LOGINNayaLa porte de l’hôpital claque derrière moi, happée par la nuit humide. L’air de la ville, chargé d’essence et de pluie fine, me frappe le visage comme un rappel à la réalité. La réalité d’après. Le monde a basculé, mais les rues, elles, sont les mêmes. Les lumières des réverbères se reflètent dans les flaques, les rares passants pressent le pas. Ils rentrent chez eux, vers des vies simples, des histoires unies.Moi, je marche sans but. Mes pieds frappent le trottoir avec une régularité mécanique. Les larmes ont séché, laissant sur ma peau une tension saline, une carapace fragile. Dans ma poitrine, c’est un champ de ruines. Et au centre, une forge s’est allumée. Le métal en fusion de la détermination coule dans mes veines, brûlant, lourd.Une sœur.Le mot tape contre mes tempes en rythme avec mes pas. Une sœur. Une sœur. Ce n’est plus un concept, une révélation abstraite. C’est une mission. La dernière volonté d’une mourante. Le seul héritage qui me reste.La clinique Sainte-Anne.
NayaLa question fuse, chargée d’une colère soudaine, viscérale. Je pensais avoir tout perdu. Mais on m’avait déjà volé la moitié de moi avant même que je sache qu’elle existait.Élodie secoue faiblement la tête, une larme glissant sur sa tempe ridée et s’évaporant dans les cheveux clairsemés.— C’était… trop douloureux. Pour eux. Pour moi. Une séparation… à la naissance. Des circonstances… terribles. Les dettes de ton père. La maladie de ta mère qui a suivi. Une famille… qui ne pouvait garder qu’un seul bébé. Il a fallu choisir.Choisir. Le mot est une lame. Il fend l’histoire en deux. Il crée un avant et un après dans mon propre récit. Un scénario catastrophe que mes parents, mes doux et tristes parents, ont vécu dans l’ombre, sans jamais m’en souffler mot. Ils ont porté ce deuil secret, cette amputation, en me regardant grandir.Un sanglot se bloque dans ma poitrine, dur et douloureux comme une pierre. Ils m’ont choisie. Le soulagement hideux, coupable, se mêle à l’horreur. Ils l’o
NayaLe téléphone sonne au cœur de la nuit, un son strident qui déchire le tissu mince de mon sommeil. Une voix inconnue, professionnelle et légèrement compatissante, prononce le nom de ma tante Élodie, l’unique lien familial qui me restait. Urgent. Derniers moments. La voix ajoute que les formalités, après, me reviendraient. Je suis la seule.Seule. Ce mot résonne encore en moi quand je jette un manteau sur mes épaules. Il me poursuit dans l’ascenseur silencieux, dans la rue déserte où la pluie fine commence à tomber, dans le taxi dont le compteur clignote comme un cœur artificiel. Seule. Il était mon état, ma malédiction, mon armure. Il ne va plus être vrai, et cette pensée est une chute vertigineuse dans l’inconnu.Je cours dans les couloirs glacés de l’hôpital, une odeur d’antiseptique et de désespoir accrochée à la gorge. La lumière au néon est cruelle, elle lave toute couleur, ne laisse que des ombres grises et des visages fermés. Chaque pas résonne comme un compte à rebours, ch
LioraLe sujet de Naya, lancé ainsi, est comme une pierre dans l’eau stagnante.—Anaïs ? Elle était incompétente. J’ai exposé cette incompétence. C’est une leçon.— Une leçon, répète-t-il, avec une nuance d’ironie. Ou un avertissement ?Je le fixe, essayant de percer à jour son jeu.—Pourquoi vous intéressez-vous à elle ? Elle n’est rien.Il prend une gorgée d’eau, son regard perdu dans les profondeurs bleutées de l’aquarium.—Parce que « rien » est souvent la chose la plus intéressante. Elle ne fait pas partie de votre échiquier. Elle n’en connaît pas les règles. Cela la rend… imprévisible. Et l’imprévisible est la seule vraie variable dans toute équation.Je sens une pointe de cette jalousie méprisable, acide, me transpercer.—Vous aimez les projets, c’est ça ? Les choses à réparer, à façonner ?Il tourne enfin son regard vers moi. C’est un regard qui me déshabille, non pas de mes vêtements, mais de mes couches d’assurance, de mes titres, de mon nom.—Je n’aime pas les projets. Je c
LioraLa limousine glisse dans la nuit parisienne, un cocon de cuir et de silence. Mon reflet, parfaitement net dans la vitre teintée, me fixe. J’essaye de retrouver en moi la froide satisfaction de ce matin, après avoir relégué Naya à son insignifiance dans la salle Atlas. Elle devait se sentir minuscule, perdue, brisée.Pourtant, la victoire a un goût de cendre.Parce que lui était là.Lysandre.Le souvenir de sa présence dans la pièce me brûle encore. La façon dont il s’est dressé, sans une note, et a tenu toute l’assemblée en haleine. Pas avec des menaces ou des cris. Avec l’implacable logique d’un scalpel. Il a opposé à mon avancée stratégique, à mes arguments financiers, une vérité plus fondamentale : la survie.Il ne pense pas en termes de pouvoir. Il pense en termes de danger.Cette pensée est un vertige. Dans mon monde, tout est pouvoir. L’argent, les relations, le nom, l’apparence. Des armes que je manie depuis l’enfance. Lysandre, lui, semble manier des forces plus primitiv
NayaLe réveil sonne à six heures. Le son est un poignard dans le silence de mon sommeil lourd, agité. Je n’ai pas fermé l’œil avant trois heures du matin, mon cerveau tournant en boucle entre les humiliations de la veille, la voix de Lysandre, et le code pour un falafel.Une arme. C’est ce que j’ai décidé.Je me lève, le corps raide, les yeux cernés. Je prends une douche glacée, la seule façon de me réveiller vraiment, de chasser la peur qui veut s’incruster dans mes os. Sous le jet, je répète ma nouvelle résolution, comme une prière laïque : Je ne suis pas une victime. Je suis une survivante. Je vais apprendre.Dans le miroir embué, mon reflet est pâle, déterminé. Je m’habille avec soin, la même robe modeste mais propre. Je passe dix minutes sur internet, à apprendre les bases d’un logiciel de présentation. Ce n’est pas suffisant, mais c’est un début.À huit heures, je suis à mon poste. Avant même de m’asseoir, Claire, l’assistante aux lèvres pincées, s’approche.— Vous avez une réu







