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Chapitre 2: gueule de bois et talons trop hauts

Author: Millie
last update Last Updated: 2025-05-08 05:15:43

Elle se lève, nue sous un teeshirt trop grand pour elle. Pas à elle. Erwane. Ou peut-être l’autre d’avant. Elle ne fait même plus attention. Ce qu’elle sait, c’est que la machine à café lui fait la gueule, que son loyer est en retard de deux semaines, et qu’elle a oublié qu’elle bossait aujourd’hui.

“Merde. MERDE.”

Elle se rue dans la salle de bain, glisse sur une culotte jetée par terre, manque de s’étaler, se rattrape au lavabo comme une héroïne de sitcom qui aurait trop baisé et pas assez dormi. Dans le miroir, elle se regarde, tire la langue, et dit tout haut :

“Barbara Dolce, vingt-quatre ans, cœur en morceaux, chatte affamée, crédibilité au fond des chiottes. Bravo, ma grande.”

Elle se lave à la va-vite, coiffe ses boucles rebelles en un chignon approximatif, enfile un pantalon noir froissé et une chemise blanche tachée de rouge à peine visible — du vin ? Du rouge à lèvres ? Peu importe.

Son téléphone vibre. Un message de Mélanie, sa collègue du cabinet juridique :

« Le client est arrivé. Et ton tailleur est sur mon bureau. Encore une nuit agitée, Miss Dolce ? »

Barbara lève les yeux au ciel. Elle a trois minutes pour courir au bureau, gérer un client qu’elle ne connaît pas, et avoir l’air d’être une adulte responsable. Elle envoie un message vocal en retour :

“Dis-lui de patienter cinq minutes. Et dis à mon tailleur qu’il ferait mieux d’apprendre à rentrer tout seul à la maison.”

En bas, le soleil tape trop fort pour un cœur brisé. Le monde entier a décidé d’aller bien, et elle, elle a l’impression d’être la seule à marcher en équilibre instable entre un boulot stressant et une vie sentimentale qui ressemble à un épisode supprimé de “desperate ex girfriend”.

Arrivée au cabinet, elle passe la porte comme une tornade mal habillée. Mélanie lui tend un café brûlant sans rien dire, avec un sourire moqueur et des sourcils qui disent « encore un mauvais choix ? »

— Dis rien. Juste… dis rien.

Mélanie rit doucement.

— Il est mignon, le client. T’as peut-être une chance de te rattraper avec lui. Si tu restes éveillée, bien sûr.

Barbara lève les yeux vers le bureau vitré où un homme en costume impeccable feuillette des documents avec sérieux. Elle se redresse, ajuste sa chemise comme si ça pouvait effacer les plis et les regrets, et entre dans la pièce d’un pas faussement assuré.

— Bonjour, je suis Maître Dolce. Veuillez m’excuser pour le retard. Vous me disiez… ?

Le client lève les yeux vers elle. Beau. Trop beau. Le genre qui te ferait croire en la justice même si tu sais qu’elle dort dans un tiroir. Il lui tend la main, et elle sent une chaleur inhabituelle lui monter au visage. Elle espère juste que ça ne se voit pas.

Pendant qu’elle l’écoute parler de son litige commercial, une partie de son cerveau tourne en boucle : Fais semblant d’être concentrée, oublie Erwane, ne pense pas à la nuit dernière, inspire, expire, souris.

Mais une autre partie d’elle pense : Il sent bon. Trop bon. Pas comme l’autre con.

La réunion dure vingt-cinq minutes. Elle réussit à être brillante par automatisme. Ses réponses sont nettes, ses conseils précis. Elle sait ce qu’elle fait, même quand son cœur est en loques. C’est ce qui la sauve. Son boulot, c’est son armure. Même si parfois, elle aimerait pouvoir la déposer quelque part, juste un moment.

Quand le client part, elle referme la porte doucement, s’appuie contre et laisse échapper un petit rire nerveux.

Mélanie l’observe de loin, un sourcil levé.

— T’as une gueule de lendemain d’amour toxique.

— C’est pas faux.

— Il t’a re-re-re-re-re-texté ?

— Il est venu.

— Tu l’as laissé entrer ?

Barbara ne répond pas. Mais son silence parle pour elle.

— T’as besoin d’une retraite spirituelle. Ou d’une électrocution affective.

— J’hésite entre les deux. Avec du vin rouge, et une pizza.

Elle retourne dans son bureau, ferme la porte, et s’effondre sur sa chaise. Son téléphone clignote. Un appel d’Erwane, elle ne décroche pas, elle hésite. Trop de boulot, de stress à ce moment là pour parler avec lui. Elle n’oublie pas comment il est parti la nuit dernière. Encore une fois, comme une habitude toxique bien rodée.

Barbara soupire et murmure :

— Un jour, je lui dirai non. Un vrai non. Peut-être demain.

Mais au fond, elle sait que demain est un mensonge qu’on se raconte pour survivre à aujourd’hui.

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