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Chapitre 3 : Le retour d’Erwane

Author: Millie
last update Last Updated: 2025-05-10 05:00:34

Il est 23h12 quand elle entend taper à sa porte.

Pas frapper. Taper. Comme quelqu’un qui ne sait pas s’il veut qu’on lui ouvre ou s’il veut juste qu’on entende qu’il est là. Barbara lève les yeux de son écran, hésite une demi-seconde, puis se lève sans bruit. Elle connaît ce rythme. Trois coups rapides, un silence, puis un dernier. Erwane.

Elle ouvre sans rien dire.

Il est là, adossé au mur, les mains dans les poches, l’air de celui qui s’est perdu en chemin mais qui refuse de demander son chemin.

- T’as encore oublié ton ego ici, ou c’est juste mon lit qui te manque ?

Il esquisse un sourire. Celui qui la fait toujours vaciller. Celui qu’elle déteste aimer.

- Je passais dans le coin.

- Le coin, c’est ton ex qui vit à trois rues, ou la supérette ouverte jusqu’à minuit ?

Il hausse les épaules. Elle le déteste un peu plus pour être si beau dans sa chemise froissée et ses excuses invisibles.

- Je peux entrer ?

Elle devrait dire non. Claquer la porte. Se faire une tisane, lire un livre, devenir une femme mature avec des limites et de la dignité.

À la place, elle s’écarte.

Il entre comme une habitude, comme un soupir trop long. Il connaît le chemin jusqu’à la cuisine. Il ouvre le frigo, grimace.

- Toujours pas de bière.

- C’est presque comme si je voulais que tu partes vite.

Il referme la porte du frigo, s’accoude au plan de travail. Elle observe ses mains. Grandes. Capables de douceur, parfois. Capables de lui faire croire qu’elle compte.

- Je t’ai appelée hier, dit-il enfin.

- Et ?

- T’as pas répondu.

Elle croise les bras. Se retient de dire qu’elle l’a vu, qu’elle a hésité, qu’elle a failli. Se retient aussi de lui dire que ça lui a fait mal. Trop mal.

- J’avais mieux à faire. Genre dormir. Pleurer. Me reconstruire, tu sais, les classiques.

Il s’approche. Trop près. Il sent encore son shampoing. Il a toujours ce don pour sentir la maison qu’elle n’a jamais eue.

- Je suis pas venu pour coucher, dit-il doucement.

- C’est nouveau.

- Je voulais te voir. Vraiment.

Elle le fixe. Essaie de voir s’il ment. Mais il ne ment pas. Pas ce soir. Ce soir, il est fatigué, flou, sincère d’une sincérité éphémère.

- T’as l’air épuisé, dit-elle.

- Je dors mal. Quand je suis pas ici.

- T’y dors pas mieux quand t’y es.

Il sourit, un peu triste.

- C’est vrai. Mais j’ai moins peur du noir.

Elle souffle, s’appuie contre le plan de travail.

- Et moi, je voulais que tu restes. La dernière fois. Mais t’es parti sans rien dire. Encore.

Il baisse les yeux. Silence. Encore.

- Je suis paumé, Barbie.

Elle rit, amer.

- Moi aussi. Mais tu me perds plus que tu ne te perds toi-même.

Il ne dit rien. Ne promet rien. Ne s’excuse même pas.

Alors elle s’approche. Le serre dans ses bras. Fort. Trop fort.

Et pendant un instant, ils se taisent ensemble. Deux épaves en équilibre.

Puis elle murmure :

- T’as deux options. Tu dors ici, sur le canapé. Ou tu pars maintenant. Mais demain matin, je veux pas te voir quitter mon lit comme un voleur de sentiments.

Il hoche la tête. L’accepte. Elle ne sait pas ce qu’il va choisir. Mais elle sait qu’elle, ce soir, a dit ce qu’il fallait.

C’est pas une victoire. Mais c’est un début.

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