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Chapitre 4 : Le matin d’après

Author: Millie
last update Last Updated: 2025-05-10 05:03:29

Il est 7h03 quand elle ouvre les yeux.

La lumière filtre à travers les rideaux à moitié tirés. L’air est tiède. Trop calme. Elle tend la main.

Vide.

Barbara reste figée quelques secondes. Le drap est encore froissé à côté d’elle, mais froid. Pas depuis longtemps. Juste assez pour qu’elle sache qu’il est parti sans un mot. Encore.

Elle aurait dû s’en douter. C’est leur danse. Il revient, s’invite, promet rien, repart. Et elle, elle fait semblant de ne pas saigner. Elle joue à l’amnésique du cœur. Elle espérait quoi, au juste ? Un petit-déj à deux ? Des excuses ? Une phrase avec un futur ?

Elle se redresse dans le lit, fixe le plafond. Une part d’elle veut se rendormir. L’autre veut tout brûler. Elle soupire, attrape le t-shirt trop grand posé sur la chaise — celui d’Erwane, probablement. Ça lui donne envie de le jeter par la fenêtre. Elle l’enfile quand même. Faiblesse ou rituel, elle ne sait plus.

Dans la cuisine, une tasse de café l’attend. Encore chaude. Il l’a préparée.

Elle hésite devant la tasse comme devant une lettre piégée. Un dernier geste, peut-être sincère, peut-être lâche. Comme si la chaleur de la boisson pouvait compenser le froid de l’absence.

Elle la prend. Boit une gorgée. Trop amer. Trop fort. Parfait résumé de leur relation.

Elle reste debout, dos au plan de travail, à fixer la table vide.

Elle pense à la veille. À ses bras. À ce court moment de tendresse où elle a cru qu’il allait rester. Pas pour le sexe. Pas pour le confort. Juste pour elle.

Elle pense à tout ce qu’il ne dit jamais. Aux mots coincés dans sa gorge. Aux promesses muettes qu’il oublie à chaque au revoir.

Elle ouvre son téléphone. Rien.

Alors elle se filme en story. Boucles en vrac, regard cerné, tasse à la main.

“Petite pensée du matin : si un homme part sans bruit, c’est qu’il n’a jamais appris à faire du bruit pour toi. Next.”

Elle met un filtre mignon, ajoute un cœur rose par pur sarcasme. Elle sait que Mélanie va réagir dans l’heure avec un « TU L’AS RE-LAISSÉ ENTRER ?? ». Elle répondra plus tard.

En attendant, elle sort sur le balcon avec sa tasse, regarde les gens pressés en bas. Joggeurs en legging fluo. Couples qui ne se parlent plus. Étudiants en retard. Le monde vit. Et elle, elle survit.

L’air est frais. Un peu trop pour son t-shirt. Elle frissonne, mais ne rentre pas.

Elle pense à leur première nuit. À ce moment suspendu, où il avait pris sa main sans rien dire. Où elle avait senti, au creux de son ventre, que ça allait faire mal un jour. Mais elle était restée. Parce qu’elle voulait croire qu’elle valait le risque.

Elle pense à toutes les fois où elle aurait dû dire non. Fermer la porte. Couper court. Mais il avait ce truc. Ce ton de voix. Ce regard presque désolé. Et elle, elle avait ce foutu espoir tenace.

Son téléphone vibre. Elle sursaute. Espère, malgré elle.

Mélanie.

« J’ose espérer que ce café a été préparé par un homme repentant et non par une illusion sentimentale. »

Elle sourit. Tape vite :

« Illusion 2.0. Même parfum, même connerie. »

« Un jour on t’électrocutera pour de bon. Avec style. »

« Je veux une pizza et un exorcisme. Pas forcément dans cet ordre. »

Elle reste un moment à discuter avec elle, en silence, dans sa tête. Mélanie a toujours le mot juste, ou le sarcasme qu’il faut. Parfois, c’est presque de l’amour, ce qu’elles vivent. Une sororité brute, sans filtre, sans fleurs.

Elle rentre. L’appart est silencieux, trop propre. Trop vide. Elle tourne en rond quelques secondes, puis attrape son agenda. Aujourd’hui, trois dossiers urgents. Une réunion avec un client difficile. Un appel de sa mère à ignorer encore un jour ou deux.

Elle retourne à la salle de bain, lance la douche. L’eau est brûlante, comme elle aime. Elle reste longtemps sous le jet. Plus longtemps que d’habitude. Laisse couler les regrets, les mots jamais dits, les images d’Erwane torse nu dans sa cuisine à minuit. Elle essaie de les effacer, sans succès.

Elle se sèche vite, enfile un tailleur noir impeccablement repassé. Maquillage précis. Liner net. Fond de teint couvrant.

Chaque geste est une barrière. Chaque couche, une protection.

Devant le miroir, elle s’arrête.

Ses yeux sont encore rouges. Pas de larmes. Juste l’usure. L’accumulation.

Elle se parle à haute voix. Comme un rituel. Comme un mantra.

- Barbara Dolce. Vingt-quatre ans. Cœur cabossé. Regard clair. Plus jamais prise pour acquise.

Elle ajuste son col. S’asperge de parfum.

Avant de sortir, elle écrit une note sur le miroir, au rouge à lèvres :

« Ne pas oublier : tu mérites mieux. Même les jours gris. »

Et elle part.

Elle traverse la rue comme une femme pressée de vivre. Ou de fuir. Les deux.

Mais à chaque pas, elle sent un peu moins son absence.

C’est pas la fin. C’est pas encore la guérison. C’est une transition. Un seuil. Un bord de falaise.

Et elle commence enfin à regarder vers l’horizon.

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