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Author: Segnora
last update Last Updated: 2025-05-08 21:23:38

Le vol se posa enfin, et Isabela sentit un léger soulagement l’envahir. Mais lorsqu’elle mit pied à terre à l’aéroport provincial de Palawan, une sensation d’étrangeté l’enveloppa immédiatement. Le contraste avec la frénésie urbaine de Manille était saisissant. Ici, la chaleur était étouffante, plus humide, plus lourde. L'air semblait presque s'accrocher à sa peau, comme si chaque inspiration l’enveloppait d’un poids nouveau.

L’aéroport était petit, rudimentaire même, mais l’effervescence qui régnait là semblait authentique. Des passagers se déplaçaient calmement, des locaux discutaient en groupe, mais tout autour d’elle, Isabela ressentait une lourde curiosité. Les regards se tournaient vers elle, la scrutant à peine, comme si sa présence dans cet endroit si isolé n’était pas tout à fait normale.

Elle serra son sac contre elle, déglutissant pour évacuer le nœud qui se formait dans sa gorge. Ce n'était pas la chaleur qui la gênait, ni même le fait d'être dans un endroit inconnu. Non, c'était cette sensation d'être observée, évaluée, comme un animal de zoo qu'on dévisage sans vergogne. Une fois sortie de l’aéroport, elle aperçut un petit groupe de gens qui semblaient l’attendre. Parmi eux, un chauffeur au regard attentif s’avança vers elle, portant une pancarte indiquant son nom.

Isabela s’en approcha, sans un mot. Il inclina légèrement la tête, un sourire professionnel aux lèvres, mais ses yeux trahissaient un certain agacement, ou était-ce de la méfiance ?

“Madame Reyes,” dit-il simplement, sa voix calme mais ferme. “Je suis à votre service. Suivez-moi, s'il vous plaît.”

L’air ici sentait les plantes trop luxuriantes, les fleurs exotiques, mais il était également saturé de ce parfum lourd de mystère. Le chemin qui menait à la voiture semblait long, chaque pas d’Isabela résonnant dans cette atmosphère d’un autre temps. Le paysage était d’une beauté indescriptible : des collines recouvertes de jungle épaisse, des palmiers s’élevant vers le ciel, des oiseaux colorés volant en formations gracieuses.

Pourtant, il y avait quelque chose de menaçant dans cette nature brute. La végétation semblait presque invincible, comme si elle englobait tout sur son passage. Le silence qui régnait dans cet environnement, à l’exception des bruits lointains de la jungle, donnait une sensation d’enfermement, comme si la nature elle-même refusait d’être domestiquée.

Lorsqu’elle s’installa dans la voiture, un SUV discret mais imposant, le chauffeur démarra sans un mot. Isabela fixa les paysages défiler, tout en restant plongée dans ses pensées. Ses questions se faisaient plus pressantes, mais elle ne savait pas par où commencer. Pourquoi Palawan ? Pourquoi ce nom, Alcaraz ? Et pourquoi ces regards ? Ces derniers, plus insistants qu’auparavant, se faufilaient entre les arbres, derrière les fenêtres de petites maisons en bois qui longaient la route. Quelque chose dans cette ville semblait étrange, comme si les habitants étaient tous complices d’un secret commun.

Isabela observa la nature dense, se demandant si la jungle cachait quelque chose. À Palawan, tout semblait secret, tout était dissimulé derrière un voile de beauté trompeuse. Elle sentit un frisson léger la traverser, bien que la chaleur moite la rendît plus tendue qu’intriguée.

La voiture roula encore un peu avant de se stopper dans un silence imposant. Elle baissa la vitre pour prendre un peu l’air, ses yeux cherchant des repères dans cette terre qu’elle ne connaissait pas, mais qui semblait pourtant la reconnaître.

Le chauffeur tourna la tête vers elle, un léger sourire sur ses lèvres. “Nous arrivons bientôt,” dit-il. Et bien qu’il n’ajoute rien de plus, Isabela comprit qu’à partir de ce moment-là, rien ne serait plus pareil.

La voiture traversa lentement le grand portail en fer forgé, imposant et décoré du blason des Alcaraz, un symbole noble dont les contours étaient presque invisibles sous le poids de l'usure du temps. Le grincement du portail, lourd et solennel, sembla marquer l’entrée dans un autre monde. Les lourdes portes s’ouvrirent dans un éclat de lumière presque dorée, accueillant Isabela dans ce domaine au charme étrange.

L’hacienda s’élevait devant elle, imposante et majestueuse, avec ses murs de pierre recouverts de lierre et de végétation sauvage. Les toits étaient hauts, et les fenêtres à guillotine en bois semblaient veiller, inaccessibles. Mais malgré la splendeur initiale, un certain air de délabrement marquait les lieux. La peinture sur les murs s’écaillait, certaines pierres étaient fissurées, et les jardins, autrefois soignés, étaient aujourd’hui envahis par des plantes incontrôlées.

Isabela se sentit envahie par une admiration mêlée de malaise. La maison semblait figée dans le temps, comme si elle n’avait pas changé depuis des décennies, voire des siècles. Tout autour d'elle respirait une grandeur disparue, un éclat passé, mais qui portait encore les cicatrices de l'abandon. Le vent marin, chargé de sel et d’humidité, soufflait doucement à travers les arbres, apportant avec lui une odeur de mer et de terre humide.

Elle s’arrêta un instant, observant la vue qui se déployait devant elle : un large panorama sur la mer d’un bleu profond, où les vagues se brisaient contre les rochers escarpés. La lumière du soleil déclinant se reflétait sur l’eau, créant une scène presque irréelle. C’était une beauté sauvage, indomptée, mais aussi inquiétante.

*Est-ce vraiment ici que ma mère a vécu ?* pensa Isabela en frissonnant. Les échos de la mer semblaient chuchoter des secrets, mais elle ne savait pas lesquels.

Le chauffeur, après avoir fait une pause, descendit de la voiture, puis ouvrit la porte d’Isabela. "Bienvenue à l’hacienda Alcaraz," dit-il d’un ton sec, avant de faire un signe de tête. Elle le remercia d’un murmure et sortit prudemment de la voiture, les pieds heurtant le sol de terre battue, dur et rugueux sous ses talons.

À chaque pas qu’elle faisait vers l’entrée, elle sentait le poids de l’histoire de cet endroit, comme si les murs eux-mêmes la surveillaient. Elle leva les yeux et aperçut les grandes portes en bois sculpté de l’hacienda. Elles étaient larges, sombres et avaient un air de passé révolu. Des motifs floraux complexes ornaient les battants, et des détails d’or et d’ivoire restaient visibles malgré le passage du temps.

Elle s’arrêta un instant, observant un coin de jardin où des fleurs sauvages poussaient sans contrôle, formant un contraste frappant avec l’architecture impeccable mais vieillissante de la maison. Une vieille fontaine en pierre, ébréchée, se trouvait dans le jardin, l’eau s’écoulant faiblement, murmurant de petites histoires d’un autre temps.

Un frisson la traversa à l’idée de découvrir l’intérieur de cette demeure ancestrale. Chaque pièce semblait renfermer un secret, chaque recoin semblait avoir été témoin de milliers de vies et de mystères.

Isabela franchit le seuil de la maison Alcaraz, ses yeux scrutant les détails d’un lieu qui semblait aussi riche en histoire qu’en mystère. Le hall d’entrée s’étendait devant elle, vaste et majestueux, mais le sol en marbre craqué témoignait des années d’usure et du passage du temps. Chaque pas qu’elle faisait résonnait dans l'immensité de la pièce, avec un écho qui lui donnait l'impression d'être une étrangère dans un lieu qui ne l'avait pas vue depuis trop longtemps.

Les chandeliers en fer forgé, fixés aux murs, étaient éteints et poussiéreux, leur éclat d'antan noyé sous des couches d'oubli. Leurs bras tordus semblaient figés dans le temps, comme s'ils attendaient un événement qui ne viendrait plus. L’air était saturé de l’odeur de cire vieille, d’humidité, et d’un parfum lourd de secrets enfouis. Isabela sentit une tension palpable, presque électrique, dans l’air. Le silence qui régnait dans ce hall était lourd, comme si chaque recoin renfermait un souvenir que personne n’osait revivre.

À droite, une grande cheminée en pierre trônait au fond du hall, ses bords noirs comme l’encre, et au-dessus, un grand portrait d'un homme aux traits sévères et arrogants. Ses yeux semblaient scruter Isabela, l’analysant, la jugeant même. C'était un Alcaraz, sans aucun doute, mais qui exactement ? Elle s'approcha lentement du portrait, une sensation désagréable lui montant à la gorge. C’était comme si cette maison avait été construite sur des fondations de contrôle et de mystère, et qu’elle-même n’était qu’une intruse, bien qu’elle porte le nom d’un Alcaraz.

Les murs étaient tapissés de portraits, tous semblant appartenir à des générations passées. Les regards durs et perçants des ancêtres la suivirent dans ses déplacements, et un frisson parcourut sa colonne vertébrale. Ces visages austères lui donnaient l’impression d’être constamment observée, jugée, comme si la moindre erreur ou le moindre faux pas pouvait réveiller des esprits en colère.

L’odeur de cire chaude, mélangeant le parfum d'anciens meubles en bois et de tissus qui avaient vieilli dans l'ombre, enveloppait Isabela à chaque mouvement. Elle respira profondément, essayant de se concentrer, de rationaliser cette atmosphère qui semblait lui faire écho dans le fond de son âme. Tout ici respirait l’opulence passée, la grandeur d’une époque révolue, mais cette richesse semblait dénuée de chaleur, une richesse vide, gelée dans le temps.

À l’opposé du hall, une grande porte en bois sculpté menait à un salon encore plus vaste, son seuil décoré de dorures fanées. Des meubles anciens, presque trop lourds et imposants, étaient disposés de manière symétrique. Sur une table, des objets anciens – des vases en porcelaine, des livres reliés de cuir – étaient disposés avec une précision qui frôlait l’obsession. L’ensemble semblait soigneusement mis en scène, comme pour dissimuler quelque chose sous la surface, quelque chose qui n’était pas visible au premier coup d’œil.

Isabela hésita un instant, se demandant par où commencer. Les portraits des Alcaraz la fixaient toujours, leurs regards si intenses qu’elle avait l’impression que la maison elle-même la regardait, attendant de voir si elle allait se conformer à un rôle qui lui échappait encore.

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