Secteur interdit – Salle Aegis 0302h34Le caisson tremble.La pulsation bleue s’accélère, chaque battement semblable à un souffle retenu depuis trop longtemps. Éléa ne détourne pas les yeux. Nova non plus. Deux témoins. Deux survivantes. Deux traîtresses, selon le système qu’elles viennent de fracturer.Éléa (pensée)Je sens sa présence. Plus forte que la douleur, plus ancienne que la peur.Elle me reconnaît.Le cylindre s’ouvre dans un souffle de vapeur glacée, comme un cercueil inversé. À l’intérieur, une silhouette recroquevillée. Petite. Nue. Vivante. Mais vacillante. Comme si elle hésitait entre exister et disparaître.Nova (voix basse)— C’est impossible… Elle ne devrait pas…Éléa— Elle n’est pas une erreur. Elle est ce qu’ils ont voulu effacer. Mais le feu ne s’oublie pas. Il couve.La silhouette lève lentement la tête. Ses yeux s’ouvrent, d’un blanc lunaire strié de fils rouges. Et dans ce regard, Éléa se voit. Littéralement. Une fracture de sa mémoire. Un éclat de ce qu’ell
Zone souterraine – Secteur interdit02h19Éléa (pensée)Ils pensent que je dors. Que je suis encore cette pièce docile sur l’échiquier. Mais les ombres ont des oreilles. Et moi, j’écoute.Le silence est lourd, ponctué uniquement par les respirations lentes de ceux qui rêvent encore, inconscients du gouffre sous leurs pieds. Je glisse hors de la couchette sans bruit, chaque geste lent, précis, contenu. La sueur perle déjà dans le creux de mon dos. Pas de peur. De tension. D’impatience.Les couloirs sont baignés dans une obscurité trouble, à peine interrompue par les balises d’urgence. Les caméras du couloir principal sont en veille partielle une faille que j’ai repérée depuis des semaines, notée, testée, exploitée. Je me fonds dans les ténèbres, chaque pas avalé par le sol comme si la nuit elle-même me protégeait.Éléa (pensée)Eden n’est pas la seule à se souvenir. Le feu en elle est ancien, mais le mien est plus jeune. Plus instable. Et tout aussi brûlant.Je sais ce qu’elle cherche.
Quartier général – Salle d’analyse profondeLe lendemain – 04h12Eden (pensée)Le sommeil ne vient plus. Depuis que j’ai vu leurs visages, figés dans cette torpeur artificielle, mon esprit refuse le repos.Site 07. Projet Pietas. Des noms devenus malédictions.Je ne peux plus faire semblant.Ils m’ont prise pour une pionne, une pièce dans leur jeu. Mais je ne suis plus sur l’échiquier.Je suis celle qui renverse la table.Le bruit sourd des machines résonne dans la salle. L’écran central pulse faiblement. La clé USB est connectée. Les fichiers défilent un à un, lentement, méthodiquement. Des noms. Des identifiants. Des protocoles.Puis, une vidéo.Nova (épuisée)— Tu devrais attendre. Ton corps ne tiendra pas si tu continues comme ça.Je tourne les yeux vers elle. Ses traits sont tirés, mais elle ne part pas. Elle reste, comme une sentinelle. Une sœur.Eden— Je veux voir. Jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à cacher.La vidéo se lance.Un laboratoire. Des enfants endor
Quartier général – Bureau d’Eden – 14h03Eden (pensée)Les flammes ne brûlent jamais vraiment seules. Elles nourrissent une poussière d’espoir, même dans les cendres les plus noires. Je sens leur souffle partout — un murmure ténu, un frisson dans l’air, une vibration sourde qui me pousse à avancer malgré la fatigue, malgré la peur. Je sens que quelque chose d’essentiel m’échappe, un secret enfoui dans les entrailles de la Matrice.Je suis assise derrière mon bureau, le regard fixé sur le mur en face. La lumière crue du néon perce le voile des stores, dessinant des lignes froides sur le sol. Autour de moi, les piles de dossiers s’empilent, témoins d’une bureaucratie glaciale et impitoyable. Mais je ne lis plus vraiment les mots. Mon esprit dérive, quelque part au-delà des chiffres, au-delà des données : au cœur même de la Matrice, là où tout a commencé, là où tout pourrait finir.Nova entre sans frapper, ses pas résonnent légèrement sur le sol métallique. Son regard croise le mien. Il
Zone sécurisée 03 – Infirmier central – 08h17Eden (pensée)Le silence, ici, a une autre texture.Il ne pèse pas.Il veille.Mais ce n’est pas la paix.C’est l’après.Et l’après, parfois, ressemble à un vide trop bien rangé, une pièce sans poussière où chaque objet est figé dans un ordre immuable, presque suffocant.Allongée sur la couche médicale, je fixe le plafond.Il y a des capteurs partout. Des bips doux, rassurants.Mais je me méfie du calme.Je sais qu’il ment.Je l’ai vu, moi, le vrai chaos.Je l’ai nourri.Mes mains tremblent légèrement, malgré moi, un reste d’adrénaline qui refuse de s’éteindre.Chaque battement de cœur résonne comme un écho sourd dans ma poitrine, un rappel douloureux que la Matrice n’a pas disparu, qu’elle respire encore quelque part, en moi.Aleksandr (assis à mon chevet)Il ne parle pas. Il reste là.La tête penchée. Le regard trop fixe, comme s’il cherchait à percer un secret dans mon silence.Ses doigts frôlent les miens par moments.Juste assez pour
Centre expérimental Pietas Niveau inférieur – 06h30Eden (pensée)Il fait noir, mais ce n’est pas l’absence de lumière.C’est un noir vivant. Un noir qui respire.Un noir qui attend.La lumière de nos lampes ne pénètre rien.Elle glisse sur les parois comme sur une peau trop ancienne pour se souvenir de la clarté.Derrière moi, Aleksandr marche en silence.Il ne dit rien, mais je sens ses pensées battre à la même cadence que mes pas.Je n’ai jamais eu besoin de ses mots.Seulement de sa présence.Lui, c’est la terre sous mes pieds.Moi, je suis le feu dans la gorge.Nova (devant, concentrée)— Il y a un couloir secondaire. Il mène directement au cœur de la matrice.— Mais le chemin est instable. Plus rien n’a été entretenu ici depuis des années.— Tu veux aller au bout ? Il faudra y aller vite.Eden (voix ferme)— Alors on y va vite.Eden (pensée)Chaque pas réveille un écho.Chaque écho un souvenir.Les expériences. Les cris.Les prières étouffées sous les sédatifs.Le Projet Pieta