Vincenzo
Le cuir du fauteuil crissait sous mon poids, un soupir las s'échappant dans le silence moite de mon bureau. La nuit napolitaine s'étirait au-delà des vitres blindées, une toile d'encre piquée des lumières scintillantes de la ville. Chaque éclat était un rappel de ce que je tenais d'une main de fer, de ce que je dominais, et de ce qui, désormais, m'échappait, me glissait entre les doigts.
Un mois. Un putain de mois qu'Ava était partie, barricadée dans sa suite du Vesuvio, telle une reine en exil volontaire. Chaque jour sans elle était un coup de marteau sur mon orgueil de Capo, un clou enfoncé plus profondément dans ma putain d'âme, une douleur sourde et persistante. J'avais juré de ne pas céder, de ne pas courir après elle comme un chien battu, de ne pas montrer cette faiblesse. Les De Luca ne courbent jamais l'échine. Ils règnent, ils possèdent, ils dominent. Mais ce trône sans elle n'était qu'un bloc de pierre froid, un monument silencieux à ma propre stupidité, à ma fierté démesurée.
La cigarette entre mes doigts, oubliée, se consumait lentement, la cendre tombant en un monticule gris et fin sur le plateau de marbre poli, comme une métaphore de ma patience qui s'épuisait. J'avais arrêté de fumer il y a des années, mais ces derniers temps, cette sale habitude m'avait repris, tenace, une béquille pour ma fureur rentrée. Son parfum âcre se mêlait à l'odeur du café noir, amer comme les pensées qui me rongeaient les entrailles, un poison lent et familier.
Ava.
Son nom était une brûlure, une caresse fantôme sur ma peau, le souvenir vibrant de son corps sous le mien, un écho persistant dans le vide assourdissant de ma maison, de ma vie. Comment avais-je pu laisser ces foutues images, ces foutues vidéos, cette foutue Paola, détruire ce que nous avions, ou du moins ce que je croyais que nous avions construit, ce lien sensuel et brutal qui nous unissait ? La colère montait, non pas contre elle, mais contre ma propre inertie, ma fierté stupide qui m'avait cloué sur place pendant qu'elle s'éloignait, chaque jour un peu plus. Chaque fibre de mon être hurlait de la retrouver, de la tirer de là, de la sentir à nouveau sous moi, ses courbes s'adaptant aux miennes, ses cris déchirant l'air de plaisir et de soumission, ses ongles griffant ma peau, sa volupté se mêlant à la mienne, nous consumant tous les deux. Mais le Parrain de la mafia de Naples ne fléchit pas. Pas si facilement.
Mon portable vibra sur le bureau, une vibration rauque, insistante, brisant le silence de mes tourments. Matteo. Sa voix, rocailleuse comme le ressac des vagues sur le port, charriait toujours les effluves du goudron, de la sueur et du sang, l'odeur de nos affaires.
« Patron, nous avons un problème. » Le ton était grave, plus qu'à l'ordinaire, un avertissement sombre qui me tirait de mes pensées personnelles. « Les Arméniens sont furieux. Les deux dernières cargaisons… Volées. »
Mon poing se serra sur le verre à moitié vide de whisky, les jointures blanchissant sous la pression. Deux cargaisons. Des armes. Une fortune disparue dans le ventre noir et sans fond de la nuit napolitaine, comme avalée par un monstre. C'était la troisième fois en deux mois. Quelqu'un jouait avec le feu, et ce feu allait consumer la main qui l'avait allumé, la broyer jusqu'à l'os.
« Qui ? » Ma voix n'était qu'un murmure, mais un murmure dangereux, un serpent sifflant dans l'obscurité, prêt à mordre.
« Il y a des bruits de couloir. Des rumeurs tenaces. Ça pointe vers Giovanni. »
Une grimace déforma mes lèvres, un rictus de dégoût. Giovanni. L'idée était absurde, insultante pour mon intelligence. Il se vidait de son sang dans un lit d'hôpital, sa queue en moins, réduit à une loque, à une ombre après notre dernière rencontre. Il ne pouvait pas bouger un petit doigt sans que je le sache, encore moins orchestrer un coup pareil, aussi audacieux. Beatrice, la nouvelle chef des Mancini, gardait un œil vigilant sur son frère. Et si elle avait eu le moindre doute qu'il complotait contre moi à nouveau, elle aurait accouru pour m'en faire part, les mains pleines de preuves, cherchant ma faveur. C'était impossible. À moins que… non. La blessure était trop profonde, le chaos de son clan trop grand. Il y avait quelqu'un d'autre, une main invisible tirant les ficelles, tissant une toile plus complexe, plus insidieuse.
« Matteo, tu sais ce que je pense de Giovanni. Il est hors-jeu. Il est fini. » Mon ton ne souffrait aucune réplique, aucun doute.
« Peut-être, Vincenzo. Mais ses loups affamés, eux, ne le sont pas. Ils rôdent, prêts à tout pour un morceau de pouvoir. »
Je coupai court à la conversation, sans un mot de plus, ma mâchoire serrée. Les loups. C'était vrai. Les partisans de Giovanni, une meute sans chef, désespérée, donc dangereuse et imprévisible. Pourtant, je savais que Beatrice avait remis ses hommes dans le droit chemin, qu'elle les tenait d'une main de fer. C'était trop facile, cette piste. Quelque chose ne collait pas. Je devrais creuser, sentir le terrain, traquer le véritable coupable.
Un soupir lourd m'échappa, un aveu de lassitude qui me brûlait les poumons. Les affaires, toujours les affaires. Toujours le sang et la trahison, les jeux de pouvoir mortels. C'était ma vie. Le pouvoir. La seule chose qui me définissait, la seule chose que je savais manier avec une brutalité élégante et une efficacité redoutable. Mais ce soir, même le pouvoir me semblait creux, vide, une coquille sans âme. Il manquait l'éclat de ses yeux, la brûlure de sa peau sous mes doigts, la faim de son corps contre le mien, sa résistance ardente qui faisait monter le sang à ma tête.
___
Le dîner familial. Je ne voulais pas être là, pas sans ma femme, sans sa présence lumineuse qui adoucissait les angles. La table massive en acajou du salon principal, trop grande, trop silencieuse sans Ava, pareille à un tombeau. Ma mère, Sophia, assise à la tête, son visage sculpté par les années et les épreuves, mais toujours impénétrable, ses yeux sombres observant chacun de mes mouvements, chaque tremblement de mon âme. Elle voyait trop. Elle savait tout, et elle était furieuse contre moi, d'avoir laissé partir ma femme, d'avoir permis cette fissure dans l'image parfaite de notre famille.
De l'autre côté, Tonio, mon frère, mon roc, mon confident le plus fidèle. Il avait toujours été mon ombre, mon miroir déformé, l'homme qui disait les vérités que je ne voulais pas entendre. Et Paul, son compagnon, un homme simple, professeur de littérature anglaise, dont le regard bleu acier me foudroyait depuis qu'Ava avait débarqué en pleurs chez eux en pleine nuit, sa dignité en miettes, son innocence brisée.
Les plats défilaient, apportés par des serviteurs silencieux comme des fantômes, à peine perçus, des ombres discrètes. Des arômes riches de ragù napolitain, de mozzarella fondue, de basilic frais. Mais le goût était absent, chaque bouchée était une obligation, chaque gorgée de vin rouge un effort pour paraître normal, pour contenir la bête qui hurlait en moi.
Sophia toussa légèrement, un son discret qui résonna dans le silence de mort, une lame affûtée qui tranchait l'air. Son regard, lourd de jugement, se posa sur moi, une question muette, mais perçante.
« Où est Ava, Vincenzo ? » Sa voix était douce, sucrée comme un poison lent, mais la question perçait comme un couteau froid, droit au cœur.
Je levai mon verre, le liquide rougeoyant comme du sang frais.
« Elle a besoin d'un peu d'air, Maman. Elle a subi beaucoup d'émotions ces derniers temps. Mais elle ne devrait pas tarder à rentrer de son voyage. » Le mensonge était si épais qu'il aurait pu étouffer l'air ambiant, un voile opacifiant la vérité.
« Pas à moi, Vincenzo. » soupira ma mère, une pointe d'énervement, rare et donc d'autant plus coupante. Ses yeux ne cillaient pas. « Tu sais, même dans mon appartement à Milan, je lis les journaux de Naples. J'ai adoré découvrir que ma belle-fille vivait à l'hôtel, à ton hôtel. » Le mot "ton" était chargé d'un reproche implicite.
« Je n'ai pas envie d'en parler, Maman. » Dis-je d'une voix tranchante, un avertissement à peine voilé, ma patience s'effritant.
Le silence reprit sa place, pesant, étouffant, lourd de non-dits et de tensions. Je ne pouvais plus supporter les reproches. Tonio m'avait déjà fait la leçon, ses mots cinglants. Paul m'avait crié dessus, me rappelant à quel point j'avais épousé une femme merveilleuse, un joyau. Mais si ma mère me faisait la morale, je ne le supporterais pas. Ses mots seraient les clous de mon cercueil, enfoncés un à un. Elle savait appuyer où ça faisait le plus mal, avec la précision chirurgicale d'une torture mentale.
Après le dîner, Tonio me rejoignit dans mon bureau. L'air y était saturé de l'odeur du cigare que je venais d'allumer, une fumée lourde et épaisse qui emplissait mes poumons. Il s'assit sans y être invité, son regard pénétrant ne me quittant pas, une attente silencieuse, une exigence muette.
« On doit parler, Vincenzo. » Sa voix était grave, sans détour, un ordre déguisé, mais que je savais nécessaire.
Je soufflai une volute de fumée, qui s'éleva, dense, avant de se dissoudre dans l'obscurité.
« De quoi ? » Le ton était délibérément froid, distant, une barrière que je tentais d'ériger, futilement, entre nous et la vérité.
« D'Ava. Et de cette putain de vidéo. »
Mon poing se serra, les jointures blanchissantes, une tension palpable traversant mon corps, une rage sourde montant en moi.
« Il n'y a rien à dire. » Je ne voulais pas me justifier, pas me montrer faible.
« Oh si, il y a beaucoup à dire. Tu sais que la vidéo date d'avant la mort de notre père. Pourquoi, Vincenzo ? Pourquoi tu n'as pas couru la voir, la rassurer, lui dire la vérité ? » La voix de Tonio était un reproche cinglant, un coup de poing dans ma poitrine, me coupant le souffle, perçant ma fierté.
Je ne savais pas quoi lui répondre. L'orgueil. La fierté. Ou bien la honte crasse d'avoir bu à outrance ce soir-là, d'avoir été un homme que je ne reconnaissais plus, un Capo pitoyable, vulnérable.
Quelques jours après le départ d'Ava, Tonio avait débarqué en trombe chez moi. Il m'avait hurlé dessus, sa fureur aussi brûlante que la mienne. Il voulait savoir ce qui m'était passé par la tête, aller me saouler et en plus en public, ce n'était pas digne de moi, du nom des De Luca, de ma position. J'avais fini par lui montrer les vidéos de surveillance du club où j'avais passé la soirée. Moi, buvant whisky sur whisky, la descente aux enfers d'un homme qui se noie dans sa propre rage, dans son propre dégoût. Paola tournant autour de moi, se frottant, sa peau contre mon bras, l'invitation explicite et dégoûtante, le parfum de sa luxure bon marché me révoltant déjà. J'avais fini par partir avec elle, la gueule pleine de rage et de whisky, le corps saturé d'alcool. Je ne pouvais qu'avoir couché avec elle, le souvenir flou, noyé dans l'alcool et la fureur, la honte.
Pourtant, mon frère avait été plus lucide que moi. Il avait remarqué l'heure sur la vidéo de surveillance et en avait fait des déductions logiques, implacables. Si Ava était arrivée chez eux vers 3h30 et qu'elle était sortie du manoir vers 3h00, il était impossible pour moi d'avoir couché avec Paola, vu que le time code affichait 2h37. Impossible d'avoir été dans un hôtel, de m'envoyer en l'air et de rentrer avant 3h00. Une fenêtre de temps trop étroite, une impossibilité flagrante.
Tonio avait exigé de voir ce que la salope en chef m'avait envoyé. Il avait passé de longues minutes à les regarder, ses yeux perçants cherchant la faille, le détail insignifiant qui contredirait l'évidence. Dans un éclair de lucidité, il comprit que cette vidéo datait d'avant la mort de mon père. J'avais pris une balle dans la jambe droite. Après ma convalescence, j'avais fait recouvrir la plaie d'un tatouage, une cicatrice transformée en œuvre d'art sombre. Sur la vidéo, pas de tatouage sur ma jambe. Je savais pertinemment que j'avais fait ce tatouage quelques semaines avant d'épouser Ava, avant de faire d'elle ma femme, ma possession la plus précieuse. Je savais que je n'avais pas revu Paola après la mort de mon père, car j'avais eu l'idée folle de me marier à ma sortie d'hôpital, pour assoir mon pouvoir sur Naples, pour donner une légitimité parfaite à mon règne. Ces images dataient d'avant la mort de mon père. Un piège putride. Un mensonge grossier, élaboré, destiné à me détruire.
La colère. Contre moi-même, ma stupidité, mon aveuglement, mon manque de lucidité ce soir-là. Contre cette putain de garce de Paola, cette garce sans scrupules qui avait tendu ce piège, ce filet empoisonné. Contre l'univers tout entier qui se liguait contre moi, qui me retirait la seule chose que je désirais vraiment. J'avais eu ces informations, ces preuves irréfutables, il y a des semaines. Mon frère avait vu les incohérences, les détails insignifiants sur les vidéos. Et je n'avais rien fait. Rien dit. Pourquoi ? L'orgueil. Toujours cet orgueil.
Je me levai, traversant le bureau d'un pas lourd, mes chaussures résonnant sur le marbre froid, jusqu'à la fenêtre. Naples s'étendait, indifférente à mon tourment, sa beauté cruelle, son silence moqueur.
« La fierté, Tonio. La putain de fierté ! » Le mot me brûlait la gorge, une confession amère arrachée à mes tripes, à la bête en moi. « J'ai été me saouler et je me suis fait avoir comme un débutant, comme un vulgaire voyou. Et j'ai été incapable de la retenir, incapable d'admettre ma faiblesse. »
J'avais attendu qu'elle revienne, qu'elle implore, qu'elle me pardonne pour un crime que je n'avais pas commis. J'avais attendu qu'elle brise son silence, alors que j'aurais dû déchirer le mien, me précipiter à ses pieds.
« La fierté te coûtera tout, mon frère, » murmura Tonio, sa voix emplie d'une tristesse que je connaissais rarement chez lui, une gravité qui me glaça le sang. « Je suis allé la voir. »
Mon corps se tendit. L'anticipation me tordit les entrailles.
« Comment elle allait ? » La question était arrachée de mes entrailles, un son rauque et désespéré, ma voix brisée.
« Elle est forte. Mais blessée. Profondément. » Son regard se posa sur moi, lourd de sens, ses yeux perçant ma carapace, mon âme. « Et elle ne portait plus… son alliance et sa bague de fiançailles. »
Un coup de poing invisible me frappa en plein cœur, me coupant le souffle, me vidant de l'air, me laissant pantelant. Ces deux anneaux. Le symbole de notre union, le lien visible qui nous rattachait, son attache à moi, aux De Luca, sa soumission volontaire. Elle les avait enlevés. C'était un acte. Une déclaration silencieuse de rupture, une sentence prononcée sans appel, une amputation de mon âme.
« Elle… elle travaillait sur un tableau. Peut-être qu'elle l'a retirée pour ça, » ajouta Tonio, sa voix plus douce, tentant de me rassurer, de me jeter une bouée, mais le mal était fait. Les mots étaient sortis, la vérité crue avait claqué, irrémédiable.
« Tu crois vraiment ça ? » Mon rire était sec, dénué de joie, un son étranger à ma propre gorge, un râle. Elle les avait enlevées. Elle était en train de me quitter. Lentement, impitoyablement, irrévocablement.
« Je pense qu'elle est à bout, Vincenzo. Tu dois faire quelque chose. Maintenant. Avant qu'il ne soit trop tard. » Tonio se leva, sa main se posant sur mon épaule, une pression ferme et fraternelle, un ancrage dans ma déroute. « Elle est ton ancre, Vincenzo. Sans elle, tu vas sombrer. Et nous avec. La famille. Tes affaires. Tout va s'effondrer. Elle est la seule à pouvoir t'apaiser, te ramener à la raison. Tu le sais. Elle est la seule à te faire plier, même un instant, à te faire désirer autre chose que le pouvoir. »
« J'ai besoin d'elle. Je l'aime, » confessai-je, le murmure presque inaudible, une admission arrachée à mon âme, une douleur nouvelle et lancinante qui se mêlait à la faim qui me dévorait, un désir féroce.
« Alors va la chercher. » Tonio me regarda droit dans les yeux, son regard me suppliant, une lueur d'urgence brûlant au fond de ses pupilles, une exhortation. « Va la chercher avant de la perdre pour de bon. Avant que quelqu'un d'autre ne vienne la réclamer, et ne réussisse là où tu as échoué. »
Le sous-entendu était clair, glacial, me transperçant. Naples était pleine de prédateurs affamés, de requins rôdant dans l'ombre, attendant le bon moment pour fondre sur leur proie. Et Ava Bellini, avec ou sans alliance, restait une proie magnifique, une fleur précieuse que beaucoup convoitaient, une femme qui éveillait les désirs les plus sombres.
Il quitta le bureau, me laissant seul avec le poids de ses paroles, et l'odeur du cigare qui se consumait, devenant amère, suffocante. L'image de l'annulaire d'Ava, nu, hantait mon esprit. Je l'avais tenue captive, mais c'était moi qui étais prisonnier d'elle, de son absence, de son silence, de son corps. Prisonnier de cette fierté stupide qui m'avait empêché de bouger.
Mon téléphone reposait sur le bureau, une petite dalle noire, froide sous mon regard, l'objet de ma rédemption. Son numéro. Je le connaissais par cœur, chaque chiffre gravé dans ma mémoire, sur ma peau. J'avais dû composer les chiffres des centaines de fois dans ma tête, sans jamais oser appuyer sur "appel". Peur. Peur de quoi ? De son rejet ? De son indifférence ? Peur de la voir s'éloigner définitivement, de la perdre pour toujours, de la voir disparaître de ma vie comme une ombre.
Un frisson me parcourut, malgré la chaleur étouffante du bureau. Les lumières de Naples vacillaient, comme des âmes en peine, des rappels de ma solitude. Le Vésuve, ce géant endormi, veillait sur la ville, un rappel constant du danger latent, de la destruction qui pouvait éclater à tout moment, de la fureur qui sommeillait en moi. Je devais agir. Pour elle. Pour moi. Pour nous.
J'attrapai le téléphone, mes doigts hésitants sur l'écran, comme si le contact pouvait me brûler, me consumer. Il n'y avait plus de place pour la fierté. Il n'y avait plus que la faim, ce besoin viscéral de la retrouver, de briser ce silence qui nous étouffait, de sentir de nouveau sa peau, son souffle, son cœur battre contre le mien. Mon doigt s'approcha du nom, mon cœur battant la chamade, cette fois non pas de rage, mais d'une anticipation brûlante, d'un désir mêlé d'espoir. Elle était ma faiblesse. Et ma force. Et je devais la reconquérir, la ramener à la maison, la posséder de nouveau, peu importe le prix à payer, peu importe les flammes que j'aurais à traverser.
AvaLe soleil napolitain, même à l'abri des treilles ombragées de la terrasse, était une caresse trop insistante, presque indécente sur ma peau nue. Il léchait le marbre froid de la table, cherchait mes bras sous les manches fluides de ma robe de lin, mais ne parvenait pas à chasser le frisson persistant qui nouait mes entrailles. J'avais choisi ce restaurant reculé, une parenthèse discrète lovée dans une ruelle oubliée des touristes, loin des regards affamés de la pègre et des murmures venimeux. Ici, l'odeur des agrumes se mariait au café torréfié, une symphonie de faux-semblants, promesse d'une normalité que ma vie avait depuis longtemps reniée. Les nuits d'été se réduisait lentement, mais la ville, enfin, retrouvait un souffle plus lent, plus intime.Mon regard, restait rivé sur l'écran de mon téléphone, posé tel un ancre entre ma tasse de cappuccino fumant et le bouquet de freesias, leurs pétales immaculés, leur parfum délicat, une ironie cruelle face à la tempête qui ravageait mo
VincenzoLe cuir du fauteuil crissait sous mon poids, un soupir las s'échappant dans le silence moite de mon bureau. La nuit napolitaine s'étirait au-delà des vitres blindées, une toile d'encre piquée des lumières scintillantes de la ville. Chaque éclat était un rappel de ce que je tenais d'une main de fer, de ce que je dominais, et de ce qui, désormais, m'échappait, me glissait entre les doigts.Un mois. Un putain de mois qu'Ava était partie, barricadée dans sa suite du Vesuvio, telle une reine en exil volontaire. Chaque jour sans elle était un coup de marteau sur mon orgueil de Capo, un clou enfoncé plus profondément dans ma putain d'âme, une douleur sourde et persistante. J'avais juré de ne pas céder, de ne pas courir après elle comme un chien battu, de ne pas montrer cette faiblesse. Les De Luca ne courbent jamais l'échine. Ils règnent, ils possèdent, ils dominent. Mais ce trône sans elle n'était qu'un bloc de pierre froid, un monument silencieux à ma propre stupidité, à ma fierté
AvaLe Grand Hôtel Vesuvio se dressait face à la mer, une forteresse crème dominant la promenade napolitaine, ses colonnades massives défiant le temps et l'écume des vagues. Il régnait en silence, pareil à un vieux parrain que l'on craignait autant qu'on l'admirait, sa façade imposante découpant avec une élégance froide le bleu profond, presque indécent, de la baie. À ses pieds, les vagues venaient mourir, leur murmure presque cérémoniel, un salut respectueux à la grandeur des lieux, un soupir langoureux. C'était ma cage dorée depuis plus d'un mois, un refuge somptueux, oui, mais une prison aux barreaux invisibles, étouffante.L'intérieur n'était que le reflet de ce qu'il protégeait : raffiné, feutré, imprégné d'une opulence ancienne qui n'avait pas besoin de s'exhiber pour écraser l'âme. Le marbre blanc, veiné de gris comme des cicatrices secrètes, s'étirait à perte de vue sous mes pas étouffés par des moquettes épaisses, caressant des surfaces polies où la lumière dorée des lustres
Cette histoire est le tome 2. Vous pouvez retrouver le Tome 1, Regarde-Moi.___Le ciel semblait suspendu au-dessus du cimetière, lourd comme un secret trop longtemps gardé, un fardeau oppressant. Un gris profond, opaque, presque surnaturel, délavé par les ombres d'un matin sans aube véritable. Ce n’était pas un ciel de pluie, ni même un voile pudique de nuages. C’était un ciel de deuil silencieux, pesant, comme si même les nuages s’étaient figés d’effroi, ou par un respect macabre, témoins d'une fin inévitable.Dans l’air, une odeur lourde de terre retournée et d’humidité ancienne flottait, s'accrochant à la peau, pénétrant les narines, s'insinuant dans les poumons. Le genre d’odeur qui s’infiltre dans les vêtements, s’imprime à jamais dans la mémoire des horreurs passées, le parfum tenace de la mort et de la décomposition. Le silence régnait, absolu, oppressant, seulement brisé par le bruit régulier de la pelle mordant le sol, un son lugubre et incessant, chaque coup une mesure du t