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Chapitre 1

Author: lerougeecrit
last update Last Updated: 2025-09-03 02:15:28

Ava

Le Grand Hôtel Vesuvio se dressait face à la mer, une forteresse crème dominant la promenade napolitaine, ses colonnades massives défiant le temps et l'écume des vagues. Il régnait en silence, pareil à un vieux parrain que l'on craignait autant qu'on l'admirait, sa façade imposante découpant avec une élégance froide le bleu profond, presque indécent, de la baie. À ses pieds, les vagues venaient mourir, leur murmure presque cérémoniel, un salut respectueux à la grandeur des lieux, un soupir langoureux. C'était ma cage dorée depuis plus d'un mois, un refuge somptueux, oui, mais une prison aux barreaux invisibles, étouffante.

L'intérieur n'était que le reflet de ce qu'il protégeait : raffiné, feutré, imprégné d'une opulence ancienne qui n'avait pas besoin de s'exhiber pour écraser l'âme. Le marbre blanc, veiné de gris comme des cicatrices secrètes, s'étirait à perte de vue sous mes pas étouffés par des moquettes épaisses, caressant des surfaces polies où la lumière dorée des lustres en cristal se brisait en mille éclats sensuels. Elle léchait les boiseries sombres, les moulures délicates, et les lourds rideaux couleur sang de bœuf, comme une invitation au secret, un murmure prometteur de désirs interdits, de transactions illicites.

Tout ici était calibré pour accueillir le pouvoir, le vrai, celui qui s'exerce dans l'ombre et la suggestion. Celui qui ne hurlait pas, mais qui murmurait, qui s'immisçait dans l'air, saturant chaque particule de tension, et faisait trembler les cœurs. Les couloirs, vastes, retenaient leur souffle, emplis d'échos feutrés d'un service discret, de talons claquant sur la pierre froide, de portes se refermant sur des chuchotis conspirateurs, gardant jalousement leurs secrets. Le luxe était une prison, une promesse de sécurité, oui, mais aussi de perdition pour l'âme.

Les suites, vastes cocons de silence, incarnaient une élégance étudiée : moquette épaisse sous mes pieds nus le matin, une caresse pour mes sens endormis ; fauteuils de velours profond où l'on pouvait se perdre dans la solitude de ses pensées ; lits aux draps de coton égyptien promettant des nuits sans fin… mais sans sommeil, car l'absence de son corps les rendait glacées. Les balcons surplombaient une mer miroitante, hypnotique, où se reflétaient les lumières lointaines de Naples, comme des braises sous une cendre. La lumière y était toujours tamisée, filtrée, comme si l'éclat cru du jour était une indécence, révélant trop de choses. Rien n'y était innocent. Chaque détail, chaque texture, chaque ombre semblait avoir été pensé pour embrasser la volupté et le danger dans un même souffle, pour envelopper l'âme dans une torpeur dangereuse.

Le Caruso Roof Garden offrait une vue vertigineuse sur le Vésuve endormi, une bête assoupie qui pouvait se réveiller à tout instant, et l'île de Capri, bijou scintillant. La nuit, le vent salé s'insinuait par les baies vitrées, soulevant à peine les nappes blanches immaculées, mêlant les arômes des plats exquis aux parfums troublants des femmes, leurs peaux nues sous la soie fine. C'était là que les décisions se murmuraient entre deux coupes de prosecco, leur effervescence dissimulant les intentions ; que les regards se croisaient avec plus d'éloquence que les mots, des invitations silencieuses à la danse du pouvoir ou du désir ; que les tensions politiques, sexuelles et criminelles s'entremêlaient dans un ballet silencieux et prédateur, chacun cherchant à dominer l'autre. Ici, rien n'était laissé au hasard, car le hasard n'avait pas sa place dans les jeux de pouvoir et de passion. Le Grand Hôtel Vesuvio n'était pas un simple palace ; c'était un territoire neutre, un théâtre d'ombres et de désirs inavoués, où le luxe dissimulait les manœuvres les plus intimes… et les plus dangereuses.

La Suite Caruso, au dernier étage, était bien plus qu'une simple suite réservée. Invisible sur les plateformes de réservation, elle était mon refuge, ma cage dorée, mon exil forcé. Depuis que j'avais fui le manoir De Luca, ses murs trop grands, ses souvenirs trop lourds. Depuis que je l'avais fui, lui. Vincenzo De Luca, mon époux. L'homme qui me consumait autant qu'il me faisait souffrir.

Je sirotais mon café noir, l'amertume se mêlant à celle qui me rongeait l'âme, chaque gorgée un rappel de sa présence amère dans ma vie. Le journal, froissé d'un geste instinctif de pure exaspération, reposait entre mes doigts. Les rumeurs, d'abord des chuchotis insidieux, prenaient désormais corps dans la presse, étalées sans vergogne. Un petit encart résumait la situation, ou du moins, la version qu'ils en faisaient, une version que je savais fausse et pourtant si mordante.

« Ava Bellini, l'enfant chérie de Naples, mais surtout l'épouse du redoutable Vincenzo De Luca, a élu domicile au Vesuvio. La jeune femme vivrait seule dans la suite la plus prestigieuse, habituellement réservée aux invités de marque et à la famille De Luca. On aurait pu croire à une mise en sécurité orchestrée par le Capo, mais il n'en est rien. Vincenzo n'aurait pas rendu visite à son épouse depuis son installation. L'eau sous le soleil commence-t-elle à bouillir dans le clan De Luca ? Ce qui est sûr, c'est qu'Ava porte toujours son alliance. Alors, peut-être est-ce Vincenzo qui l'a chassée de sa demeure, et non elle qui aurait pris ses jambes à son cou. Affaire à suivre. »

Je jetai le journal sur la table basse, un mouvement de pure agacement, presque une convulsion, la toile de mensonges et de suppositions me suffoquait. Mon pouce caressa machinalement les deux anneaux à mon doigt : mon alliance, ma bague de fiançailles. Parfois, ces métaux froids me rappelaient ma souffrance, une brûlure lancinante et persistante, le poids de mes chaînes. Mais à d'autres moments, ils étaient un ancrage, un rappel du lien, ténu mais persistant, qui me rattachait à lui, comme une chaîne invisible que je refusais de rompre.

La presse avait pourtant raison sur un point, un seul, et il me torturait. Vincenzo n'avait pas bougé. Pas couru. Pas un appel, pas un message, pas la moindre nouvelle de lui, de ce corps qui me hantait. J'avais imaginé ses excuses, ses explications hâtives, qu'il m'implorerait de revenir, qu'il déchirerait la distance entre nous avec la même fureur qui animait nos nuits, la même intensité brutale qui me soumettait. Mais non. Et ça faisait mal. Une douleur sourde, lancinante, qui rongeait mon orgueil et mes illusions, comme un venin lent, insidieux. J'avais cru qu'il y avait un minimum d'affection, de tendresse, d'attachement, entre nous, au-delà de la violence de son désir. Peut-être avais-je eu tort. Peut-être que son infidélité avec cette garce de Paola n'était pas un accident, mais l'acte de décès de notre mariage, l'aveu de son indifférence, de son dégoût pour moi.

Même Antonio, mon confident et son frère, le seul qui me liait encore à ce monde, ne m'offrait aucune réponse tangible, se contentant de répéter d'une voix grave que je devais lui parler, à lui, Vincenzo. Comment ? Après ce qu'il avait fait. Après elle. L'appeler, c'était admettre la défaite, briser la carapace de dignité que je m'étais construite, une armure fragile de glace.

Je finis mon café, le liquide amer et chaud ne faisant rien pour chasser l'angoisse et l'amertume qui me poignaient l'estomac, des crampes nerveuses. Je me levai, les gestes lents, presque cérémoniaux, pour me diriger vers le dressing. J'en sortis un tailleur crème impeccable et un chemisier vert pâle, que j'enfilai avec une précision calculée, comme si chaque mouvement était une étape vers ma propre reconstruction. Chaque tissu glissant sur ma peau était une caresse froide, un rappel de l'absence de ses mains, de la chaleur de son contact. Le sac à main, contenant le strict nécessaire, et je quittai la suite. L'ascenseur privé répondit à mon doigt, glissant sans bruit, me menant vers le hall, vers l'arène de la réalité, où je devais reprendre mon rôle.

Quand les portes coulissèrent dans un soupir d'air feutré, je pris une profonde inspiration, et enfilai mon masque d'épouse parfaite. Pétillante, souriante, incarnant l'image d'une femme à la vie idyllique, unie à son mari, l'incarnation de la réussite du clan. Une putain d'actrice de théâtre.

« Bonjour Steven, » dis-je en passant devant la réception, ma voix calibrée pour la légèreté, un timbre cristallin, étudié. « Comment allez-vous ce matin ? »

Steven, le réceptionniste, afficha son sourire le plus poli, un sourire que je savais intéressé, calculé.

« Très bien, Madame De Luca. Et vous ? » Sa voix était mielleuse, pleine d'une déférence excessive.

« Parfaitement, je vous remercie. » Mon sourire ne fléchit pas, une perfection glacée. « Je risque de rentrer tard ce soir. »

« Vous dînerez à l'hôtel ? » Son regard glissa vers ma poitrine, un instant trop long.

« Je ne sais pas encore. J'ai du travail à la galerie. » J'évitai sa question sur un ton neutre, mon corps se raidissant légèrement.

« Je vais vous faire préparer le meilleur club sandwich au saumon, avec une petite salade d'avocat et une mozzarella d'un petit producteur local. Vous m'en direz des nouvelles, Madame. » Son zèle était presque attendrissant, mais je savais qu'il visait plus haut, qu'il espérait une promotion, ou plus encore.

« Steven, vous en faites toujours trop. »

Je lui adressai un sourire complice, une fausse intimité. Puis, d'un geste précis et discret, je sortis un billet de cent euros, que je glissai dans sa main, un doux froissement de papier. Ses yeux s'illuminèrent d'une cupidité à peine voilée, d'une satisfaction animale. Je savais que cette gentillesse, ces petites attentions de sa part, étaient intéressées. J'étais l'épouse du propriétaire de l'hôtel, et ma satisfaction garantirait sa propre ascension, ses privilèges. C'était cynique, oui, mais je devais admettre que cette forme d'attention, même par intérêt, me réchauffait un peu. Me sentir importante, même pour de mauvaises raisons, était une drogue douce.

Je montai dans la berline noire, aux vitres teintées, avec chauffeur, direction la galerie. Ma galerie d'art. Le seul lieu où j'étais maîtresse de mon destin, de mes choix, où mon goût, mon œil, ma sensibilité régnaient en maîtres. Le seul endroit où mon nom, Ava Bellini, signifiait quelque chose en soi, et pas seulement en tant qu'appendice de Vincenzo De Luca, le roi de Naples.

En entrant, l'atmosphère me frappa, lourde, palpable. Marion, mon assistante, m'attendait, visiblement tendue, ses mains serrées l'une contre l'autre. Généralement, cette tension annonçait sa venue. Mon mari. Il adorait débarquer ici, comme en terrain conquis, ses yeux noirs scrutant chaque œuvre, chaque détail, et j'adorais le chasser, lui rappeler que c'était mon royaume, mon pouvoir, que même lui ne pouvait pas tout posséder.

Mon cœur fit un bond. Inquiétude ? Joie ? Les deux, peut-être, dans un mélange insaisissable, vertigineux. Avait-il enfin rompu son silence interminable ? Mon corps tout entier répondait à cette éventualité, une chaleur diffuse montant à ma peau, une anticipation coupable et brûlante.

« Bonjour Marion, » dis-je, ma voix trahissant une pointe de stress sous le calme apparent, une fragilité que je détestais montrer.

« Bonjour Ava, » répondit-elle poliment, ses yeux anxieux fuyant les miens. « Nous avons un visiteur qui souhaite vous voir. »

« Bien, je vais le recevoir. » Je m'efforçais de paraître agacée, une habitude, un réflexe, pour masquer l'excitation qui montait en moi.

« Je l'ai installé dans le salon des invités. »

Je fronçai les sourcils. Le salon des invités ? Vincenzo aurait dû se rendre directement à mon bureau, s'imposer, s'asseoir sans permission dans mon fauteuil. C'était une première qu'il suive les consignes de Marion, qu'il respecte les formes. Une alarme silencieuse commença à sonner en moi. Il ne respectait aucune règle, sauf les siennes. Qu'est-ce que cela signifiait ?

J'ouvris la porte, mon souffle suspendu, mon cœur battant la chamade. Ce n'était pas lui. Ce fut un soulagement amer, mêlé d'une déception cuisante qui me brûlait les entrailles. Devant moi se tenait Monsieur Martins, un des associés de Vincenzo, un homme rondouillard aux yeux vifs. J'avais oublié qu'il devait me confier l'un de ses Goya, un cadre abîmé à restaurer. J'échangeai quelques mots, inspectai le tableau d'un œil expert, mais mon esprit était ailleurs, à des kilomètres de ces conversations mondaines, de ces obligations superficielles. Je pris le Goya, lourd, et le transportai moi-même dans la salle de restauration, un besoin impérieux de m'occuper les mains. Une activité parfaite, hypnotique, pour ne pas penser au chaos silencieux de ma vie, pour noyer mes pensées obsédantes dans la répétition.

Deux coups secs frappèrent à la porte de la salle de restauration, me tirant brutalement de ma concentration, brisant le sortilège de l'oubli. Combien de temps avais-je passé, courbée sur ce cadre, à noyer mon chagrin dans les gestes répétitifs et apaisants de la restauration ? En me redressant, mon annulaire gauche racla une agrafe saillante du cadre en bois. Un déchirement. Mon gant s'ouvrit, et une entaille fine apparut, rouge et perçante sur ma peau pâle, comme une petite trahison de mon propre corps, un rappel de sa fragilité. Je retirai le tissu déchiré, attrapai un torchon propre pour contenir le saignement.

« Entrez, » dis-je, ma voix plus tendue que je ne l'aurais voulu, trahissant ma surprise.

La porte s'ouvrit sur Antonio. Mon beau-frère, mon roc.

« Pause déjeuner, » annonça-t-il, un sac en papier du petit traiteur du coin dans la main, l'odeur de la cuisine napolitaine – de l'ail, des tomates gorgées de soleil – flottant dans l'air, réconfortante et familière.

Un sourire, une lueur de soulagement, éclaira mon visage. Enfin, un visage familier, une présence qui apaisait la douleur lancinante, bien au-delà de ma blessure physique.

« Bien sûr. Allons dans mon bureau. »

Je refermai la salle de restauration derrière moi, puis montai les escaliers, suivie par Antonio. Il était inhabituellement calme. Pas de récits rocambolesques, pas de plaintes aigres sur son frère – ce qui était une anomalie en soi –, pas de tirades enflammées sur Paul. Juste un silence lourd, pesant, qui commençait à m'inquiéter plus que tout le chaos du monde extérieur.

J'ouvris la porte de mon bureau, jetai la serviette ensanglantée sur un guéridon, puis m'approchai de mon coffre-fort mural. Je tapai le code, les doigts agiles malgré le battement lancinant de ma blessure. Je sortis mes deux anneaux – mon alliance, ma bague de fiançailles. Mais au moment de les enfiler, la chair de mon annulaire avait déjà gonflé, refusant de laisser passer l'or, comme si mon corps lui-même se rebellait. La plaie pulsait, une petite trahison de mon propre corps, un refus symbolique. Avec une pointe de frustration, je reposai les anneaux dans l'obscurité du coffre et le refermai d'un claquement sec.

Je m'assis sur le fauteuil face à Antonio. Il avait déjà étalé les plats du traiteur sur le bureau, son silence devenait assourdissant, presque agressant dans l'intimité de la pièce.

« Quoi ? » lançai-je, incapable de supporter plus longtemps ce non-dit, cette tension invisible qui me liait les entrailles.

« Comment vas-tu ? » Sa voix était douce, teintée d'une inquiétude sincère, sans fard ni artifice, ce qui était rare pour un De Luca.

« Ça va, » soupirai-je, le mensonge sonnant creux même à mes propres oreilles. « Je gère. Au jour le jour. Mais ça va. » Mon ton, pourtant, manquait cruellement de conviction.

« Je vois. » Il hésita un instant, le regard incertain, son front se plissant. « Tu as lu le Corriere del Mezzogiorno de ce matin ? »

« Oui… » Je répondis avec une lassitude palpable, un souffle d'ennui. « Ne me dis pas que tu es venu jusqu'ici pour me parler d'un misérable article dans un journal local. »

« Oui et non, » répliqua mon beau-frère, sa franchise habituelle le rendant étrangement réconfortant dans ce climat de faux-semblants. « J'avais déjà l'intention de venir te voir, mais l'article a créé l'urgence de ma visite, une opportunité. »

Je hochai simplement la tête, portant une bouchée de salade à mes lèvres, le goût du citron et de la roquette explosant sur ma langue, essayant de masquer l'amertume grandissante qui m'étreignait le cœur. Les yeux noisette d'Antonio se mirent à m'examiner avec une intensité déconcertante, s'arrêtant un instant sur mon annulaire nu, l'absence criante des anneaux qui, d'habitude, brillaient si fort.

« Tu as pris une décision au sujet de mon frère ? » La question était un souffle, chargée d'une tension soudaine, une bombe à retardement que j'avais moi-même amorcée.

« Non. » Je pris mon temps, savourant l'instant de son incertitude, le pouvoir inattendu que je détenais sur ses nerfs, sur leur famille. « Mais j'avoue que son silence n'aide pas. S'il souhaite parler, il connaît mon numéro. Je suis enregistrée à ‘Femme trophée’. »

Le sarcasme dégoulinait de ma voix, une pointe aiguisée de ressentiment, une vengeance mesquine que je ne pouvais retenir. Antonio soupira, un son grave qui semblait porter le poids de leur dynastie, de leur monde impitoyable.

« Ava, ce n'est pas ce qu'il pense. Tu comptes pour lui. Plus que tu ne peux l'imaginer. »

« Ah bon ? » Un rire amer s'échappa de mes lèvres, un son cassé, railleur. « Ça fait plus d'un mois que j'ai quitté le manoir. Pas un appel. Pas un message. Rien. Alors j'ai du mal à imaginer que je compte pour lui, Antonio. J'ai du mal à imaginer que je compte tout court. »

« Ava, ce n'est pas à moi de t'expliquer, mais à lui. » Il insista, son regard toujours ancré dans le mien, une conviction étrange et apaisante.

« M'expliquer quoi ? La raison qui l'a poussé à aller sauter cette salope ? » Ma colère, si longtemps contenue, menaçait de déborder, une chaleur brûlante montant à mes joues, un feu prêt à tout consumer, à réduire en cendres les vestiges de mon contrôle.

« Il n'a pas couché avec Paola. Crois-moi. » Il insista de nouveau, sa voix ferme, son regard ancré dans le mien, une conviction qui, étrangement, commençait à ébranler mes certitudes les plus profondes. « Crois-moi, Ava. Il ne l'a pas fait. »

« Alors pourquoi ce n'est pas lui qui est assis ici, mais toi ? » Les mots se nouèrent dans ma gorge, retenant des larmes tenaces qui brûlaient derrière mes paupières, prêtes à se déverser, à révéler ma vulnérabilité.

« Il va venir. Je te le promets. » Un sourire éphémère effleura ses lèvres, une promesse silencieuse, presque un pacte. « Je dois y aller, mais Ava, Vincenzo va venir. Je te le promets. »

Antonio se leva, sa silhouette se découpant contre la lumière de la fenêtre. Son regard glissa de nouveau vers mon annulaire gauche, s'attardant sur l'absence criante de l'alliance, comme un reproche muet. Mais avant de sortir, il me lança un dernier sourire, teinté d'une insolence tendre, pleine de malice, un clin d'œil complice.

« J'adore quand tu parles comme une charretière, mais ça ne te va pas. Tu es bien trop classe pour ça, ma chère. Alors, plus de vilains mots dans cette magnifique bouche. »

Puis il disparut, me laissant seule avec l'écho de ses paroles. Un sourire lent se dessina sur mes lèvres, un frisson d'anticipation me parcourut l'échine, une braise qui se rallumait en moi. Vincenzo allait venir. Enfin. Il allait s'expliquer. Me supplier de revenir. Je savais que je lui ferais vivre un véritable enfer, du moins au début, pour le punir de mon attente, de ma souffrance. Mais après… après, je retomberais à ses pieds. Comme toujours. Je ne pouvais plus le nier. Il me manquait. Ses caresses, l'intensité de ses regards qui me transperçaient, la faim de ses baisers qui me volaient mon souffle, son odeur enivrante qui imprégnait ma peau, se faufilait dans mes draps froids la nuit, me torturant. Il était devenu de plus en plus insoutenable de me réveiller seule dans cette suite silencieuse, loin de chez nous, loin de lui, loin de ce corps que j'avais appris à désirer plus que tout, à réclamer.

Antonio me l'avait juré. Vincenzo ne m'avait pas trompée. Et il allait enfin venir. L'espoir, fragile et dangereux, commençait à s'immiscer dans les fissures de ma résignation, une flamme vacillante dans l'obscurité, prête à s'embraser. Il n'attendait plus que lui pour se raviver.

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