Je me réveille. Le soleil a à peine percé les rideaux. Je me sens comme si je n'avais pas dormi depuis des jours. Le 24 juillet, premier jour de mes congés, et je regrette déjà de ne pas être dans mon salon de coiffure. J'aurais préféré que cette planche de Ouija reste silencieuse à jamais. J'aurais même souhaité que Victoria m'ait fait une blague, que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve. Mais le souvenir de ses larmes est trop frais pour que je doute. On ne peut pas inventer une telle horreur et pleurer ainsi.
Hier soir, avant de nous effondrer, nous avons tout revu en détail. Victoria m'a parlé des visages qu'elle a vus, de la paix qui régnait quand les esprits partaient, et de la porte du paradis qui s'ouvrait pour eux. Elle m'a confié qu'elle comprenait enfin son rôle : elle est là pour guider les âmes perdues, les aider à trouver la lumière. Elle sent qu'il y a un mystère lié à son don, mais elle n'arrive pas encore à le saisir.
Peut-être que c'est stupide, mais je suis jalouse.
Victoria est la fille parfaite. Des cheveux bruns, des yeux noisette, une peau mate sans imperfection. Au lycée, toutes les filles rêvaient de lui ressembler. Le pire, c'est qu'elle n'est pas arrogante pour un sou. Elle est gentille, douce, attentionnée. La petite dernière que tout le monde adore. Même moi, je suis incapable de lui dire non. Je l'aime, évidemment, mais parfois ça m'énerve. Comme si être parfaite ne suffisait pas, il a fallu qu'elle ait un don surnaturel.
Mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort. Nous avons des problèmes plus pressants. Selon Victoria, le départ des âmes a libéré une énergie dans la maison. Maintenant, il ne reste que l'homme, et le Diable.
Satan. Lucifer. Peu importe comment on l'appelle. Il est toujours là.
Il a empêché l'homme de nous faire du mal, mais à quel prix ? Toute la nuit, un vacarme assourdissant est venu de ma chambre. Des cris d'agonie, des bruits de chaînes, comme si un combat se déroulait au-dessus de nos têtes. Je suis certaine qu'il a torturé cet esprit. Nous nous sommes endormies à l'aube, épuisées.
Je vois Victoria émerger de la chambre. "Salut Vic, bien dormi ?" dis-je. (Bien sûr que j'ai dormi avec ma petite sœur. Le Diable a torturé un homme au-dessus de ma tête. C'était la seule option.)
"Pas vraiment, mais ça va," répond-elle en s'étirant.
"J'ai une question," dis-je en me tordant les mains. "Tu penses que c'est dangereux si je retourne dans ma chambre ? J'ai besoin de mon chargeur et de quelques vêtements."
"Hmm, je pense que ça devrait aller, tant qu'il fait encore jour," répond Victoria après une courte réflexion. "Tu veux bien venir avec moi ?"
"D'accord. Mais fais vite," dit-elle en se levant. "Je n'ai jamais aimé aller au deuxième étage, déjà avant tout ça."
Je me lève et la suis jusqu'au couloir. Arrivées devant l'escalier, elle s'arrête. Son regard se fige, un mélange de peur et d'angoisse. Je lève les yeux à mon tour et commence à monter les marches, une à une, avec la prudence d'un chat. À chaque pas, mon corps se fige davantage, une lourdeur immense m'écrase la poitrine. Je ressens une oppression étouffante. Mon souffle devient court. L'air semble glacé, comme si le givre s'était installé dans mes poumons.
Une fois dans ma chambre, des frissons parcourent mon corps. Si Victoria n'avait pas été là, j'aurais fait demi-tour à la moitié des marches. Je me précipite pour attraper des vêtements, beaucoup plus que nécessaire. Je ne veux plus jamais revenir ici. Une fois dehors, nous courons jusqu'à la chambre de Victoria. Je pose mes affaires sur son lit, tentant de reprendre mon souffle. Victoria s'effondre avec un long soupir.
"T'as vu quelque chose ?" j'ose demander.
"Non, juste ce sentiment bizarre," répond-elle.
"Pareil."
"On va prendre notre douche ?" propose-t-elle.
"Bonne idée."
La salle de bain est petite, mais c'est notre sanctuaire. À gauche, la douche. Un petit muret la sépare des toilettes. En face des toilettes, le lavabo. On a un rituel étrange : quand on a besoin de parler sans être entendues, l'une se douche pendant que l'autre s'assoit sur la cuvette (fermée, évidemment) et gère la musique. Sous l'eau chaude, je me sens un peu mieux. On parle de ce qui s'est passé, et de ce qui nous attend. Victoria sait qu'elle devra bientôt faire partir l'esprit maléfique, avec l'aide du Ouija. Mais elle sait aussi ce que ça implique : revoir des horreurs, faire face aux portes de l'Enfer.
Quand on sort, on est en sous-vêtements, détendues et propres, prêtes à attaquer une nouvelle journée. Je choisis des vêtements pendant qu'elle se maquille. On parle de choses plus légères. Puis on descend rejoindre maman au rez-de-chaussée. Notre mère agit comme si de rien n'était. On lui a parlé de la séance, mais elle préfère ignorer tout ce qui se passe dans cette maison. Et pourtant, je suis persuadée qu'elle a entendu les cris, cette nuit.
Mercredi soir. Cela fait quatre jours que nous vivons avec le Diable. Rien ne se passe le jour, mais la nuit, les bruits venant de ma chambre empirent. Victoria et moi ne dormons plus. On attend l'aube. On dort ensemble, dans sa chambre.
Ce soir, nous sommes dans le salon, devant la télé. Je reçois un message de maman : "Il se passe un truc bizarre, il faut que vous montiez."
Je montre le texto à Victoria, et nous montons aussitôt. Dans sa chambre, notre mère est en larmes. "Qu'est-ce qu'il se passe ?" demande Victoria. "J'ai entendu un homme crier et une voix grave dire : 'Aidez-moi.' On aurait dit que ça venait juste au-dessus de moi." Maman sanglote. "Je ne veux plus dormir ici."
À peine a-t-elle fini sa phrase que le hurlement retentit. Un cri d'effroi et de douleur, provenant de ma chambre. Des bruits de chaînes résonnent. Je lève la tête et j'ai un flash. Je vois l'homme enchaîné au mur de ma chambre. Des chaînes argentées sortent des murs et l'attachent fermement. Mais je ne vois pas son visage. Il est comme une ombre. Au-dessus de lui, une autre silhouette immense, écrasante. Quand j'essaie de la regarder, une force m'empêche de le faire. Mon regard se détourne de lui, comme s'il était interdit de le voir.
"On ferait mieux de descendre," dis-je doucement.
"Viens, maman," dit Victoria en l'aidant à sortir du lit. Je jette un dernier regard vers le haut de l'escalier, où le silence est revenu pour l'instant.
On installe maman sur le canapé-lit. Elle finit par s'endormir après une demi-heure. Victoria et moi restons à la table, à discuter. Une décision est prise. Demain soir, on fait le Ouija. Ça ne peut plus attendre.
Le lendemain, 23h. Maman est montée se coucher. Victoria et moi préparons la table pour la séance. Bougies. Planche. Silence. Nous nous asseyons face à face.
"On fait comment ? On ne peut pas invoquer directement l'esprit maléfique. Ce serait lui donner trop de pouvoir," dis-je.
"Je sais. Je pense qu'on doit invoquer Jésus et Satan en premier," répond Victoria. Je la regarde, tendue.
"OK, mais Vic, surtout ne panique pas. D'accord ? Je suis là." Elle hoche la tête.
La séance commence. La planche réagit presque immédiatement. "Jésus, nous avons besoin de ton aide pour faire partir l'âme de l'homme qui hante la chambre de Kate. Veux-tu bien nous guider ?" demande Victoria. La goutte glisse sur OUI.
"D'accord. Est-ce que la prochaine étape est d'invoquer Satan ?" OUI.
Nous prononçons son nom. La réponse est instantanée. C'est comme s'il n'attendait que ça. L'atmosphère devient glaciale. Oppressante. Je le sens, debout, juste derrière moi. Mon cœur s'emballe. Mon regard baisse involontairement.
"Vic, il est derrière moi, pas vrai ?" Elle hoche la tête. La goutte dit aussi : OUI.
"Très bien. Prochaine étape, invoquer l'esprit de l'homme ?" OUI.
Nous le faisons. Le Ouija met plus de temps à réagir. Mais l'esprit passe la porte. Je le ressens. Il se place à gauche de Victoria. Je vois une ombre à côté d'elle. Elle devient tendue. Je prends sa main. Elle commence à lui parler, lui demande de suivre Satan en Enfer. Cette fois, il n'y a pas de vision.
Mais au moment de partir, l'homme s'accroche à la seule chose qui le retient encore : le bras de Victoria. Je sens une force tirer sur elle. Des marques rouges en forme de doigts apparaissent sur sa peau. L'oppression devient insupportable.
"AAAAH !" crie-t-elle, en retirant violemment son bras.
Et soudain, tout s'arrête. Le Diable est toujours là, derrière moi. Jésus aussi, à côté de Victoria. Mais l'homme est parti.
Enfin.
Nous clôturons la séance. Victoria et moi espérions que tout ça serait enfin terminé. Le silence est revenu dans la maison. Mais un nouveau poids s'est installé. Quand ma sœur a baissé les yeux, j'ai vu la marque rouge sur son bras. Et quand j'ai levé les yeux, dans un des reflets de la bougie, j'ai cru voir la forme d'un visage me sourire.
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Mardi:Ce matin-là commençait de manière ordinaire. La lumière du soleil matinale se frayait un chemin à travers les rideaux, et l'odeur du café fraîchement préparé par Vic était omniprésente dans la cuisine. Emma était déjà à table, tartinant du pain avec de la confiture."Bon, sérieux, tu veux du pain avec ta confiture ou c’est le contraire?" dis-je, amusée.Elle haussait les épaules. "On est en vacances, il faut en profiter."Vic leva les yeux au ciel en déposant les tasses fumantes sur la table.Alors que j’approchai ma main de la table pour prendre le sucre, mon symbole, le croissant de lune, réapparut tout à coup, l’espace d’un instant. J’enlevai ma main rapidement, priant pour qu’Emma n’ait rien vu.Mais elle plissa les sourcils. "Vous avez vu ça?" demanda-t-elle, les yeux rivés à la table."Vu quoi?" répondis-je, un peu trop vite sans doute.
On passa une bonne journée toutes les trois. Je ne dis rien à Victoria pour la dispute avec maman. Ça ne sert à rien de toute façon, puis Rose a accepté de m'aider pour payer les courses de cette semaine. Le soir, on décida de regarder un film. On s'est installées sur le canapé, Victoria au milieu, Emma d'un côté et moi de l'autre. Le film était un drame romantique.Soudain, le film s'est mis à saccader. Les images se sont figées, le son a disparu, et l'écran est devenu gris. "Le film est tellement ennuyeux qu'il a cassé la télé ?" lança Emma, en riant."Ha ha, très drôle," répondit Victoria, sarcastiquement. On a essayé d'éteindre et de rallumer, de débrancher, mais rien à faire. La télévision est restée éteinte."Peut-être qu'il est temps d'aller dormir," ai-je
PDV de VictoriaJe me suis réveillée avec la sensation d'un doux sable chaud sous mes pieds. C'était l'aube, et le soleil qui se levait inondait la plage d'une lueur dorée. Un homme était assis devant moi, le dos tourné, regardant l'horizon. Ses épaules larges et la façon dont ses cheveux blonds, illuminés par le soleil, tombaient sur sa nuque me donnaient un sentiment de sécurité et de paix. Je me suis avancée, mon cœur battant doucement, comme le bruit des vagues. Quand il s'est tourné, il a souri. Il avait des yeux d'un bleu clair et un sourire rassurant."On se revoit," a-t-il dit."On se connaît?" ai-je demandé, surprise."Pas encore. Mais on se connaîtra. Notre lien est en train de se
Je finis par m'endormir, juste pour tomber dans un nouveau rêve, ou peut-être plus un cauchemar. J'étais dans une sorte de forêt. Tout y était si sombre que l'ambiance était presque suffocante. Je ne savais pas où j'allais, je marchais juste tout droit. De toute façon, il faisait trop noir pour savoir où j'étais, et encore moins où j'allais.Au bout de quelques minutes à marcher sans but, j'arrive dans une clairière. Bizarrement, elle est parsemée de fleurs rouges, et ces fleurs semblent éclairer l'endroit. Pour une raison inconnue, je m'arrête net au milieu de cette clairière. C'est comme si je ne contrôlais pas mon propre corps. Une lumière rouge apparaît d'un coup devant moi. Plus elle s'approche, plus je remarque que ce n'est pas une simple lumière : ce sont des yeux.Ils se rapprochent lentement de moi. Les yeux q
La maison semblait plus calme depuis quelques jours. Un calme trompeur. Le silence s'était installé partout, si épais qu'il me donnait l'impression d'être prisonnière d'une bulle étouffante. Même Victoria, d'ordinaire rassurante, parlait moins. Comme si elle craignait que ses mots suffisent à réveiller ce que nous tentions d'oublier.Mais il y avait une vérité à laquelle je ne pouvais plus échapper : nous n'avions pas rêvé. Pas inventé. Pas exagéré. Quelque chose vivait ici, et nous en faisions désormais partie.Cet après-midi-là, nous allions monter au grenier pour ranger le troisième grimoire. Ni elle ni moi n'osions le laisser traîner. Ce livre avait une présence trop forte, trop lourde, pour qu'on le considère comme un simple objet."On le cache dans la viell
L'odeur du café flottait dans la cuisine, mêlée à celle du pain grillé. Victoria était déjà installée à la table, les cheveux en bataille, emmitouflée dans une couverture trop grande. Elle tournait doucement sa cuillère dans sa tasse, l'air ailleurs. Je suis entrée quelques instants plus tard, encore en pyjama, les yeux mi-clos."C'est quoi ce silence ? T'as tué la cafetière ou tu médites sur l'existence ?""Je réfléchis," répondit Vic en haussant à peine les épaules. "C'est pas interdit."J'ai esquissé un sourire en coin et me suis installée en face d'elle. Notre mère était partie la veille chez mon frère aîné pour la semaine. Elle avait dit vouloir "aider un peu avec les enfants". Une excuse simple, mais qui nous donnait l'espace dont nous avions besoin."Tu penses à tout ce bazar ? Les bruits, les rêves ?""Ouais. Et aussi au fait qu'on ne peut pas juste être normales deux secondes. J'ai envie d'un jour sans fantômes. Tu crois que c'est trop demander ?"J'ai ri doucement. "Viens, o