Isabella
Le jour se lève lentement, comme s’il hésitait à toucher cette partie du monde. Les arbres sont figés sous une couche de givre, et la brume s’accroche encore entre les troncs, paresseuse, blanche comme le souffle des morts. Le silence est épais, presque religieux.
Je suis déjà debout.
Je n’ai pas dormi. À peine fermé les yeux. J’ai passé la nuit à marcher de long en large, dans la chaleur tiède de ma cabane, le feu réduit à des braises. Mes pensées tournaient en boucle autour de lui, de sa voix, de ses yeux rouges, de ses mains puissantes. Autour de cette chose qui palpite en moi depuis notre premier regard.
Lucien.
Son nom s’impose dans mon crâne, comme une incantation que je n’ai jamais prononcée à voix haute, mais que mon corps connaît déjà par cœur.
Je rabats une peau de renard sur mes épaules. Dehors, l’air est mordant, presque cruel. Chaque bouffée que j’inspire me brûle la gorge, mais cela m’aide à garder pied, à ne pas céder entièrement à cette fièvre intérieure. Le sol est dur, la neige crisse sous mes bottes. Chaque pas vers lui est un affront à la logique. Mais je ne veux plus de logique.
Je le sens, avant même de voir sa silhouette.
Ce n’est pas un pressentiment. C’est plus animal. Comme si un fil invisible, vibrant, me reliait à lui. Comme si son souffle m’appelait.
Je pousse la porte de la cabane aux peaux.
Il est là.
Il ne fait rien. Il est juste assis, torse nu, les cheveux noirs en désordre, une peau diaphane comme le givre sur les pierres. Il est magnifique. Brut. Ancien. Dangereux. Et pourtant, je n’ai jamais eu autant envie de m’approcher d’un être vivant.
Ses yeux rouges se posent sur moi aussitôt. Je m’attends à une tension, un tressaillement. Mais il est calme. Son regard est calme. Brûlant, mais silencieux.
Il m’attendait.
— Tu n’as pas fui, dit-il.
Je penche légèrement la tête. Mon cœur cogne comme un tambour dans ma poitrine.
— Je ne sais plus si je veux.
Ma voix sort plus rauque que prévu. Il la goûte du regard, la laisse s’infiltrer en lui. Et dans ce silence lourd, son souffle s’épaissit.
Il penche la tête, lentement, un geste presque félin. Il m’observe comme une proie venue se livrer d’elle-même à la gueule du loup.
— Approche.
Je le fais. Sans hésiter. C’est mon corps qui choisit. Ce n’est plus moi. La peau de renard glisse de mes épaules. Le froid me gifle, mais je ne recule pas. Je m’agenouille devant lui, les genoux dans la fourrure brute qui recouvre le sol.
Je tends la main. Mes doigts trouvent une cicatrice, juste sous sa cage thoracique. Longue, irrégulière. La peau est plus rugueuse là, presque froide. Il frissonne.
— Tu sens le matin, murmure-t-il. Comme une promesse… qui saigne.
Je souris.
— Et toi, tu sens la mort. Mais elle ne m’effraie plus.
Un silence.
Il ferme les yeux, longuement, comme s’il recueillait mes mots, les rangeait dans un endroit secret.
Quand il les rouvre, ils brillent d’un éclat plus humain. Mais ce n’est qu’une illusion. Je le sais. Il est tout sauf humain. Il est ce qui vit après la fin du monde. Ce qui se relève quand tout est brûlé.
— Si tu restes trop longtemps, je te prendrai.
Ma main cesse de bouger. Il ne m’a pas touchée, pas encore. Mais il n’a pas besoin. Sa voix seule m’enlace.
— Est-ce une menace… ou une prière ?
— Les deux, dit-il, sans cligner des yeux.
Je penche vers lui. Mon front touche le sien. Il ne bouge pas. Je sens son souffle. Un peu rauque. Profond. Trop lent pour appartenir à un homme vivant.
Et pourtant, je le sens vibrant.
— Je devrais te fuir, murmuré-je.
— Mais tu ne le feras pas.
Il le dit avec une certitude presque douloureuse. Pas de doute. Il sait. Il lit déjà en moi comme dans un vieux livre qu’on a trop feuilleté.
Il lève une main. Très lentement. Sa paume se pose sur ma nuque, et cette simple pression me fait gémir à peine, une plainte contenue au creux de mes lèvres. Mon corps réagit immédiatement, arc tendu vers lui. Mon ventre se tord, mon cœur se désintègre.
— Dis-moi ton nom.
Je ferme les yeux.
Je veux lui dire. Mais je retiens.
Mon nom… c’est tout ce qu’il me reste de moi.
Alors je chuchote, sur un souffle :
— Demain.
Il sourit. Léger. Féroce. Terriblement doux aussi.
— J’attendrai.
Sa voix me colle à la peau.
Je me redresse. À contrecœur. Chaque cellule de mon corps hurle de rester. De m’offrir. De lui dire que je suis déjà sienne, même sans son venin, même sans ses griffes. Que je suis prête à me perdre dans l’éclat rouge de ses yeux.
Mais je recule.
Et lui, il ne bouge pas.
Il me suit du regard. Et ce regard me brûle plus que le froid du dehors.
— Je reviendrai, dis-je.
— Je le sais.
Je ferme la porte. L’air glacial me mord les joues. J’ai les jambes tremblantes. Les doigts engourdis. Le cœur à nu.
Mais j’ai l’impression de porter quelque chose en moi. Quelque chose de plus lourd que mes secrets. Quelque chose qui pulse. Une faim. Une énergie sombre.
Je n’ai pas peur.
Je n’ai plus peur.
Je suis Éliane. Et je crois que je suis déjà à lui.
Ou qu’il est déjà en moi.
Et peut-être… que c’est exactement ce que j’ai toujours attendu.
ISABELLALe champ de bataille s’étend devant nous, un théâtre de chaos et de flammes.L’air est saturé d’odeurs de sang et de poudre, de cris déchirants et de hurlements sauvages.Je sens la puissance d’Élyas en moi qui gronde, un torrent prêt à se déchaîner.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan mes quatre piliers sont aux aguets, incarnations vivantes de la rage et de la stratégie.Je serre les poings.Il est temps.La bataille recommence, plus féroce, plus désespérée.Les ennemis surgissent en vagues ininterrompues.Leurs visages sont des masques de haine, leurs armes des prolongements de leur fureur.Je canalise la magie d’Élyas. Elle se déploie en éclairs bleus et pourpres, tissant des chaînes d’énergie qui foudroient et paralysent.Lucien élève sa voix en un chant d’ancêtres, libérant des ondes qui désorientent les assaillants.Mikhaïl charge, un mur d’acier indomptable, ses poings fracassant les boucliers.Ezra bondit tel un prédateur, griffes déchirant, crocs claquant, rugissant la veng
ISABELLALe vent hurle à travers les arbres du domaine, porteur d’un présage lourd et sourd. Il traverse les branches nues, emportant avec lui des murmures d’ombres et de dangers.Le ciel est bas, chargé de nuages lourds, menaçants, comme une tempête qui sommeille au-dessus de nos têtes.Depuis des jours, la menace se précise.Les sentinelles parlent à voix basse, à peine audible, de mouvements ennemis dans les bois profonds. Des éclats furtifs de lumière noire, des traces indéchiffrables laissées au sol.Le souffle de la guerre est à nos portes.Je marche dans le jardin, la terre humide sous mes pieds, mon manteau noir flottant dans le vent. Le regard fixé vers l’horizon où se dessinent des formes indistinctes, une armée obscure s’approchant.À mes côtés, mes quatre piliers. Mes amants. Mes gardiens.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan.Leurs présences sont autant d’ancres dans ce chaos naissant.Lucien serre les dents, ses yeux d’ambre brillant d’une flamme farouche.— Leur nombre dépasse t
ISABELLALe monde semble avoir changé.Le silence qui suit la tempête est lourd de promesses.Je tiens Élyas contre moi, sa peau encore tiède, son souffle léger comme une caresse sur mon cœur.Autour de nous, les flammes mystiques se sont apaisées.Leurs lueurs dansent encore, faibles, comme un dernier éclat avant l’aube.Mes amants sont là.Lucien, Mikhaïl, Ezra, Ivan.Leurs regards sont emplis d’une fierté tendre, d’un amour ancien et nouveau.Ils approchent doucement.Leurs mains se posent sur moi, sur l’enfant.Un cercle de force, un pacte silencieux.— Il est tout ce que nous espérions, murmure Lucien.— Un miracle vivant, souffle Mikhaïl.Je sens la puissance d’Élyas s’étendre en moi, en eux, en tout ce qui nous entoure.Il est notre lien, notre avenir.Je ferme les yeux un instant.Je sens leurs mains serrer les miennes.Je sens leurs cœurs battre avec le mien.Et je sais.Je sais que rien ne sera plus jamais pareil.Le chemin sera long.Parfois sombre.Mais il sera à nous.Élya
ISABELLALe matin s’étire doucement, presque avec hésitation, comme si le monde retenait son souffle, attendant quelque chose d’invisible, de grand, de sacré.La lumière pâle filtre à travers les volets entrouverts, caresse la poussière qui danse dans l’air immobile de la chambre. Pourtant, dans mon corps, c’est une tempête qui gronde.Je suis allongée, le regard fixé au plafond où les ombres se meuvent comme des spectres.Chaque fibre de mon être vibre sous l’assaut d’une énergie nouvelle, une force qui gonfle, qui pulse, qui s’ancre dans les profondeurs de mon ventre.Élyas s’éveille.Ce n’est plus un simple frémissement, un souffle léger, un caprice d’enfant à naître.C’est un chant, une force qui réclame sa place, qui hurle silencieusement pour qu’on l’écoute, pour qu’on le reconnaisse.Je sens sa présence partout, dans mes os, dans mes veines, dans chaque souffle qui quitte mes lèvres.Un courant chaud et froid à la fois qui m’envahit, me traverse, m’anime.Je ne suis plus la même
ISABELLATout brûle.Mais pas dehors. Pas dans la nuit glacée qui enlace les murs de pierre , non.C’est à l’intérieur que tout se déchire.C’est dans mes os que le feu prend. Dans mes veines que l’orage gronde.Mon ventre est une forge.Ma chair est une tempête.Je hurle, mais aucun son ne franchit mes lèvres.Je suis dans un entre-deux.Suspendue entre la vie et la mort. Entre ce que j’étais et ce que je suis en train de devenir.Je sens mes os s’élargir. Mes organes se tordre.Ma peau transpire du sang noir.Mes ongles s’allongent. Mes crocs grattent l’intérieur de ma mâchoire.Et lui, au creux de moi… il s’agite.Il n’a pas peur. Il commande.C’est lui, l’enfant, qui me pousse à basculer.C’est lui qui m’arrache à l’humanité.Il veut que je le rejoigne.Que je sois prête à l’accueillir dans ce monde qui ne sera plus jamais le même.Puis je les sens.Lucien. Mikhaïl. Ezra. Ivan.Ils arrivent comme des bourrasques.Leurs pas sont silencieux, mais mon cœur bat à leur rythme.Je les r
ISABELLALe soleil se lève à peine.Je le regarde se frayer un chemin entre les branches noires des cyprès, comme si lui aussi avait dû lutter pour survivre à la nuit.Moi, je l’ai fait.Je suis encore debout.Vivante.Aimée.Et enfin… libre.Je marche lentement dans le jardin, mes pieds nus effleurant l’herbe fraîche. Chaque brise sur ma peau me rappelle que je suis revenue d’un monde où le souffle n’était que douleur. Mais ici, maintenant, chaque respiration est une bénédiction.Mon ventre est rond.L’enfant en moi s’étire doucement, comme s’il sentait que quelque chose a changé.Comme s’il savait que le danger est passé.— Tu es en sécurité maintenant, je murmure. Et moi aussi.Je me retourne…Et je les vois.Ezra , Ivan , Lucien , Mikhaïl.Ils avancent vers moi, comme sortis d’un rêve ancien.Quatre âmes que j’ai aimées dans les ténèbres… et qui m’aiment, encore, malgré mes blessures, malgré le sang, malgré le passé.Mes amants. Mes piliers. Mes immortels.Ezra est le premier à m’