Revivre, pas Luna : direction Harvard

« C'est si compliqué de te demander une signature ? »

Julien Laurent a jeté un coup d'œil à l'heure, visiblement impatient.

J'ai baissé les yeux vers le registre de Luna de la meute, mais mes pensées se sont envolées ailleurs.

Dans la région, toutes les Lunas devaient signer ce document de leur main pour l'Alpha. C'était à la fois un rituel symbolique et un honneur.

Dans ma vie passée, j'avais écrit mon nom sérieusement, avec gravité, puis j'avais sauté dans ses bras, heureuse.

Mais il m'avait repoussée d'un geste sec, puis il avait pris le registre et était reparti aussitôt.

Ce n'est que plus tard que j'avais compris : il se dépêchait de rejoindre la meute voisine pour acheter un remède destiné à calmer l'âme-loup d'Élodie Lemoine.

Dans cette vie, j'ai répondu d'un ton indifférent, tout en tenant le registre :

« C'est bon, j'ai compris. »

Il portait une cape noire et une tenue moulante qui soulignait ses abdominaux.

Élodie adorait le voir ainsi. Elle disait que ses muscles bien dessinés prouvaient qu'il avait l'étoffe d'un futur Alpha.

« Ne t'inquiète pas, » ai-je dit d'une voix neutre. « Je remettrai moi-même le registre au messager. »

Il a hoché la tête, soulagé.

« Puisqu'on est des compagnons destinés, je signerai forcément un contrat d'union avec toi. Mais évite de t'en prendre à Élodie, ça pourrait nuire à sa réputation. »

Je n'avais pourtant rien fait. Mais il ne croyait qu'en Élodie. À ses yeux, j'étais juste la compagne jalouse incapable d'accepter sa sœur adoptive.

Il a tourné les talons. J'ai pris une grande inspiration, tentant de calmer ma louve intérieure. Elle était furieuse.

Dans ma vie passée, la nuit même de notre union, il était parti sous prétexte qu'Élodie était malade. Il n'était pas rentré de cette nuit-là.

Trois jours après le mariage, il était parti à Paris pour deux ans en mission diplomatique. Il pouvait recommander une personne pour l'accompagner étudier à Sciences Po Paris - une université humaine de renom.

Il n'avait écrit qu'une seule lettre de recommandation : pour Élodie. Parce qu'elle, disait-il, n'était jamais sortie de la meute, et que Paris était un endroit idéal pour une jeune louve qui devait « s'ouvrir au monde ».

À cette époque, les humains et les loups-garous avaient déjà signé un pacte de paix. Moi non plus, je n'étais jamais sortie de la meute. J'avais soif d'apprendre la culture des humains, de devenir une Luna plus qualifiée.

Mais il m'avait simplement refusé ce droit, sans discussion.

Même le jour de mon accouchement, il était aux côtés d'Élodie.

Elle venait tout juste de rompre son contrat d'union et avait, soi-disant, besoin de réconfort.

Quand j'étais gravement malade, ma fille s'était assise près de mon lit et m'avait murmuré :

« Maman, laisse tomber. Ma tante est bien meilleure que toi. Mais papa est resté avec toi pendant toutes ces années. Tu devrais être reconnaissante. »

En y repensant, une douleur vive m'a traversé le cœur.

Pas cette fois.

J'ai pris le registre et, à la place de mon propre nom, j'ai écrit Élodie Lemoine à l'emplacement réservé à la signature de la Luna.

Julien Laurent, puisque tu n'as jamais voulu que d'elle, je te la laisse — cette fois, jusqu'au bout.

J'ai scellé le document et l'ai remis au messager.

Quand j'ai franchi le seuil, une sensation de légèreté m'a envahie. C'était comme retrouver un souffle que j'avais perdu depuis longtemps.

Le père d'Élodie était mort pendant la guerre. Elle avait été adoptée par les parents de Julien alors qu'elle n'était qu'une enfant.

Elle savait bien comment gagner la faveur des anciens. Les anciens Alpha et Luna la choyaient plus encore que leur propre fils.

Dans ma vie passée, madame Laurent répétait souvent qu'elle espérait que la Déesse de la Lune les guiderait pour qu'ils deviennent compagnons.

Mais à ses dix-huit ans, c'est moi que le loup de Julien avait reconnue.

Il était devenu fou de rage, refusant même d'obéir aux ordres de son père, l'Alpha en titre.