Chapitre 0005

Et là, tout le monde se met à dire que je suis cruelle.

Parmi toutes les insultes qui m'envahissent, je remarque la fierté et l'insolence que dégage le regard de Rosaline.

Depuis qu'elle est arrivée chez moi, j'ai échoué encore et encore face à sa soi-disant faiblesse.

Elle est capable de se blesser pour atteindre ses buts. Quel personnage !

Une fois, pour me blâmer de ne pas la supporter, elle m'a attrapée la main puis s'est jetée dans les escaliers, pour faire comme si je l'avais poussée. Résultat, elle est restée un mois à l'hôpital. Elle est capable des choses pareilles.

Là, elle s'est égorgée juste après ma phrase.

Si Lucas n'avait pas réagi assez vite, elle aurait rendu l'âme.

En vrai, je l'admire pour ça.

......

Même si la réaction rapide de Lucas a évité le drame à Rosaline, la lame n'a pas manqué de couper sa peau. Mais même cette blessure, qui se refermerait d'un instant à l'autre, suffit à faire monter les larmes aux yeux de mon mari.

Il prend Rosaline dans ses bras pour l'emmener à l'hôpital, sans oublier de me jeter un regard froid plein de déception.

Sacrée différence à ce qu'il m'a fait subir quand j'étais alitée à l'hôpital et que je n'avais même pas la force d'attraper un verre d'eau.

Mon cœur se serre inconsciemment à cette pensée.

« Comment puis-je avoir une sœur aussi cruelle ? Joyce, écoute-moi bien, s'il arrive quoi que ce soit à Rosa, je ne te pardonnerais pas ! », dit mon frère d'un ton déçu, avant de poursuivre Lucas et Rosaline.

Les autres présents les suivent tous.

Ils essaient volontairement de me bousculer.

J'ai esquivé les premiers, mais le dernier ne m'a pas manquée. Heureusement, je me suis laissée tomber sur le canapé. Si je tombais au sol, mes os se fractureraient à nouveau.

J'ai été trop pressée de me débarrasser de mon foutu mari.

Je devrais veiller à préserver ma santé avant tout.

Le canapé de la salle VIP du salon est très moelleux, mais j'ai tout de même dû rester quelques temps allongée pour faire passer la douleur.

La fatigue me cloue sur place.

Mais ce n'est pas un endroit pour se reposer.

Alors je rassemble toutes mes forces pour prendre un taxi.

Une fois chez moi, mes douleurs refont surface. J'ai dû prendre des cachets pour m'endormir.

Mon réveil est brutal : un seau d'eau glacée à la figure.

En ouvrant les yeux, je croise les regards colériques de mes parents.

Je suis un peu perdue, suis-je en train de rêver ?

Ça fait très longtemps que je n'ai pas vu mes parents, même énervés à ce point.

À cet instant, je me demande si je ne suis pas dans un univers parallèle.

Mais un autre seau d'eau glacée que ma mère me jette à la figure me réveille pour de bon, « Marguy, comment oses-tu encore dormir ? »

« Comment ai-je pu donner naissance à un monstre comme toi ? ! Tu as voulu la mort de ta sœur ? Tu devrais plutôt mourir, toi ! »

Marguy est le nom que mes parents m'ont donné après avoir adopté Rosaline.

La rose est la reine des fleurs, et la marguerite, une simple fleur insignifiante, d'un blanc uni, existant seulement pour faire ressortir les jolies couleurs de la rose. Ils veulent que je sois toujours en soutien à Rosaline, et que je me rappelle que je dois la faire passer devant toutes mes priorités.

Je n'avais pas envie, j'ai riposté.

Je ne comprenais pas leur demande.

Pourquoi ? Je suis seulement plus grande qu'elle de dix jours, et je dois tout lui laisser pour cette raison minable ? Lui laisser mes parents, mon frère, ma chambre, mes jouets préférés, ma place à l'université, mes prix... Et même mon prénom, doit être un cran au-dessous du sien ?

Mais ma riposte était en vain.

Quand mon désespoir était à son apogée, j'ai choisi la mort. J'espérais que mes parents revoient leur choix par mon acte.

Mais quand on m'a emmenée en réanimation et qu'ils devaient venir signer pour mes soins, ils étaient occupés par la fête d'anniversaire de Rosaline. Ils ont refusé de venir en disant que je n'ai qu'à mourir vraiment.

Alors j'ai compris que peu importe ce que je faisais, ça ne sert à rien.

Alors dès que j'ai grandi, j'ai changé mon nom en Joyce.

Joyce, Joy. La joie, je devrais vivre pour ma joie, et seulement la mienne.

« Si je te savais cruelle à ce point, j'aurais dû te tuer à ta naissance ! »

Le visage déformé par la colère de ma mère confirme la sincérité de ses dires.

J'essuie l'eau coulant sur mon visage, « maman, ce n'est pas encore trop tard. »

Ma mère se fige un instant, « de quoi, pas trop tard ? »

« Tu peux me tuer maintenant. Ne t'inquiète pas, j'écrirais un acte pour justifier ton action, et papa te fera passer pour une malade mentale, tu n'irais pas en prison. »

Même si j'ai envie de vivre pour ma joie, elle reste celle qui m'a donné la vie. Alors si elle veut la reprendre, qu'elle le fasse.

« Tu... Tu... », elle est tellement énervée qu'elle n'arrive pas à trouver ses mots.

Puis...

« Comment le fait de tomber d'une falaise ne t'a pas tuée ? »

Je ricane, « je suis d'accord avec toi. »

Tout le monde aurait été content si c'était le cas.

Personne ne souffrirait.

Ma mère me regarde fixement, sans savoir comment poursuivre cette conversation. Ou bien, ma phrase pleine de tristesse a peut-être éveillé une once d'amour maternel en elle. Ses expressions s'adoucissent légèrement, « Marguy, peu importe. Tu n'aurais pas dû demander à ta sœur de mourir. »

« Tu sais bien qu'elle a toujours été gentille. Elle le ferait vraiment si tu lui le demandes. »

« Tu es sa grande sœur, tu devrais la protéger. »

Je regarde ma mère, silencieuse. J'aimerais lui dire qu'elle aurait dû prendre soin de moi quand je suis tombée de cette falaise, qu'elle aurait dû s'occuper de moi durant mes trois mois d'hospitalisation. Trois mois, c'est long !

Pourquoi n'as-tu pas pitié de moi, ne serait-ce qu'un peu ?

Mais ces phrases ne parviennent pas à quitter ma bouche. En fin de compte, elles ne serviraient à rien.

Mon père est plus impatient, « ça suffit. Arrête de faire la pleureuse. Prépare-toi, tu viens avec nous pour t'excuser auprès de Rosa. »

« Et si tu trouves vraiment qu'elle va bien avec Lucas, alors dépêche-toi de divorcer avec lui. »

« Tu les as empêchés de s'unir durant toutes ces années, et tu n'es même pas foutue de faire en sorte que Lucas tombe amoureux de toi. Sois consciente que tu ne vaux rien. »

Sans attendre ma réponse, il continue, « tu es tombée de si haut et tu es restée tellement longtemps baignée dans de l'eau froide, qui sait si tu peux encore faire des enfants ? Divorce et n'empêche pas Lucas d'avoir des enfants. »

« Oui, Marguy, si tu l'aimes vraiment, laisse-le vivre une vie heureuse. », ajoute ma mère.

Je regarde silencieusement mes parents.

Alors ils le savaient, ils savaient à quel point mes blessures étaient graves. Ils ne pensaient pas que je faisais semblant.

Ils ne sont pas venus me voir pour la simple et bonne raison qu'ils se fichent de moi.

Je lâche un sourire triste, « d'accord, je divorce avec lui. »