LOGINCARLA
Le temps s’est détraqué. Il ne coule plus, il pulse au rythme saccadé de mon cœur contre sa poitrine. Chaque battement est un coup de tambour sourd dans la pénombre poussiéreuse de la réserve. Le néon clignotant scande notre folie en stroboscope, gelant des images furtives : ses mains sur ma peau, l’arc de mon dos, l’éclat fiévreux de son regard gris.
Il a fait glisser mon pantalon de chef, le lourd tissu coton tombant en tas autour de mes chevilles. L’air frais de la pièce me cingle les cuisses. Puis ses mains sont là, chaudes, fermes, remontant le long de mes mollets, de l’intérieur de mes genoux, pour s’arrêter, doigts enfouis dans la dentelle de ma culotte. Un gémissement rauque m’échappe, que j’étouffe en mordant ma propre lèvre. Je sens le sourire contre mon cou.
— Silence, Chef, murmure-t-il, ses lèvres vibrantes contre mon lobe. Les murs ont des oreilles… et votre équipe, des yeux.
L’idée qu’on puisse nous entendre, nous voir, devrait me glacer, me ramener à la raison. Au lieu de cela, une vague de feu plus intense me submerge, mêlant la peur au désir en un cocktail explosif. Je me cambre davantage, offrant mon cou à sa bouche, mes mains s’agrippant désespérément aux épaules de son costume maintenant largement ouvert.
— Toi… tu parles trop, Mathis.
Le tutoiement sort de lui-même, chargé d’une intimité brutale. Il marque une pause, puis un rire bas, satisfait, roule dans sa gorge.
— Enfin.
Ses doigts glissent sous la dentelle, trouvent le centre mouillé et brûlant de mon abandon. Un contact précis, habile, qui me fait voir des éclats blancs derrière mes paupières closes. Je pousse un cri étouffé, le front enfoui contre son épaule. Il connaît son affaire, ce salaud. Il explore, presse, caresse avec une science qui balaie les derniers vestiges de ma pensée. Je ne suis plus qu’un arc tendu, une note de musique aiguë sur le point de se briser.
De l’autre côté du mur, une casserole tombe avec un vacarme métallique. Des voix s’élèvent, étouffées. Antoine doit gérer le service des plats principaux tout seul. Une pointe de culpabilité tente de percer la brume de mon désir, mais elle est immédiatement vaporisée par la pression experte de son pouce. Mes jambes tremblent. Le sac de farine derrière moi grince sous mon poids.
— Pas… pas comme ça, halète-je, les doigts s’enfouissant dans ses cheveux pour l’attirer plus près. Pas seulement moi.
Il comprend. Ses yeux, dans la lumière saccadée, brillent d’une faim réciproque. Il retire sa main lentement, me faisant frémir du manque, et s’occupe de son pantalon. Le bruit de sa ceinture, du zip, est obscènement audible. Puis il est contre moi à nouveau, nu sous le velours froissé de sa veste, et la sensation de sa peau contre la mienne, chaude, dure, prête, me coupe le souffle.
Il me soulève légèrement, aidé par la pression du sac derrière moi. Mes jambes s’enroulent autour de sa taille d’elles-mêmes, un réflexe animal. Le contact est imminent, brûlant. Nos regards se croisent, se jaugent dans un ultime instant de lucidité sauvage. Il n’y a plus de critique, plus de chef. Il n’y a que cette tension électrique qui a mis le feu à la soirée et qui exige d’être éteinte, ou alimentée, dans un brasier commun.
— Carla, grogne-t-il, une question, une mise en garde, une prière dans son nom.
Ma réponse est un mouvement de hanches saccadé, impérieux. Un ordre.
Il entre en moi d’un seul coup, profond, précis, remplissant l’espace avec une intensité qui me fait crier malgré mes efforts pour me taire. La bouche de Mathis s’abat sur la mienne, avalant le son, transformant mon cri en un gémissement partagé. C’est une fusion brutale, un choc. La toile rugueuse du sac de farine me gratte le dos à travers mon t-shirt. L’odeur de poussière, de terre, de légumes oubliés et de notre sueur se mêle en un parfum primitif.
Il commence à bouger. Ce n’est pas une tendre lovemaking. C’est une revendication, une bataille pour le contrôle que nous avons tous deux perdu. Chaque poussée est un défi, chaque retrait une torture exquise. Je réponds à chaque mouvement, mes ongles s’enfonçant dans le dos de sa chemise, mes talons se creusant dans le bas de son dos pour l’attirer plus profondément encore. La passion est tempête, elle est raz-de-marée. Elle engloutit l’humiliation du soufflé, la peur de l’échec, la colère contre son sourire. Il ne reste que cela : la chaleur, la friction, le son étouffé de nos souffles et de nos corps qui se heurtent dans l’ombre.
Son rythme s’accélère, devient plus urgent. Je sens la tension monter en moi, une spirale serrée au bas de mon ventre qui absorbe tout le chaos de la soirée pour le transformer en pure sensation physique. Ma vision se brouille. Je m’accroche à lui, au tissu rêche du sac, à tout ce qui peut m’empêcher de me dissoudre.
— Regarde-moi, exige-t-il d’une voix rauque, brisée.
J’ouvre les yeux, m’oblige à soutenir son regard gris, maintenant noir de passion dans la pénombre. Je vois mon propre reflet en lui : échevelée, possédée, libre. C’est ce regard, cette connexion sauvage et directe, qui fait céder la dernière digue. La vague me submerge, violente, silencieuse, me secouant de la tête aux pieds dans une série de spasmes électriques qui arrachent un sanglot à ma gorge. Je me mords la lèvre jusqu’au goût du sang pour me taire, mon corps arché contre le sien, les doigts crispés dans ses cheveux.
MATHISFinalement, à l'aube, épuisé, hanté par son visage entre extase et fureur, j'écris la seule vérité qui me reste. Celle qui est née avant même de la toucher, quand je l'ai vue marcher vers ma table, droite, déterminée, magnétique dans sa colère.L'article est court. Brut. Il ne parle presque pas de nourriture. Il parle d'une femme, d'un restaurant, d'une expérience qui dépasse l'assiette. Je l'envoie à mon rédacteur en chef sans même le relire.Puis je m'effondre sur mon lit, les draps froids. Et je rêve de sacs de farine qui respirent, de soufflés qui se relèvent, et de doigts couverts de fromage traçant des chemins sur une peau chaude.---CARLA---Le service est terminé. Le dernier client est parti. La cuisine est silencieuse, propre, métallique. Une cathédrale vide après l'orage. Mes mains, habituellement infatigables, tremblent légèrement en essuyant le dernier plan de travail. Le silence est pire que le bruit. Il laisse de la place aux pensées.Antoine range les verres en
MATHISJe regagne ma table comme on sort d'un naufrage. Les jambes molles, le souffle encore court, la tête bourdonnante du vacarme intérieur laissé par cette tempête. Le velours de mon costume est fripé, ma chemise sent la farine et son parfum - un mélange de savon à l'herbe et de transpiration salée. Carla. Partout.Je m'effondre sur la chaise, les doigts serrant le bord de la nappe blanche comme une bouée. La salle semble avoir pivoté d'un degré pendant mon absence. Les murmures des autres convives me parviennent étouffés, comme à travers de l'eau. La bougie a coulé, formant une cascade figée de cire sur le bougeoir. Réalité.Qu'est-ce que tu viens de faire, Lambert ?La question tonne en moi, mais étrangement, elle ne porte pas le poids de la culpabilité. Plutôt l'écho étourdissant d'un séisme. J'ai passé ma vie à disséquer les expériences, à les mettre en mots. À contrôler le récit. Là, dans cette réserve puante, il n'y a eu aucun récit. Seulement des sensations brutes, incontrôl
CARLAMa chute le précipite. Il enfouit son visage dans mon cou, étouffant son propre grondement de bête contre ma peau. Je sens son corps se raidir, puis être parcouru de tremblements convulsifs. La chaleur qui m’inonde achève de me consumer de l’intérieur.Pendant un long moment, il n’y a plus que le son de notre respiration haletante qui se calme peu à peu, mêlée au clignotement obstiné du néon. Le poids de son corps contre le mien est écrasant, réel, ancré. La folie se retire, laissant place à une lourde torpeur et à la conscience aiguë, glaciale, de l’endroit où nous sommes et de ce que nous venons de faire.Il se redresse le premier, ses mains se posant de chaque côté de ma tête contre le sac de farine. Son regard parcourt mon visage, mes cheveux en désordre, mes lèvres gonflées, avec une intensité nouvelle, presque contemplative.— Eh bien, dit-il enfin, sa voix encore empreinte de rauque. Voilà un dessert qui n’était pas sur la carte.Le choc de ses mots, le retour à la réalit
CARLALe temps s’est détraqué. Il ne coule plus, il pulse au rythme saccadé de mon cœur contre sa poitrine. Chaque battement est un coup de tambour sourd dans la pénombre poussiéreuse de la réserve. Le néon clignotant scande notre folie en stroboscope, gelant des images furtives : ses mains sur ma peau, l’arc de mon dos, l’éclat fiévreux de son regard gris.Il a fait glisser mon pantalon de chef, le lourd tissu coton tombant en tas autour de mes chevilles. L’air frais de la pièce me cingle les cuisses. Puis ses mains sont là, chaudes, fermes, remontant le long de mes mollets, de l’intérieur de mes genoux, pour s’arrêter, doigts enfouis dans la dentelle de ma culotte. Un gémissement rauque m’échappe, que j’étouffe en mordant ma propre lèvre. Je sens le sourire contre mon cou.— Silence, Chef, murmure-t-il, ses lèvres vibrantes contre mon lobe. Les murs ont des oreilles… et votre équipe, des yeux.L’idée qu’on puisse nous entendre, nous voir, devrait me glacer, me ramener à la raison. A
CARLACe n’est pas un baiser. C’est une déclaration de guerre, une capitulation, une explosion. C’est tout ce qui a monté en pression depuis qu’il a franchi la porte : la peur, la rage, la frustration, et cette attirance sauvage, immédiate, que je refuse de nommer. Ma bouche est avide, exigente. La sienne répond avec une égale voracité, mais avec une maîtrise diabolique qui me fait chavirer. Ses mains se posent sur mes hanches, puis remontent le long de mon dos, m’écrasant contre lui. Je sens la chaleur de son corps à travers nos vêtements, la tension de ses muscles.Quand nous nous séparons pour respirer, un souffle rauque nous échappe à tous les deux. Son front repose contre le mien. Ses yeux scrutent les miens, cherchant une réponse, une permission.— La cuisine, halète-je, le cerveau en ébullition. Pas ici.Il répond par un nouveau baiser, plus profond, plus possessif. Puis il se détache, prend ma main, et c’est moi qui le guide, cette fois, hors du bureau. La cuisine est en plein
CARLAJe ferme les yeux une seconde. Quand je les rouvre, Mathis Lambert a détourné le regard, mais ses épaules tremblent légèrement. Il rit. Il ose rire.C’en est trop. La rage, froide et précise, m’envahit. Elle chasse la panique, l’humiliation. Elle se concentre en un point de décision cristallin. Mon étoile est morte, noyée dans le fromage de chèvre. Mais lui, je ne le laisserai pas repartir avec ce sourire narquois.Alors que l’entrée un tartare de légumes de saison qu’il a commenté d’un « intéressant » aussi plat que l’assiette est débarrassée, je sors de la cuisine. Je marche droit vers sa table, le sang battant à mes tempes. Je me penche, mes mains posées à plat sur la nappe, à côté de son verre d’eau. Je sens son regard se lever, parcourir la ligne de mon cou, s’attarder sur la sueur qui perle à la base de ma gorge.— Monsieur Lambert. Un mot, s’il vous plaît.Ma voix est un fil de soie tendu, à peine audible au-dessus du murmure de la salle.— À votre disposition, Chef, répo







