L’aube se levait à peine sur le village d’Héméra. Un voile de brume pâle rampait sur le sol détrempé, comme si la terre elle-même voulait effacer les traces de la nuit. La maison aux volets fermés, ébranlée par l’attaque des chasseurs, tenait encore debout, fière et mystérieuse. Un silence étrange régnait dans ses murs, mêlé de cendres, de sueur, et de secrets à peine dévoilés.
Alma était assise dans la grande salle, près de l’âtre encore tiède. Liora avait pansé la coupure à son bras, Marcus avait disparu sans un mot, parti "vérifier les alentours" disait-il. Mais Alma savait qu’il avait besoin de solitude, comme elle-même avait besoin de réponses. Elle sentait encore dans ses veines la brûlure du pouvoir qu’elle avait libéré malgré elle — ce cri animal, ce frisson dans la nuque, ce moment où le monde avait ralenti autour d’elle alors que ses sens s’aiguisaient. Elle avait vu, senti, anticipé. Une force ancienne, brutale et Lettre après lettre, Iseult dépeignait un monde souterrain, invisible aux simples humains, régi par les cycles lunaires, les pactes de sang, les trahisons sacrées. Elle parlait d’alliés cachés, de lignées effacées des livres d’histoire, de sorcières devenues gardiennes des forêts pour fuir la souillure des hommes. À travers ses mots, une carte se dessinait — une cartographie oubliée d’un monde magique, violent, et profondément enraciné dans la mémoire du vivant. Mais ce ne fut qu’à la neuvième lettre qu’Alma découvrit une vérité qui fit chanceler son cœur. Lettre 9 : Ma chère enfant, Si je t’ai tant protégée, c’est aussi parce que ton sang n’est pas uniquement le fruit de notre lignée… Il y a en toi quelque chose d’ancien, d’interdit. Ton père n’était pas un simple homme. Il appartenait au sang du Clan des Déchus. Ils ne t’ont jamais trouvée parce que j’ai dissimulé ton nom lors du rituel de la pleine lune. J’ai effacé ton empreinte du cercle des descendants. Mais désormais, tu es visible pour eux. Ton éveil a brisé les sceaux. Et ils viendront. Ezral est encore vivant. Il règne dans les terres mortes, là où la forêt se fane. Et il cherche “la progéniture du croisement” — celle qui peut ouvrir le Cœur de la Lune. Ce Cœur… est une relique. Une pierre de sang que j’ai volée, jadis, et cachée dans les fondations de la maison. Elle te reconnaîtra. Et elle te mettra à l’épreuve. Mais souviens-toi, Alma. Si tu cèdes à la colère, si tu laisses la bête régner sans ton cœur, tu ne seras plus jamais toi-même. Tu deviendras leur arme. Leur reine. Leur perte… Alma relut la lettre une deuxième fois. Une troisième. Le cœur de la lune. Le croisement. Un père qu’elle n’avait jamais connu, et qui portait le sang d’un ennemi ancestral. Un poison dans ses veines ? Ou une force inédite ? Elle sentit le goût amer de la peur, mais aussi une énergie nouvelle, froide et vibrante, naître dans son ventre. Elle se leva, rassembla les lettres et chercha dans les fondations comme l’indiquait Iseult. Sous une dalle légèrement fissurée, elle trouva une pierre lisse et noire, à peine plus grande qu’un galet. Mais en la touchant, elle recula brusquement. La pierre saignait. Une fine ligne rouge s’en échappait, comme si elle pleurait un sang ancien. Et Alma entendit. Pas avec ses oreilles, mais dans sa tête, dans son âme. Tu es née de la rupture. Tu es le choix. Tu es le feu et la cendre. Sers-toi de moi. Ou détruis-moi. Elle recula, les yeux embués. Liora entra au même moment, alertée par le silence chargé. — Tu l’as trouvée, dit-elle simplement. — Elle est vivante, Liora. Elle me parle. — Ce n’est pas une pierre. C’est un cœur ancien. Un fragment d’un ancien esprit-loup. La Lune ne nous donne pas que sa lumière, Alma. Elle nous laisse aussi ses juges. Alma tomba à genoux, bouleversée. — Et si je n’étais pas celle qu’il fallait ? Et si je finissais comme les Déchus ? Liora s’approcha et posa sa main sur l’épaule de la jeune femme. — Tu n’es pas seule. Et la vérité, c’est que tu n’as jamais été destinée à obéir à un destin écrit. Tu es ici pour écrire le tien. Le soir venu, Alma enterra les lettres près de l’arbre du cercle rituel. Elle ne voulait pas qu’elles tombent entre de mauvaises mains. Mais elle en conserva une, celle où sa grand-mère la décrivait comme "le carrefour de deux mondes". Cette nuit-là, elle rêva. Elle se vit au sommet d’une falaise, entourée de loups. Certains l’observaient avec révérence, d’autres avec méfiance. Et dans l’ombre, au loin, une silhouette fine aux yeux d’un blanc surnaturel l’attendait, un sourire cruel aux lèvres. Ezral.Les yeux d’Ezral luisaient comme deux phares d’argent dans la brume. Son pelage noir semblait absorber toute lumière, toute chaleur. Il ne bougeait pas, mais son souffle puissant déformait l’air autour de lui, créant comme une onde invisible, un champ magnétique fait d’intimidation pure. Alma sentit son cœur battre si fort qu’elle crut qu’il allait exploser. À ses côtés, Liora s’était figée, les lèvres tendues, ses doigts serrant le pendentif en pierre de lune suspendu à son cou.Mais ce n’était pas la peur qui paralysait Liora. C’était autre chose. Une rage ancienne. Une promesse de vengeance.Ezral ne grogna pas. Il se redressa à demi sur ses pattes arrière, et dans un mouvement fluide, il reprit forme humaine. Nu, imposant, la peau zébrée de cicatrices et de tatouages anciens, il s’approcha lentement. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage marqué par le temps, mais toujours d’une beauté sauvage. Ses yeux, eux, restèrent lupins.— Alma, dit-il, sa voix grave brisant le silenc
Le vent s’était levé sur Héméra, violent et chargé d’une moiteur étrange. Les pins gémissaient sous les rafales, et la brume tombée dès la fin de l’après-midi n’avait pas quitté le sol. Elle rampait autour des maisons, s’accrochait aux clôtures, s’infiltrait sous les portes. Même les chiens refusaient d’aboyer, comme s’ils percevaient quelque chose que les humains ne pouvaient voir.Alma s’était enfermée dans sa chambre, les mains encore tremblantes depuis sa rencontre avec Karn. Ses vêtements portaient l’odeur de la forêt — une odeur d’écorce humide, de sueur, et de sang ancien. Elle n’avait pas osé parler. Ni à Liora. Ni à personne. Le secret était devenu un fardeau brûlant, et pourtant, une partie d’elle refusait de le lâcher.Elle sortit la boîte rouge du tiroir du bureau de sa grand-mère.Elle hésita un instant, le cœur battant. Puis elle souleva le couvercle. À l’intérieur, un carnet en cuir, relié de corde grossière, attendait. Une plume y était glissée, recourbée et noire comm
La pleine lune baignait la forêt d’Héméra d’un voile laiteux, presque irréel. Tout semblait figé dans une attente silencieuse. Le vent ne soufflait plus. Les feuilles ne frémissaient pas. Même les hiboux, d’ordinaire si bavards, gardaient le silence. Quelque chose approchait.Alma avançait à pas lents, comme guidée par une force invisible. Elle n’avait rien dit à Liora. Elle n’avait emporté ni lampe ni téléphone. Seulement une dague ancienne retrouvée parmi les affaires de sa grand-mère, un bijou recourbé orné d’un croissant de lune en obsidienne. Sa main la serrait comme une ancre dans ce qu’elle ne comprenait pas encore.Le Cœur de la Lune reposait désormais dans une pochette de cuir contre sa poitrine, battant au rythme de son cœur. Depuis qu’elle l’avait touché, elle sentait ses rêves plus clairs, ses sens décuplés, et une voix intérieure — étrangère, mais étrangement familière — murmurer des mots oubliés.C’était cette voix qui l’avait conduite ici, d
L’aube se levait à peine sur le village d’Héméra. Un voile de brume pâle rampait sur le sol détrempé, comme si la terre elle-même voulait effacer les traces de la nuit. La maison aux volets fermés, ébranlée par l’attaque des chasseurs, tenait encore debout, fière et mystérieuse. Un silence étrange régnait dans ses murs, mêlé de cendres, de sueur, et de secrets à peine dévoilés. Alma était assise dans la grande salle, près de l’âtre encore tiède. Liora avait pansé la coupure à son bras, Marcus avait disparu sans un mot, parti "vérifier les alentours" disait-il. Mais Alma savait qu’il avait besoin de solitude, comme elle-même avait besoin de réponses. Elle sentait encore dans ses veines la brûlure du pouvoir qu’elle avait libéré malgré elle — ce cri animal, ce frisson dans la nuque, ce moment où le monde avait ralenti autour d’elle alors que ses sens s’aiguisaient. Elle avait vu, senti, anticipé. Une force ancienne, brutale et Lettre après lettre, Iseult dépeignait un monde souterrai
L’aube se levait à peine sur le village d’Héméra. Un voile de brume pâle rampait sur le sol détrempé, comme si la terre elle-même voulait effacer les traces de la nuit. La maison aux volets fermés, ébranlée par l’attaque des chasseurs, tenait encore debout, fière et mystérieuse. Un silence étrange régnait dans ses murs, mêlé de cendres, de sueur, et de secrets à peine dévoilés. Alma était assise dans la grande salle, près de l’âtre encore tiède. Liora avait pansé la coupure à son bras, Marcus avait disparu sans un mot, parti "vérifier les alentours" disait-il. Mais Alma savait qu’il avait besoin de solitude, comme elle-même avait besoin de réponses. Elle sentait encore dans ses veines la brûlure du pouvoir qu’elle avait libéré malgré elle — ce cri animal, ce frisson dans la nuque, ce moment où le monde avait ralenti autour d’elle alors que ses sens s’aiguisaient. Elle avait vu, senti, anticipé. Une force ancienne, brutale et Lettre après lettre, Iseult dépeignait un monde souterrai
Le matin se leva sans crier gare, diffusant une lumière blafarde à travers les vitres opaques de la maison d’Éleana. Alma, assise sur le fauteuil du salon, n’avait pas dormi. Les heures avaient passé, lourdes et lentes, rythmées par les craquements du bois et le bourdonnement lointain du vent dans les arbres. Elle tenait encore la lettre dans ses mains, comme si la chaleur de ses doigts pouvait en extraire un nouveau message. Ce qu’elle avait lu la veille résonnait toujours dans sa tête : ne dors pas seule, le sang appelle le sang, ce qui est scellé sous la maison. Elle s’était jurée de rester rationnelle, de ne pas céder à la paranoïa ou aux superstitions. Mais ici, à Ravencroix, la frontière entre le réel et l’étrange semblait plus mince. Fragile. Elle se leva enfin, traversa la cuisine et ouvrit la porte sur l’extérieur. L’air était froid, saturé d’humidité. Une brume légère flottait au sol, recouvrant les pierres de la cour comme une fine couche de coton sale. En face, au bout