Alba
Je ne suis pas prête.
Pas à enfiler cette robe trop moulante, trop rouge, trop… femme. Pas à sentir le satin contre ma peau nue comme un rappel qu’on m’a arraché mes armes. Pas à affronter les regards. Pas à marcher à son bras comme un trophée qu’on exhibe dans une vitrine de chair et de mensonges.
— Lève le menton, murmure-t-il derrière moi. Tu n’es pas une servante. Tu es la future Reine.
Je croise mon propre reflet dans le miroir. Les lèvres maquillées en sang. Le regard noirci à la kohl. Les cheveux relevés pour exposer la gorge.
Une offrande.
Il m’a transformée en putain de poupée vénéneuse. Belle. Brillante. Et vide.
Je serre les dents. S’il croit que quelques perles autour de mon cou effaceront la haine qui me ronge, il se trompe. Ce gala, c’est sa scène. Sa putain de mascarade.
Et moi, je suis le prix.
La voiture s’arrête devant un immense palais privé. Deux statues de lions gardent l’entrée, aussi figées que mon visage. Les flashs crépitent déjà. Les objectifs nous guettent comme des fusils. Il sort en premier, dominant, élégant, dangereux. Costume noir. Regard incendiaire. Il m’offre sa main.
Je ne la prends pas. Je descends seule.
Le tapis est rouge comme ma robe. Rouge comme le sang qu’ils ont versé. Rouge comme la colère qui m’habite.
Les murmures commencent immédiatement. Je les sens se glisser entre les colonnes de marbre, se faufiler entre les serveurs silencieux et les coupes de champagne.
— C’est elle, la flic ? — Il l’a vraiment fait... — Une Valente. Belle comme la mort.
Je les entends tous. Des vautours bien habillés. Des assassins en costume qui sourient en dégustant du champagne au goût de sang. Certains m’observent avec une condescendance glacée, d'autres avec une curiosité lubrique. Et d'autres encore, plus rares, avec une crainte mal dissimulée.
Sandro m’attrape doucement le poignet. Un geste maîtrisé. Une pression mesurée.
Son sourire est celui d’un roi. Son emprise, celle d’un geôlier.
— Marche à mes côtés, Alba. Ou je t’y traîne.
Je marche. Pas pour lui. Pour moi. Pour ma fierté. Pour leur prouver que je ne suis pas une poupée, mais une lame. Aiguisée. Tranchante. Mortelle.
La salle est un théâtre de luxe et de corruption. Dorures, lustres de cristal, violons en fond sonore. Miroirs sans tain. Œuvres d’art volées. Tapisseries anciennes imbibées de silence et de secrets. Chaque invité est une pièce d’échiquier dans un jeu qui me dépasse.
Et au centre… moi.
On nous annonce.
« Monsieur Sandro De Santis et sa fiancée, Alba Valente. »
Fiancée. Le mot résonne comme un couperet. Une insulte gravée dans l’air.
Je retiens un haut-le-cœur. Mon cœur bat trop vite. Trop fort.
Mais je ne cède pas. Je suis une Valente, merde.
Je redresse les épaules. Mes talons claquent contre le marbre. Chaque pas est une déclaration de guerre.
Sandro
Elle est sublime. Sauvage. Furieuse.
Chaque pas qu’elle fait est une insulte à ceux qui voudraient la voir soumise. Et pourtant, elle est là. À mes côtés. Liée par son propre sang.
Et ce qu’elle ignore, c’est qu’elle enflamme plus qu’elle ne scandalise.
Les parrains s’approchent. Les chefs de clan. Les anciens. Les plus jeunes. Tous veulent jauger ma conquête, tester sa docilité, chercher la faille.
— Une flic, hein ? demande l’un avec un rictus. J’espère qu’elle sait tenir sa langue.
— Elle saura tenir plus que ça, répond un autre en ricanant. Les Valente ont toujours eu une bouche utile.
Je souris. Tranchant.
— Messieurs, je vous déconseille de sous-estimer ma femme. Elle mord.
Et elle mordra, je le sais. Elle dévorera même. Les plus faibles, les plus arrogants, les plus stupides. Elle n’a pas encore compris son propre pouvoir. Mais moi, si.
Je capte les regards. Certains la convoitent. D’autres la jugent. Quelques-uns la craignent. Et un seul la hait avec un feu ancien.
Alba
Je serre le poing. Assez fort pour que mes ongles s’enfoncent dans ma paume. J’ai envie de cracher à leurs pieds. De balancer une coupe de champagne au visage du premier qui ose une remarque.
Mais je reste droite. Digne.
Je suis en territoire ennemi. Chaque faux pas serait un festin pour ces serpents.
Alors il m’embrasse.
Un baiser lent. Forcé. Calculé.
Il veut que je m’écrase. Que je sois la compagne docile.
Je résiste. Une seconde. Deux. Mon souffle se heurte au sien. Mon cœur cogne contre ma cage thoracique comme une bête enfermée.
Puis je cède. Par orgueil. Par stratégie. Par défi.
Parce que je refuse de lui offrir l'humiliation.
Je rends le baiser. Juste assez pour lui faire croire qu’il gagne. Juste assez pour qu’ils doutent tous de qui manipule qui.
Quand nos lèvres se séparent, un silence dense s’installe autour de nous. Comme si chacun avait retenu son souffle.
Sandro
Elle m’a embrassé. Elle m’a défié.
Elle m’a excité comme jamais.
Elle croit me manipuler ? Elle n’a aucune idée du feu qu’elle attise.
Mais ce n’est pas elle qui m’inquiète ce soir.
C’est l’homme au fond de la salle.
Alba
Mon sang se glace.
Massimo Valente.
Mon géniteur. Mon traître.
Il est là. Parfaitement calme. Comme s’il assistait à un opéra. Son regard me transperce, mais c’est son sourire qui me donne envie de hurler. Ce petit rictus satisfait. Comme s’il m’avait modelée, offerte, domptée.
Il lève son verre. En mon honneur.
Je sens mes entrailles se tordre. Mes jambes vaciller.
Mais Sandro glisse sa main dans mon dos nu et murmure à mon oreille :
— Reste droite. Montre-leur que tu es mienne. Pas une faiblesse. Une menace.
Je le déteste. Pour sa voix. Pour sa justesse.
Je le déteste encore plus que son contact me brûle.
Alors je souris. Pour la première fois.
Un sourire de louve. De putain de lionne.
Et tout le monde le voit.
Les rumeurs changent de ton.
— Elle va le dévorer. C’est elle qu’il devra craindre, au final.
Je serre la main de Sandro. Pas comme une amante. Comme une ennemie. Une promesse.
Une déclaration de guerre silencieuse.
Ils croient m’avoir enchaînée.
Mais ils viennent juste de réveiller la pire version de moi.
Et si je dois danser avec le Diable ce soir…
Alors qu’il me suive.
Parce que je n’ai pas dit
mon dernier mot.
Parce que ce bal n’est pas seulement celui des serpents.
C’est le bal de ma renaissance.
Et je compte bien faire tomber une couronne.
AlbaLe combiné est froid contre ma paume moite.Sandro est là, immobile derrière moi, tel un prédateur silencieux.Il ne dit rien, mais ses yeux brûlants ne quittent pas mon dos.Comme un poids invisible, ils pèsent sur chaque respiration.— Tu vas les appeler. Maintenant, murmure-t-il, sans se retourner.Son ton n’est pas une question.C’est un ordre.Je ferme les yeux une seconde, rassemble mes forces, puis baisse la voix.— Très bien , mais tu n'es pas obligé de faire la police derrière mon dos .Quelques sonneries plus tard, une voix familière, douce, fragile, perce le silence.— Alba ? C’est toi ?Luisa , ma mère adoptive.Sa voix tremble, fatiguée par l’inquiétude.— Maman, c’est moi.Un soupir, comme un souffle de soulagement.— Oh, ma chérie… Tu nous as fait peur.On ne t’a plus eu au téléphone depuis des semaines.Je serre les dents, ne sachant par où commencer.— Je suis désolée. J’aurais dû donner plus de nouvelles.Mais… c’était compliqué.Un silence lourd s’installe, cha
AlbaJe pensais que la pire des prisons, c’était celle qu’on voyait.Les barreaux. Les chaînes. Les portes fermées.Mais celle-ci…Celle où je suis maintenant…Elle est faite de soie.De champagne.De regards complices.De luxe programmé.Et je n’ai jamais été aussi seule.Le matin se lève comme une pièce de théâtre.Rideaux automatisés. Lumière tamisée. Café préparé à l’heure exacte.Tout est calibré. Sans âme.Et c’est justement ce qui me donne la nausée.Je vis dans un décor parfait pour photos officielles.Mais chaque centimètre carré transpire la mise en scène.Même l’air a une odeur de trahison.L’appartement est vaste, lumineux, surplombant la ville comme un trône.Mais je n’y vois qu’une cage high-tech.Pas de coins sombres. Pas d’angles morts.Les miroirs sont trop bien placés.Les murs, trop lisses.Le personnel, invisible… ou plutôt trop discret.Je sais ce que ça veut dire.Je reconnais la surveillance quand elle me caresse la nuque.Alors je me déplace lentement.Je lis à
AlbaJe suis restée dehors plus d’une heure.À marcher. À tourner en rond. À ne pas céder.À sentir le poison s’infiltrer sous la peau.Ils veulent que je m’habitue.Que j’apprenne à donner des ordres. À déléguer la violence.À m’asseoir à leur table avec du sang sous les ongles et un sourire aux lèvres.Ils veulent faire de moi leur miroir.Mais je suis flic.Je suis flic.Même si tout le monde m’a oubliée.Et c’est justement pour ça qu’ils devraient se méfier.J’ai fini par rentrer.Pas à mon ancien appartement. Pas dans l’un de leurs lofts aseptisés.Non. Un hôtel discret, tenu par une vieille connaissance. Quelqu’un qui ne pose pas de questions. Qui a encore quelques dettes envers moi.Je verrouille la porte. Deux fois.Je cale une chaise sous la poignée.Je garde mes bottes aux pieds.Et je compose le numéro.Une seule sonnerie.Puis une voix. Râpeuse. Méfiante. Masculine.— T’as mis le temps.Je ne dis rien tout de suite.Parce que cette voix, je la reconnais.Silvio Moresco.An
AlbaLe papier brûlé flotte encore dans ma gorge.Je me suis lavée les mains trois fois. Eau chaude. Froide. Frottement jusqu’à l’écorchure.Le savon mousseait rouge.Mais je sais ce que j’ai touché.Et ce n’est pas de la culpabilité.C’est plus sale.Plus profond.Plus définitif.Je quitte l’hôtel avant l’aube.Pas de regard en arrière. Pas de bagage. Juste ce que je porte sur moi. Et cette clé USB, glissée dans la doublure de ma veste.Mes doigts ont reconnu l’endroit à l’aveugle. Réflexe d’ancien flic.Double du message ? Test ? Menace ? Je n’en sais rien.Mais je reconnais les codes. La paranoïa. Les pièges.C’est comme une seconde peau. Une sale habitude.Ce que j’étais avant ne me lâche pas. Même si je n’en suis plus digne.Le téléphone prépayé a vibré à 5h12.Un seul mot à l’écran.“Monteverde.”Pas besoin de plus.Je connais le protocole.Sandro appelle.Et je dois répondre.La villa de Monteverde surplombe Rome comme un mausolée propre sur lui.Façade blanche. Allées taillées
AlbaJe pensais avoir connu la peur.La vraie.Celle des couloirs vides à l’hôpital après une opération ratée.Celle d’un battement de cœur de trop pendant une filature.Celle qui surgit au fond des yeux d’un homme qu’on pensait aimer.Mais ce matin-là, ce n’est pas de la peur.C’est pire.C’est l’acceptation.La résignation froide qui s’installe quand on comprend qu’on ne pourra pas s’échapper.Quand on sait, au fond, qu’on ne veut même plus fuir.Je descends. Les marches grincent à peine. La maison est baignée de cette lumière bleue, pâle, maladive, juste avant l’aube.Sandro est déjà debout.Chemise blanche. Mains croisées dans le dos. Regard calme.Trop calme.— Tu pars ce soir, dit-il.Je m’arrête net.Il ne me regarde même pas.Comme s’il parlait à quelqu’un qui n’existe plus.— Direction Bari. Un contact sur place. Tu vas prendre en charge la livraison.Je fronce les sourcils.— Une livraison ? Pourquoi moi ?Il se tourne légèrement. Son regard me transperce.— Parce que c’est
AlbaIl fait encore nuit quand je me réveille.Pas parce que je veux. Parce que je sens que quelque chose a changé.Un courant d’air dans la maison. Un frisson dans les murs. Une tension sourde, presque imperceptible, comme une bête tapie qui retient son souffle.Je me lève sans bruit. Pieds nus sur le marbre froid. Je traverse le couloir, chaque pas plus pesant que le précédent. La maison est calme, trop calme. Les gardes changent rarement de poste avant six heures. Il est à peine quatre.Mais je le sens.Quelque chose est en train de se mettre en place.Et je ne suis pas sûre d’en faire partie.Je descends.La lumière est allumée dans le bureau de Sandro. La porte entrouverte. Une voix rauque filtre à travers.— Ils seront là à l’aube, dit-il.Je m’arrête.Pas un mot. Pas un geste.Je retiens ma respiration.Une autre voix répond. Carlo.— Tu es sûr qu’elle ne va pas les prévenir ?— Elle est encore là, non ? Si elle avait voulu parler, elle l’aurait déjà fait.Silence.Puis :— Mai