Ava
Le soleil napolitain, même à l'abri des treilles ombragées de la terrasse, était une caresse trop insistante, presque indécente sur ma peau nue. Il léchait le marbre froid de la table, cherchait mes bras sous les manches fluides de ma robe de lin, mais ne parvenait pas à chasser le frisson persistant qui nouait mes entrailles. J'avais choisi ce restaurant reculé, une parenthèse discrète lovée dans une ruelle oubliée des touristes, loin des regards affamés de la pègre et des murmures venimeux. Ici, l'odeur des agrumes se mariait au café torréfié, une symphonie de faux-semblants, promesse d'une normalité que ma vie avait depuis longtemps reniée. Les nuits d'été se réduisait lentement, mais la ville, enfin, retrouvait un souffle plus lent, plus intime.
Mon regard, restait rivé sur l'écran de mon téléphone, posé tel un ancre entre ma tasse de cappuccino fumant et le bouquet de freesias, leurs pétales immaculés, leur parfum délicat, une ironie cruelle face à la tempête qui ravageait mon intérieur. Le message de Vincenzo. Trois mots. Trois balles tirées à bout portant dans le silence assourdissant de mon mois d'absence.
« Nous devons parler. »
Il l'avait fait. Enfin. Après ces semaines d'un vide sidéral, de nuits sans sommeil hantées par le spectre de son absence, le fantôme s'était incarné. J'avais rêvé de ce moment, des centaines de fois, l'anticipant avec une rage froide, une satisfaction presque sadique, ou parfois, une joie coupable, une étincelle interdite au creux de mon ventre. Mais là, rien. Un néant suffocant. Une anesthésie profonde. Seule l'angoisse, sourde et tenace, serpentait dans mes tripes. La peur, oui. La peur de ses mots, de ses exigences, mais surtout, la peur vertigineuse de ma propre soumission face à la force brute de son magnétisme. Le clavier me brûlait sous les doigts, chaque touche une braise incandescente. Mon silence était devenu mon unique armure, aussi fragile qu'une illusion, mais impénétrable.
Un mouvement, à la lisière de ma vision, me fit lever les yeux. Sir Thomas Hastings, mon mentor, mon confident, presque un père de substitution, s'avançait. Son sourire, empreint d'une bienveillance infinie et d'une sagesse millénaire, éclairait son visage fin. Son allure, impeccable dans un costume de lin couleur crème, tranchait avec l'agitation désordonnée de la rue, une bulle d'élégance britannique flottant au cœur palpitant de Naples.
« Ava, ma chère, pardonnez mon retard. La circulation napolitaine, toujours une divine comédie. » Sa voix, douce et posée, était un baume apaisant sur mes nerfs à vif. Il pressa ma main, une chaleur rassurante, un fil tendu vers la réalité.
« Thomas, asseyez-vous. Je ne faisais que me perdre dans mes pensées. » Je tentai un sourire, une grimace trop tendue qui trahissait mon effort surhumain. Il s'installa face à moi, son regard bleu acier balayant mon visage avec une perspicacité déconcertante, sondant les profondeurs de ma tension, le poids invisible qui m'écrasait.
Le serveur, silencieux comme une ombre, vint prendre sa commande. Un simple thé et une salade, le rituel immuable de Thomas, sa discrétion absolue. Il n'aborda pas mon départ précipité du manoir De Luca, me laissant l'espace, la liberté de venir à lui, sans jamais forcer le seuil de ma confidence.
« Vous semblez préoccupée, ma chère, » murmura-t-il enfin, son ton neutre, une invitation à déverser le trop-plein de mon âme.
Je soupirai, ma main caressant le bois poli de la table, cherchant un réconfort illusoire dans la texture froide.
« C'est… c'est le poids de ces derniers mois. Cette sensation d'être enfermée, même dans le luxe le plus éblouissant. » Mes yeux se perdirent un instant dans le labyrinthe des ruelles, les jeux d'ombres et de lumières. « Le mariage, Thomas. Est-ce toujours une cage, même dorée ? »
Il esquissa un sourire, mélancolique, teinté de souvenirs lointains.
« Le mariage est une architecture, Ava. Une structure que l'on pare de romance, mais qui est, au fond, une alliance de forces, d'intérêts, de compromis indicibles. » Il marqua une pause, ses yeux se voilant, plongeant dans une introspection profonde, presque douloureuse. « Pour certains, c'est une geôle. Pour d'autres, une forteresse. Pour ma part, mon mariage avec Charlotte fut… une amitié sacrée. Un pacte silencieux qui m'a permis de donner corps à mon véritable amour. »
Mon regard s'accrocha au sien, une étincelle de compréhension douloureuse. Il parlait de Lewis, l'homme de sa vie, l'ombre discrète qui l'avait accompagné dans l'obscurité des décennies. Un amour secret, jalousement gardé des conventions d'une époque intolérante, d'un monde qui n'aurait pas su comprendre.
« Vous n'avez jamais regretté ? De ne pas l'avoir vécu au grand jour ? » Ma question était un murmure à peine audible, teinté d'une amertume que je ne pouvais étouffer, une résonance de ma propre existence.
Thomas posa sa main sur la mienne, une caresse légère, un contact doux et réconfortant qui chassa un instant le froid glacial qui me rongeait.
« Le regret est un luxe que peu peuvent s'offrir, ma chère. Les temps étaient différents, oui. Le monde n'aurait pas supporté notre vérité. Mais même aujourd'hui, avec plus de lumière, je ne crois pas que j'aurais agi différemment. » Sa voix était ferme, sans l'ombre d'une hésitation, empreinte d'une sérénité absolue, presque effrayante. « Certains amours sont si précieux, si viscéraux, qu'ils méritent d'être protégés de la vulgarité du monde, de l'indécence des regards. Les vivre cachés, c'était aussi les sanctuariser, les rendre plus forts, plus purs. C'était un secret partagé, un temple sacré où nos âmes pouvaient se rejoindre sans entraves, sans le poids écrasant des jugements extérieurs. »
Il y avait tant de puissance tranquille dans ses mots, tant de quiétude dans son regard. J'imaginais Lewis, l'homme derrière le nom, et la beauté tragique, presque déchirante, de leur histoire.
« Charlotte… » murmurai-je, cherchant à percer le mystère de leur étrange équilibre à trois.
« Charlotte était mon âme sœur d'une autre façon. Elle m'a permis de respirer, de prospérer, de forger l'homme influent que je suis devenu, tout en protégeant ce qui m'était le plus cher. Notre mariage était une toile de fond parfaite, un voile opaque derrière lequel mon véritable amour pouvait éclore en secret. Elle m'a offert la liberté dans la contrainte. Et pour cela, je lui serai éternellement reconnaissant. »
Il prit une gorgée de son thé, ses yeux lointains, perdus dans un passé qu'il n'avait jamais renié, mais qu'il tenait avec une dignité inébranlable.
« Le mariage, Ava, n'est pas une fatalité gravée dans le marbre. C'est un choix. Une construction que l'on édifie chaque jour, pierre après pierre. Parfois, les fondations tremblent, les murs se lézardent. Mais si la maison en vaut la peine, si le foyer abrite encore une âme, alors il faut se battre pour le reconstruire. » Son regard revint sur moi, intense, perçant, comme un rayon de soleil déchirant les brumes de mes doutes. « Vincenzo. Est-ce qu'il en vaut la peine ? »
La question me frappa de plein fouet, une lame nue, une vérité brutale que je n'osais pas regarder en face. Vincenzo. L'homme qui me consumait autant qu'il m'anéantissait. L'homme qui était mon poison et mon unique remède, mon bourreau et ma bouée de sauvetage. Je le haïssais pour sa trahison, cette image de Paola qui brûlait encore mes rétines, mais mon corps le réclamait avec une faim primitive, insatiable.
« Je… je ne sais pas. »
Le mensonge me brûlait les lèvres, une sensation acide et nauséeuse. Je savais. Je savais au plus profond de moi qu'il en valait la peine, que malgré tout, il était ancré en moi, une partie indissociable de mon être, une fatalité à laquelle je ne pouvais ni ne voulais échapper. Mon cœur le hurlait, même quand ma raison le suppliait de se taire.
Thomas esquissa un sourire, un sourire qui disait qu'il avait lu en moi comme dans un livre ouvert, chaque pli de mon âme mis à nu. « Alors découvrez-le. Le silence, ma chère, est une arme à double tranchant. Il peut protéger, oui, mais il peut aussi dévorer ce qui reste d'un lien, le ronger jusqu'à l'oubli, jusqu'à l'anéantissement. »
Ses mots résonnaient en moi, le poids assourdissant de la vérité. Le silence que j'avais érigé autour de moi, cette armure de glace que je m'étais forgée pour me protéger, était peut-être en train de glacer le peu de chaleur, le peu de vie qui subsistait entre nous. Antonio l'avait prédit. Vincenzo allait venir. Et maintenant, son message. Le mouvement venait de lui. À moi de faire le pas.
Je pris une profonde inspiration, le parfum entêtant des freesias emplissant mes poumons, un souffle de détermination nouvelle.
« Je dois y aller, Thomas. J'ai… j'ai du travail. »
« Bien sûr, ma chère. Mais rappelez-vous mes paroles. Et rappelez-vous que le vrai courage n'est pas de fuir, mais parfois de faire face, même si la perspective vous terrifie au plus profond de votre être. »
Il me fit un signe de tête empreint d'une sagesse infinie et je me levai, la main tremblante mais le cœur empli d'une résolution inattendue. Je laissai quelques billets sur la table, le contact froid du marbre sous mes doigts, et quittai la terrasse, l'esprit en ébullition, un volcan sur le point de vomir sa lave.
Je marchais sans but précis dans le dédale des ruelles, les bruits de Naples m'enveloppant, une cacophonie familière, presque apaisante : les klaxons impatients, les éclats de voix des passants s'entremêlant, l'arôme alléchant des pizzas chaudes s'échappant des pizzerias enfumées. Mon esprit tournait en boucle, incapable de trouver le moindre répit. La vidéo de Paola. Antonio m'avait juré qu'ils n'avaient pas couché ensemble ce soir-là. Mais pourquoi Vincenzo n'avait-il rien dit ? Pourquoi ce silence cruel, cette attente insoutenable qui avait ravagé des semaines entières de ma vie ? La fierté. Ce mot résonnait dans ma tête, à la fois l'explication glaçante et la torture la plus insupportable. La sienne. Et la mienne.
J'atteignis un petit jardin public, une oasis ombragée par des orangers gorgés de soleil, leurs fruits mûrs comme des promesses silencieuses. Je m'assis sur un banc de pierre froide, mon téléphone serré dans la main, le contact du métal presque douloureux, une brûlure symbolique. Il fallait que je brise ce mur. Pour ma survie. Pour la sienne. Pour nous.
Mon pouce effleura l'écran, le rétroéclairage blafard illuminant mon visage. Je rouvris son message.
« Nous devons parler. »
Mes doigts, cette fois, ne tremblèrent pas. Ils se posèrent sur le clavier, les mots s'enchaînant avec une fluidité nouvelle, portés par une vague de détermination inattendue, un courage ardent qui gonflait ma poitrine.
« Demain. Mon heure sera la tienne. »
C'était simple. Direct. Sans fioritures, sans tergiversations. C'était ma façon de lui renvoyer la balle, de lui dire qu'il devrait venir à moi. Que le pouvoir n'était pas unilatéral, qu'il y avait une force en moi qu'il ne devait plus jamais sous-estimer. Je sentis une étincelle, fragile mais réelle, de ma puissance retrouvée, une flamme renaissante au fond de mes entrailles, un désir inavoué de reprendre le contrôle. Envoyé.
Un soupir m'échappa, mêlé d'un soulagement ténu et d'une appréhension glaciale. La boîte de Pandore était ouverte.
___
Le soir glissa sur le Vésuvio, drapant ses marbres et ses velours d'une opulence silencieuse, lourde de luxe ostentatoire et de secrets inavouables. Au Caruso Roof Garden, les lumières tamisées caressaient les visages, et les murmures feutrés des conversations se mêlaient au cliquetis cristallin des verres, une symphonie étouffée du pouvoir, un ballet silencieux d'intrigues.
J'avais dîné seule dans ma suite, une habitude morose, presque un rituel auto-imposé, les draps froids du lit king-size hurlant l'absence criante de son corps à mes côtés. Je m'apprêtais à me réfugier dans le silence familier de mes pensées, à me laisser sombrer dans l'engourdissement douillet de la solitude, quand la porte s'ouvrit à la volée, avec une violence inattendue qui me fit sursauter, arrachant un cri étouffé de ma gorge.
« AVA ! »
La voix résonna, une explosion de joie pure et d'énergie débordante qui brisa le silence comme un verre jeté sur le marbre avec fracas. Cora. L'enquêtrice de Vincenzo, certes, mais surtout une folie douce, une étincelle de chaos, le genre de tempête humaine capable de provoquer un sourire au milieu de la morosité la plus opaque.
Elle se tenait là, dans l'embrasure de la porte, un sac de voyage clinquant négligemment jeté à ses pieds, sa chevelure châtain flamboyante encadrant un sourire espiègle. Ses yeux verts, des éclats de gemmes sous l'éclairage feutré, pétillaient d'une détermination festive, presque agressive. Elle portait une robe courte, pailletée, une audace qui aurait été vulgaire sur quiconque d'autre, mais qui, sur elle, hurlait la vie et la liberté. Une tenue qui n'aurait eu sa place nulle part ailleurs qu'en pleine nuit, dans l'obscurité vibrante et impudique de Naples, une invitation muette au danger et au désir.
« Je suis là ! On va faire la fête ! » lança-t-elle, sa voix une promesse de débauche.
Elle laissa tomber son sac avec un bruit sourd, claquant sur le marbre avec une désinvolture totale, et se jeta sur moi, m'enlaçant dans une étreinte suffocante. Son parfum entêtant de jasmin et de folie m'enveloppait, me tirant de ma torpeur, me projetant de force dans le présent. Son contact, sa folie contagieuse, étaient exactement ce dont j'avais besoin pour me sortir de cette léthargie glaciale, pour sentir à nouveau le sang circuler dans mes veines.
Elle me tira vers la salle de bain, sans un mot, ses doigts agrippant mon bras avec une force joyeuse. D'un geste théâtral, elle ouvrit ma penderie, faisant glisser les cintres avec un claquement métallique.
« Fini les tenues de femme mariée et bien sage ! » décréta-t-elle, ses yeux balayant la collection de soies et de velours. « Ce soir, tu vas te transformer en bombe. On va faire trembler tout Naples ! »
Je la regardai faire, à la fois amusée et étrangement consentante, dépassée par cette tornade bienfaitrice. Elle avait ce pouvoir singulier, cette capacité à me faire basculer, à me tirer de mes abîmes les plus sombres. Et ce soir, après l'onde de choc du message de Vincenzo, j'en avais désespérément besoin. Le rendez-vous de demain planait toujours, promesse d'une tempête à venir. Mais avant cela, avant d'affronter le chaos qu'il représentait, j'avais besoin de me sentir vivante, de me réapproprier mon corps, mon désir.
Cora fouillait dans mes robes, rejetant avec dédain les soies discrètes, les velours sombres, tout ce qui criait la respectabilité contrainte. Ses yeux s'illuminèrent d'une lueur féline quand elle tira une robe rouge, une création audacieuse que je n'avais osé porter qu'une seule fois, pour un événement très spécial avec Vincenzo. Elle était en satin fluide, une seconde peau, dangereusement décolletée, fendue jusqu'à la cuisse, une véritable invitation silencieuse au péché, une promesse de nuits ardentes.
« Parfait ! » s'écria-t-elle, tenant la robe devant moi comme un étendard de rébellion. « Celle-là, elle va faire des ravages. Vincenzo va regretter de t'avoir laissée seule un instant. »
Je sentis une pointe de nervosité, teintée d'une excitation interdite.
« Cora, c'est un peu… beaucoup. »
« Nonsense ! » elle me coupa avec un rire cristallin, ses yeux défiants. « Ce n'est pas parce que tu es Madame De Luca que tu dois te cacher dans des robes de nonne ! Ce soir, tu seras Ava Bellini, la femme la plus désirable de Naples ! »
Elle m'arracha mes vêtements avec une énergie contagieuse, et la robe glissa sur ma peau avec une sensualité inattendue. Le satin froid me caressa, réveillant des sensations oubliées, une électricité sous ma peau. Le rouge était insolent, une flamme audacieuse, un cri silencieux. Elle me maquilla d'un trait sombre et fumé sur les yeux, mes lèvres d'un carmin profond, d'une tentation sans nom. Mes cheveux furent libérés, une cascade de boucles brunes autour de mon visage, une crinière sauvage.
Je me regardai dans le miroir, et l'image me saisit. Ce n'était plus la Ava effacée, presque transparente du matin. C'était une autre femme, une femme dangereuse, désirable, dont les yeux brûlaient d'une nouvelle détermination, prête à affronter le monde, prête à reprendre ce qui lui était dû. Le reflet de la puissance brute qu'il avait toujours vue en moi, qu'il avait réveillée, et qu'il était sur le point de redécouvrir.
« Maintenant, » déclara Cora, un sourire victorieux étirant ses lèvres peintes, « on va faire un tour au club Dominio. Il est temps que Naples se souvienne de qui tu es, Ava Bellini. Pas l'épouse soumise, mais la flamme qui consume tout sur son passage. »
Je sentis l'adrénaline monter, une vague chaude de défi et de vengeance douce. Vincenzo allait venir. Et quand il viendrait, il trouverait une femme transformée, une femme qui avait repris les rênes de son destin, non pas pour fuir, mais pour se tenir debout. Une femme qui n'était plus l'épouse soumise, la femme trophée. Une femme qui se battait, d'une manière qu'il n'attendait sûrement pas. Et la première bataille allait être celle de ma propre liberté, de ma propre résurrection sensuelle.
Le son des talons aiguilles de Cora résonna dans le couloir de la suite, suivi du mien, un battement de tambour annonçant notre arrivée, une marche triomphale vers l'inconnu. La soirée ne faisait que commencer, et Naples était sur le point de se souvenir du nom d'Ava Bellini. Et peut-être, d'une certaine manière, c'était ma façon la plus subtile et la plus érotique de commencer à le reconquérir. En me reconquérant moi-même.
AvaLe soleil napolitain, même à l'abri des treilles ombragées de la terrasse, était une caresse trop insistante, presque indécente sur ma peau nue. Il léchait le marbre froid de la table, cherchait mes bras sous les manches fluides de ma robe de lin, mais ne parvenait pas à chasser le frisson persistant qui nouait mes entrailles. J'avais choisi ce restaurant reculé, une parenthèse discrète lovée dans une ruelle oubliée des touristes, loin des regards affamés de la pègre et des murmures venimeux. Ici, l'odeur des agrumes se mariait au café torréfié, une symphonie de faux-semblants, promesse d'une normalité que ma vie avait depuis longtemps reniée. Les nuits d'été se réduisait lentement, mais la ville, enfin, retrouvait un souffle plus lent, plus intime.Mon regard, restait rivé sur l'écran de mon téléphone, posé tel un ancre entre ma tasse de cappuccino fumant et le bouquet de freesias, leurs pétales immaculés, leur parfum délicat, une ironie cruelle face à la tempête qui ravageait mo
VincenzoLe cuir du fauteuil crissait sous mon poids, un soupir las s'échappant dans le silence moite de mon bureau. La nuit napolitaine s'étirait au-delà des vitres blindées, une toile d'encre piquée des lumières scintillantes de la ville. Chaque éclat était un rappel de ce que je tenais d'une main de fer, de ce que je dominais, et de ce qui, désormais, m'échappait, me glissait entre les doigts.Un mois. Un putain de mois qu'Ava était partie, barricadée dans sa suite du Vesuvio, telle une reine en exil volontaire. Chaque jour sans elle était un coup de marteau sur mon orgueil de Capo, un clou enfoncé plus profondément dans ma putain d'âme, une douleur sourde et persistante. J'avais juré de ne pas céder, de ne pas courir après elle comme un chien battu, de ne pas montrer cette faiblesse. Les De Luca ne courbent jamais l'échine. Ils règnent, ils possèdent, ils dominent. Mais ce trône sans elle n'était qu'un bloc de pierre froid, un monument silencieux à ma propre stupidité, à ma fierté
AvaLe Grand Hôtel Vesuvio se dressait face à la mer, une forteresse crème dominant la promenade napolitaine, ses colonnades massives défiant le temps et l'écume des vagues. Il régnait en silence, pareil à un vieux parrain que l'on craignait autant qu'on l'admirait, sa façade imposante découpant avec une élégance froide le bleu profond, presque indécent, de la baie. À ses pieds, les vagues venaient mourir, leur murmure presque cérémoniel, un salut respectueux à la grandeur des lieux, un soupir langoureux. C'était ma cage dorée depuis plus d'un mois, un refuge somptueux, oui, mais une prison aux barreaux invisibles, étouffante.L'intérieur n'était que le reflet de ce qu'il protégeait : raffiné, feutré, imprégné d'une opulence ancienne qui n'avait pas besoin de s'exhiber pour écraser l'âme. Le marbre blanc, veiné de gris comme des cicatrices secrètes, s'étirait à perte de vue sous mes pas étouffés par des moquettes épaisses, caressant des surfaces polies où la lumière dorée des lustres
Cette histoire est le tome 2. Vous pouvez retrouver le Tome 1, Regarde-Moi.___Le ciel semblait suspendu au-dessus du cimetière, lourd comme un secret trop longtemps gardé, un fardeau oppressant. Un gris profond, opaque, presque surnaturel, délavé par les ombres d'un matin sans aube véritable. Ce n’était pas un ciel de pluie, ni même un voile pudique de nuages. C’était un ciel de deuil silencieux, pesant, comme si même les nuages s’étaient figés d’effroi, ou par un respect macabre, témoins d'une fin inévitable.Dans l’air, une odeur lourde de terre retournée et d’humidité ancienne flottait, s'accrochant à la peau, pénétrant les narines, s'insinuant dans les poumons. Le genre d’odeur qui s’infiltre dans les vêtements, s’imprime à jamais dans la mémoire des horreurs passées, le parfum tenace de la mort et de la décomposition. Le silence régnait, absolu, oppressant, seulement brisé par le bruit régulier de la pelle mordant le sol, un son lugubre et incessant, chaque coup une mesure du t