La journée avait pourtant commencé comme une autre.Barbara avait enfilé son tailleur noir comme on enfile une carapace. Talons modérés - parce qu’elle n’avait plus l’énergie de souffrir pour l’esthétique. Elle était arrivée au cabinet avec douze minutes d’avance, un café dans une main et une volonté féroce de ne penser à rien.Erwane n’était plus qu’un souffle dans sa mémoire, disait-elle à Mélanie, mentait-elle à elle-même.Mais il y a des jours où le passé ne se contente pas de rester assis bien sagement dans le rétroviseur. Parfois, il vous double par la droite et vous fait un doigt d’honneur au feu rouge.Tout commence avec un dossier.Une affaire de succession compliquée, un client hautain, des documents à analyser. Barbara s’enfonce dans le travail comme on plonge sous l’eau pour ne plus entendre le bruit du monde. Elle lit, surligne, annote.Et puis elle tombe sur un nom.Erwane LeclercElle cligne des yeux.Le dossier est épais. Elle vérifie. Encore. C’est bien lui. Même nom,
Il est 7h03 quand elle ouvre les yeux.La lumière filtre à travers les rideaux à moitié tirés. L’air est tiède. Trop calme. Elle tend la main.Vide.Barbara reste figée quelques secondes. Le drap est encore froissé à côté d’elle, mais froid. Pas depuis longtemps. Juste assez pour qu’elle sache qu’il est parti sans un mot. Encore.Elle aurait dû s’en douter. C’est leur danse. Il revient, s’invite, promet rien, repart. Et elle, elle fait semblant de ne pas saigner. Elle joue à l’amnésique du cœur. Elle espérait quoi, au juste ? Un petit-déj à deux ? Des excuses ? Une phrase avec un futur ?Elle se redresse dans le lit, fixe le plafond. Une part d’elle veut se rendormir. L’autre veut tout brûler. Elle soupire, attrape le t-shirt trop grand posé sur la chaise — celui d’Erwane, probablement. Ça lui donne envie de le jeter par la fenêtre. Elle l’enfile quand même. Faiblesse ou rituel, elle ne sait plus.Dans la cuisine, une tasse de café l’attend. Encore chaude. Il l’a préparée.Elle hésite
Il est 23h12 quand elle entend taper à sa porte. Pas frapper. Taper. Comme quelqu’un qui ne sait pas s’il veut qu’on lui ouvre ou s’il veut juste qu’on entende qu’il est là. Barbara lève les yeux de son écran, hésite une demi-seconde, puis se lève sans bruit. Elle connaît ce rythme. Trois coups rapides, un silence, puis un dernier. Erwane. Elle ouvre sans rien dire. Il est là, adossé au mur, les mains dans les poches, l’air de celui qui s’est perdu en chemin mais qui refuse de demander son chemin. - T’as encore oublié ton ego ici, ou c’est juste mon lit qui te manque ? Il esquisse un sourire. Celui qui la fait toujours vaciller. Celui qu’elle déteste aimer. - Je passais dans le coin. - Le coin, c’est ton ex qui vit à trois rues, ou la supérette ouverte jusqu’à minuit ? Il hausse les épaules. Elle le déteste un peu plus pour être si beau dans sa chemise froissée et ses excuses invisibles. - Je peux entrer ? Elle devrait dire non. Claquer la porte. Se faire une tisane, lire u
Elle se lève, nue sous un teeshirt trop grand pour elle. Pas à elle. Erwane. Ou peut-être l’autre d’avant. Elle ne fait même plus attention. Ce qu’elle sait, c’est que la machine à café lui fait la gueule, que son loyer est en retard de deux semaines, et qu’elle a oublié qu’elle bossait aujourd’hui. “Merde. MERDE.” Elle se rue dans la salle de bain, glisse sur une culotte jetée par terre, manque de s’étaler, se rattrape au lavabo comme une héroïne de sitcom qui aurait trop baisé et pas assez dormi. Dans le miroir, elle se regarde, tire la langue, et dit tout haut : “Barbara Dolce, vingt-quatre ans, cœur en morceaux, chatte affamée, crédibilité au fond des chiottes. Bravo, ma grande.” Elle se lave à la va-vite, coiffe ses boucles rebelles en un chignon approximatif, enfile un pantalon noir froissé et une chemise blanche tachée de rouge à peine visible — du vin ? Du rouge à lèvres ? Peu importe. Son téléphone vibre. Un message de Mélanie, sa collègue du cabinet juridique : « Le c
⁃ Tu vas rire, mais j’ai encore couché avec Erwane . Ouais. Erwane. Le même Erwane que j’ai ghosté pendant deux mois, qui n’a pas su me choisir lorsque je l’ai posé un ultimatum ( moi ou l’autre fille ), qui m’a traitée de ‘dépendante affective’ - j’adore ce terme - et qui revient toujours quand sa meuf le délaisse. Bref. Je sais ce que tu vas dire. Je suis faible. J’ai besoin de thérapie. Et de lubrifiant de qualité. Je sais.” La voix de Barbara résonne dans le silence de sa chambre, capturée par le dictaphone de son téléphone. Elle s’est mise à enregistrer des mémos vocaux au lieu d’écrire un journal. C’est plus rapide, plus vrai, plus… elle. En face d’elle, son reflet dans le miroir la juge. Soutien-gorge noir jeté au sol, cheveux encore en bataille : elle ressemble à une mauvaise idée en pleine gueule de bois émotionnelle. “C’est pas que le sexe était mauvais, hein. C’est même ça, le problème. Erwane, c’est comme une chanson qu’on a trop écoutée : on connaît tous les refrains