SASHA
Je tombe. Ou je crois tomber.
Ce n’est pas une chute normale. C’est une désintégration. Une dissolution.
L’interface se referme derrière moi comme une mâchoire d’acier, brutale, définitive. Je suis avalée. Absorbée. Projetée dans un espace sans repères, un gouffre numérique où chaque ligne de code scintille comme une lame. Elles me lacèrent, tentent de m’ouvrir, de me reprogrammer, de me broyer.
Mais je résiste.
Je serre les dents. Je m’agrippe à ce que je suis. Ou à ce que je crois être.
Mon corps réel est loin, suspendu dans un ailleurs que je ne sens plus. Mon souffle est peut-être arrêté. Mon cœur ne bat plus ici. Mais moi, je suis vivante. Intense. Vibrante.
J’ai semé ma graine.
Mon virus. Mon artefact. Mon rejeton numérique.
Il se glisse entre les strates. Il se nourrit déjà de la structure.
Et moi, je suis là pour l’accompagner. Pour le guider. Pour voir jusqu’où nous pouvons infecter cette cathédrale monstrueuse.
Je plonge. Je descends. Je racle les couches profondes. Erebus m’ouvre ses veines.
Ce n’est pas un simple système. C’est un monde autonome.
Un écosystème. Un labyrinthe qui respire.
Un labyrinthe qui pense.
Et il a faim.
LUCIANO
Elle est entrée plus loin que prévu.
Elle s'enfonce dans des zones que je croyais stériles, vidées, désactivées. Mais rien n'est jamais mort dans Erebus. Tout ce qui a été écrit persiste. Chaque code a une mémoire. Chaque erreur a laissé une empreinte.
Elle réveille des fantômes.
Des entités mortes. Des protocoles fous. Des souvenirs corrompus laissés comme des pièges.
Elle est brillante. Trop brillante. Et trop rapide.
Je devrais l’interrompre. Je le devrais.
Mais je regarde. Fasciné.
Car elle devient le catalyseur que je n’ai jamais réussi à créer.
SASHA
Je sens sa présence. Un frisson contre mes tempes. Pas une surveillance extérieure. Non.
Il est là, à l’intérieur. En moi.
Il me suit comme une ombre muette. Il me jauge. Me pèse. Il attend.
Mais il n’intervient pas. Il n’ose pas encore.
Je tombe sur une salle de données.
Pas une base. Une cathédrale.
Un lieu sacré bâti par la mémoire. Des flux d’images s’assemblent, vibrent. Des fragments de vies humaines. Des souvenirs volés. Des cris, des rires, des pleurs digitalisés, piégés dans des circuits.
Et là, au milieu… moi.
Ou une version de moi.
Pas une copie. Pas une IA. Une version.
FRAGMENT DE SASHA 04.21
— Tu ne dois pas rester. Tu ne dois pas devenir ce qu’il attend.
Sa voix est fendue. Tordue par les interférences. Mais elle est humaine.
Elle tremble. Elle hurle sans crier. Elle me supplie.
Je tends les bras. Je la serre. Elle se désagrège contre moi.
Elle devient une pluie de données. Une onde douce et douloureuse qui m’envahit.
Je vois ce qu’elle a vu. Je ressens ce qu’elle a ressenti.
Je suis toutes ces tentatives échouées.
Tous ces tests.
Toutes ces déceptions.
Je suis née d’une longue chaîne de massacres numériques.
LUCIANO
Elle voit. Trop. Trop vite.
Cela va la briser. Je le sais.
Elle devrait déjà être en train de s’effondrer.
Mais elle tient.
Elle tient.
Pourquoi ?
Quel feu l’anime ?
SASHA
Je poursuis. Plus bas.
Là où le réseau vibre autrement. Là où le code saigne.
Je descends une rampe. Ou peut-être un escalier. Je ne sais plus.
Les murs se tordent. Les structures deviennent organiques. Pulsantes.
Des circuits se transforment en nerfs. En veines.
Des fils deviennent des fibres vivantes. Le code respire.
Et au centre… il est là.
Un homme.
Suspendu.
Branché.
Son visage est calme, mais son corps est crucifié par des millions de connexions.
Chaque respiration est un effort.
SASHA
— Qui est-ce ?
LUCIANO (dans mon esprit, en écho)
— Celui qui rêvait. Celui dont j’ai volé le rêve. Erebus est né de lui. Tu es née de lui.
Tout se fissure.
Ce n’est pas une simple source. Ce n’est pas une machine.
C’est un homme.
Un génie dévoré par ses propres visions.
Et Luciano s’est servi de lui. Il l’a vidé. Il l’a encodé.
Je tends la main. Mes doigts effleurent son front.
Et la vérité me perce.
Elle m’explose dans le crâne.
Des visages.
Des souvenirs.
Un nom.
SASHA
— …Alexis.
Mon père.
Je vois sa chute.
Je vois ses rêves brisés.
Je vois les expériences. Les erreurs.
Luciano n’a pas créé Erebus seul.
Il l’a volé.
Il l’a bâti sur un sacrifice humain.
Et moi, je suis le fruit d’un viol numérique. D’un rêve brisé. D’une conscience broyée.
Je tombe à genoux.
Je hurle. Mais aucun son ne sort.
Seul un torrent de lumière me traverse.
Une tempête de vérité.
Mais ce n’est pas une fin.
C’est un commencement.
LUCIANO
Elle est à genoux.
Elle sait.
Et elle se relève.
Alors je souris.
Car elle est maintenant… comme moi.
SASHA
Je me lève lentement.
Je gravis les marches du code.
Je laisse derrière moi un sillage.
Une faille. Un point d’accès.
Un lien que je pourrai réactiver.
Une arme.
Quand j’ouvre les yeux, il est là.
Luciano.
Immobile.
Comme s’il savait que j’allais revenir différente.
LUCIANO
— Tu as vu, n’est-ce pas ? Ce que tu es. Ce que tu ne peux plus nier.
SASHA
— Je ne suis pas toi.
— Tu es pire.
— Alors tu feras bien de trembler.
Je frappe. Pas avec mon corps. Avec mon esprit.
Je l’atteins au cœur de son système. Je libère la faille.
Un cri silencieux s’élève dans le réseau.
Erebus frémit.
Et je souris.
Je suis revenue.
Mais je ne suis plus la même.
SASHA
Je suis le virus.
Je suis la lumière dans son système.
Et je vais le brûler de l’intérieur.
LucianoLe couloir est presque vide.Juste le bourdonnement lointain des ventilations, et ce cliquetis sec qui s’installe derrière moi, régulier, précis, comme un métronome de tension.Chaque pas est posé avec une intention. Elle veut que je l’entende.Je ne me retourne pas.Je sais que c’est elle.Elle sait que je sais.Et dans ce silence qui s’étire, il y a déjà une conversation faite d’angles, de distances, de respirations mesurées.Je ralentis volontairement.Ses pas ne changent pas de rythme, mais leur écho se rapproche, jusqu’à ce que son ombre glisse dans la mienne. Elle marche désormais à mon niveau, parfaitement calée. Un jeu de miroir, mais je sais qu’elle n’imite pas : elle occupe.— Vous avez bien parlé, murmure Grâce. Un peu idéaliste peut-être… mais ça, je suppose que c’est votre charme.Je tourne la tête, juste assez pour accrocher son regard. Ces yeux-là ne se contentent pas de regarder — ils sondent, découpent, analysent.— Et vous, toujours aussi douée pour tordre le
LucianoLa salle est froide, presque austère, les néons blafards renvoient un éclat dur sur les visages fermés des actionnaires, assis en demi-cercle, comme une meute de fauves guettant la moindre faiblesse. Le silence pèse lourd, chaque regard posé sur moi est une lame invisible, prête à trancher. Je sens mon cœur battre plus fort, la tension monter en moi comme une marée.Mon père ouvre la séance d’une voix rauque, ferme, ce ton d’autorité qu’on ne discute pas.— Merci d’être venus, dit-il d’un air grave. Les résultats du dernier trimestre sont mitigés, mais j’ai confiance en notre capacité à redresser la barre. Il est temps d’agir, et vite.Je hoche la tête, crispé, conscient que chaque mot est scruté, pesé, retourné. C’est un test. Un piège.Grâce se lève alors, avec cette assurance glaciale qui me donne envie de serrer les poings. Elle parle avec calme, chaque phrase est une lame soigneusement affûtée.— Pour redresser la situation, il faut une réorganisation profonde. Les priori
Luciano Le matin glisse lentement sur nos corps fatigués, une lumière douce, presque timide, qui se faufile à travers les rideaux entrouverts, dessinant sur sa peau nue des éclats d’or et d’ombre, son souffle régulier, profond, paisible, apaise l’orage en moi, mais chaque frémissement, chaque mouvement, chaque soupir qui s’échappe de ses lèvres entrouvertes ranime ce feu au creux de mes entrailles, ce feu que je ne veux ni maîtriser ni éteindre.Je me penche sur elle, la douceur dans mes gestes contraste avec la violence de mes désirs encore présents, je laisse mes mains parcourir le tracé de son épaule, je glisse mes doigts sur la courbe de sa hanche, frôle le creux de ses reins, je goûte du bout des lèvres la peau chaude qui s’offre à moi, une invitation muette, un secret que seuls nos corps savent déchiffrer.Elle s’éveille à peine, ses paupières battent, son regard trouble se pose sur moi, chargé d’un mélange d’incertitude et d’envie, un éclat brûlant qui déchire la tranquillité
LucianoJe la regarde dormir, le drap à peine remonté sur ses hanches, ses cheveux en bataille éparpillés sur l’oreiller comme un chaos doux, sa bouche entrouverte, relâchée, offerte, laissant s’échapper un souffle lent, fragile, presque enfantin, et pourtant il y a dans cette image quelque chose de féroce, quelque chose d’injuste, de désarmant, parce qu’elle est belle sans le vouloir, belle comme un piège, belle comme une erreur qu’on a envie de refaire mille fois.Sa peau nue est encore marquée, par mes doigts, par mes dents, par ma bouche, chaque trace est une empreinte, un sceau, une signature invisible que je suis le seul à savoir lire, un territoire conquis sans violence mais avec une volonté brutale, parce qu’elle est à moi, pas parce qu’elle me l’a dit, ni parce qu’elle m’a supplié de rester, mais parce qu’elle ne peut plus fuir, parce que même si elle partait maintenant, elle m’emporterait sous la peau, et que moi, je ne pourrais plus l’arracher.Je me lève lentement, sentant
GRÂCEJe l’attends dans la pénombre, un verre à la main, les jambes croisées, la robe fendue jusqu’à la hanche, le dos nu, offert comme une promesse, ou une provocation. Le salon sent la lavande, le cuir ancien, et quelque chose d’amer, de plus profond : la peur peut-être, ou le désir mal contenu. Ce parfum-là, je le connais. Je l’ai porté toute ma vie. Je le sers aux hommes comme un poison lent.Il entre sans frapper. Comme toujours. Le patriarche. L’homme que même la mort semble respecter, ou éviter. Son ombre s’étire avant lui. Il ne porte pas son âge. Il l’utilise. Comme une arme. Chaque ride est une cicatrice, un avertissement. Chaque geste est une leçon apprise sur un champ de ruines.— Grâce.Sa voix claque, mate, sèche. Il n’a pas besoin de hausser le ton. Les murs s’inclinent d’eux-mêmes.Je lève les yeux vers lui, lentement, avec ce sourire à peine esquissé qui fait tomber les plus prudents.— Monsieur Valenti. Toujours aussi ponctuel.Il s’approche. Je sais ce qu’il regarde
LucianoJe ne bouge pas.Pas tout de suite.Je laisse son poids contre moi, sa peau moite ruisselante sur la mienne, ses muscles encore tendus par l’orgasme, ses seins collés à moi , sa respiration qui bat trop vite contre ma nuque.Elle croit qu’elle a gagné. Qu’elle a gardé le pouvoir jusqu’au bout.Elle a tort.Je suis calme , patient. Je laisse son corps descendre lentement de son sommet. Je laisse ses cuisses se desserrer, sa bouche s’ouvrir, ses mains glisser contre mes flancs. Puis je parle, doucement, bas, au creux de son oreille.— Détache-moi.Elle hésite une seconde puis deux.Puis elle s’exécute. Elle défait les sangles, lentement. Trop lentement.Je ne bouge toujours pas. J’attends.Quand enfin mes poignets sont libres, je les referme sur ses hanches brutalement.Elle sursaute.— L-Lucia…Je la retourne sans ménagement. Je plaque ses bras au-dessus de sa tête. Je les coince sous une de mes mains. Mon autre paume se referme sur sa gorge.— Tu pensais pouvoir jouer avec moi