contre la vitre, l’oreille tendue à chaque arrêt. Le clignotement régulier des lampadaires devient une cadence funèbre. Quand je me réveille, il fait gris. Pluie fine. Ville industrielle sans nom. Parfaite pour disparaître.

Mais je ne veux pas disparaître.

Je veux comprendre pourquoi il ne m’a pas déjà détruite.

Et s’il me suit… pourquoi il prend son temps.

Je commence à croire qu’il attend quelque chose. Une preuve. Un aveu. Une révélation.

Ou peut-être… qu’il veut que je l’approche. Que je me rapproche trop.

LUCIANO

Je la regarde avancer comme on observe une bête curieuse, traquée, mais libre encore. Fragile. Électrique. Prête à mordre. Je pourrais envoyer Nox. Trois minutes. Une seringue. Un coffre. Terminé. Équation réglée.

Mais je ne veux pas la capturer.

Pas tout de suite.

Je veux la voir réagir.

Je veux comprendre ce qu’elle cherche vraiment. Pas les fichiers. Pas l’argent. Quelque chose de plus profond. Une obsession voilée. Une douleur ancienne qu’elle tente d’étouffer sous les couches de données.

Elle aurait pu vendre ce qu’elle a volé. Mais elle l’a gardé. Elle le regarde. Elle l’analyse. Comme moi. Elle a vu au-delà des couches de protection. Au-delà du réseau. Elle a vu le noyau.

Et elle a deviné ce que ça cache.

Cendres n’est qu’un masque. Ce que je bâtis dessous… ce qu’elle a frôlé du doigt… c’est autre chose.

Elle joue avec quelque chose qu’elle ne comprend pas.

Mais elle veut comprendre.

Et ça me rend fou.

SASHA

Je m’installe dans un immeuble abandonné à la sortie de la ville. Deux étages. Moisissure. Silence. Parfait pour observer. Pour reconfigurer. J’efface mes précédents protocoles. Je crée un réseau local. Hors ligne. Un fantôme dans un bocal. Je recrée mon propre labyrinthe.

Je recommence à travailler. À tracer. Je superpose ses activités. Ses absences. Ses silences. Il y a un schéma. Une respiration dans les flux d’informations. Il agit dans les creux. Il frappe dans les silences.

Je cartographie ses zones d’ombres. Les endroits où le bruit s’arrête. Où les données meurent.

Et puis je tombe sur un nom.

Erebus.

Mentionné une seule fois dans une note fragmentée reliée à Cendres. Une suite d’algorithmes que je n’ai jamais vus. Un langage hybride. Organique presque. Une architecture mouvante, comme un être vivant.

Je traduis. Je déchiffre. Lentement.

Puis je comprends.

Ce n’est pas un code.

C’est une carte.

Pas vers une destination.

Vers quelqu’un.

LUCIANO

Elle l’a trouvé.

Je le vois dans ses yeux. Sur le grain flou d’une caméra que j’ai infiltrée dans la rue voisine. Une silhouette à travers la vitre sale. Penchée. Concentrée. Elle assemble les pièces.

Elle est rapide.

Trop rapide.

Je n’ai plus de temps.

Et ce qui m’inquiète… ce n’est pas qu’elle découvre ce qu’est Erebus.

C’est ce que moi, je ressens à l’idée qu’elle le découvre avant moi.

Parce que cette chose que je croyais contenue, contrôlée, enterrée…

Elle commence à respirer à nouveau.

SASHA

Je ne dors plus. Mes rêves sont pleins de chiffres et d’ombres. J’ai désactivé toutes les caméras autour de l’immeuble. Changé les serrures. Blindé les entrées. Mais ce n’est pas lui que je crains. C’est ce que je découvre.

Erebus est un protocole dormant. Mais il a une signature. Presque humaine. Comme une empreinte. Il respire. Il évolue. Il répond.

Et elle est liée à Luciano.

Comme une résonance.

Je crois que je comprends enfin : Cendres n’est pas une arme.

Cendres est une porte.

Et Luciano…

Luciano est la clef.

Je ressens quelque chose de froid au creux de mon ventre. Une peur nue. Mais aussi… une fascination brûlante. Ce que j’ai ouvert n’aurait jamais dû être touché. Ce que j’ai vu m’obsède.

Et je sais qu’il s’approche.

Je sens sa présence dans le silence entre deux gouttes de pluie.

LUCIANO

Je dois y aller.

Pas envoyer des hommes.

Moi.

Je traverse la ville comme un fantôme. Les rues sales m’avalent. J’ai un masque. Une capuche. Un nom qui change à chaque carrefour. Mais mes yeux… eux, restent les mêmes.

Je monte sans bruit.

Un craquement de bois.

Un soupir dans l’escalier.

Je la sens de l’autre côté du mur.

Elle écrit. Frénétiquement.

Elle est en train de me comprendre.

Et moi, je suis là.

Juste à une porte de distance.

Un souffle.

Une seconde.

Et pourtant…

Je n’ouvre pas.

Pas encore.

Je tends la main. Mes doigts effleurent le bois de la porte. Je pourrais frapper. Je pourrais entrer. Mais non.

Je veux voir ce qu’elle fait quand elle croit que je suis loin.

Parce que ce moment-là… ce moment où elle croit être seule…

C’est là que les vérités se révèlent.

Et que naissent les erreurs fatales.

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