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Chapitre 3 : La Cour des Ombres

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-11-06 19:53:05

AURORA

La poigne du garde me laboure le bras. Nous quittons les quartiers silencieux, taillés dans la pierre brute, pour pénétrer dans les entrailles vivantes de la forteresse. L'air change. Il devient épais, chargé d'odeurs entremêlées : sueur, viande crue, et cette odeur de fauve, plus forte, plus animale. Des bruits nous parviennent, assourdis d'abord, puis de plus en plus distincts. Des rires rauques, des grognements, le choc sourd des corps.

Nous débouchons dans une galerie en surplomb, dominant une cour intérieure immense, creusée à même la montagne. Le spectacle qui s'offre à moi me fige le sang.

En bas, c'est la fosse aux lions.

Des Lycans, des dizaines, s'affrontent dans un chaos organisé. Certains, sous leur forme humaine, combattent à mains nues, une violence brute et acérée. D'autres laissent leur peau se craqueler, leurs muscles se tordre, leurs os se réarranger dans un bruit de branches qui cassent, pour révéler la Bête. Des loups géants, aux crocs luisants de bave, aux yeux brillant d'une lueur intelligente et sanguinaire. Ils se chargent, se mordent, se griffent avec une férocité qui n'a rien de bestiale. C'est calculé. C'est un entraînement.

Ma présence ne passe pas inaperçue.

Un à un, les combats s'arrêtent. Les grognements se taisent. Les têtes, humaines ou lupines, se tournent vers moi. Des dizaines de paires d'yeux, jaunes, verts, ambrés, se braquent sur l'intruse, la faible, la proie. Leur regard est un poids physique qui m'écrase. Je suis nue sous cette déferlante de curiosité méprisante et de faim à peine contenue.

Le garde me pousse en avant, vers un escalier de pierre qui descend dans l'arène.

— Va, ordonne-t-il. Le Roi a dit que tu apprennes.

Mon cœur bat à tout rompre, un tambour affolé dans ma cage thoracique. Chaque pas vers le sable de la cour est une agonie. L'odeur de la terre battue, du sang frais et ancien, me prend à la gorge. Ils forment un cercle autour de moi, une muraille vivante de muscles et de fourrure. Leurs respirations forment un brouillard chaud dans l'air froid. Je suis prise au piège.

Une femme se détache du groupe. Elle est grande, athlétique, une cicatrice balafrant sa joue de la tempe au menton. Ses yeux, d'un vert glacial, me détaillent avec une indifférence cruelle.

— Alors, c'est toi, la petite chose que la Bête du Roi a ramassée ? murmure-t-elle d'une voix rauque. Tu ne sens même pas la force. Tu sens la mort. Tu devrais être avec les charognes.

Des rires s'élèvent autour d'elle. Je serre les poings, les ongles entaillant mes paumes. La peur est une mer démontée en moi, mais je refuse de me noyer.

— Je suis Aurora, héritière de la Meute de la Lune Pâle, je tente de dire, mais ma voix se brise sur le dernier mot.

La femme ricane.

—Ici, tu n'es rien. Tu es l'Ombre. L'esclave. La chose du Roi. Tu n'as pas de nom. Tu n'as pas de meute.

Elle fait un pas. Puis un autre. Son approche est souple, mortelle.

—Le Roi a dit qu'il fallait t'apprendre. La première leçon : la hiérarchie.

Elle frappe. Un coup de poing rapide, précis, qui s'enfonce dans ma blessure au côté.

La douleur est aveuglante. Un éclair blanc qui déchire ma réalité. Un cri se déchire de ma gorge, aigu, pitoyable. Je m'effondre sur le sable, le visage dans la poussière, incapable de respirer, de penser. Il n'y a plus que le feu, la déchirure, l'humiliation.

Un grognement gronde, plus profond que les autres. Le cercle s'écarte. Alessandro est là, en haut des escaliers, immobile. Il n'a rien dit. Il n'a pas besoin de parler. Sa simple présence impose le silence. Son regard traverse la foule et se pose sur moi, recroquevillée dans la terre.

Il observe. Juste observer.

La femme, celle qui m'a frappée, baisse la tête, soumise.

— Elle est faible, mon Roi, dit-elle. Elle ne survivra pas.

Le regard d'Alessandro ne me quitte pas.

—La faiblesse n'est pas une fatalité. C'est un choix. Qu'elle reste là. Qu'elle regarde. Qu'elle comprenne.

Il tourne les talons et disparaît. La leçon est terminée. Pour lui.

Pour moi, l'enfer continue.

Je reste allongée sur le sol froid, le corps secoué de frissons, le goût du sang et de la poussière dans la bouche. Les combats ont repris autour de moi. Les chocs, les grognements, les cris. Ils m'ignorent, maintenant. Un déchet. Une leçon object.

Chaque impact, chaque cri de douleur résonne en moi. Chaque odeur de violence s'imprime dans ma mémoire. Je ferme les yeux, et je vois le visage de Lorenzo. Sa trahison. Sa lâcheté. Cette haine, soudain, est une bouée. La seule chose chaude dans ce monde de glace.

Je ne suis plus Aurora, l'héritière.

Je ne suis pas encore l'Ombre,l'esclave.

Je suis une coquille vide,remplie de douleur et de haine.

Et au plus profond de cette coquille, quelque chose, réveillé par la morsure du Roi, par la violence de la cour, commence à gratter. Pas une bête. Pas encore. Une étincelle. Ténue. Sauvage.

Une étincelle qui refuse de s'éteindre.

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