เข้าสู่ระบบJe me suis plié en deux, un gémissement étouffé au fond de la gorge. Mes mains se sont agrippées au rebord de la fenêtre, les jointures blanches.
— Célian ?
La voix d'Elara était derrière moi, plus proche, teintée de cette inquiétude nouvelle qu'elle avait apprise.
— Ça... ça revient, ai-je haleté, les dents serrées. Trop fort. Je... je ne peux pas...
La crampe de l'étudiant en retard me tordait les entrailles. La migraine de la caissière était un marteau-piqueur dans mon crâne. Les larmes de l'enfant qui avait peur du noir brûlaient mes propres yeux. J'étais submergé, noyé. Le remède, l'unique remède, était à côté de moi. Je me suis tourné vers elle, le visage déformé par l'agonie.
Elle a reculé d'un pas. Une lueur de peur, vraie, dans son regard. La peur de l'animal qui sent la détresse de son prédateur. La peur de ne pas être à la hauteur.
— Elara, s'il te plaît, ai-je supplié, la voix brisée. J'ai besoin... j'ai besoin de me purifier.
Je tendis une main tremblante vers elle. Elle regarda ma main comme si c'était un serpent. Puis son regard se posa sur mes yeux, voyant sans doute l'enfer qui s'y jouait. Et la peur dans son propre regard fit place à quelque chose d'autre. De la détermination. Une acceptation sombre. C'était notre pacte. Elle avait besoin que je la rende réelle. J'avais besoin d'elle pour ne pas devenir fou.
— Fais-le, dit-elle, sa voix plus ferme que je ne l'avais jamais entendue.
Ce ne fut pas une étreinte. Ce fut un exorcisme.
Je la saisis et la projetai contre le mur avec une force qui fit trembler un cadre (le seul de l'appartement). Elle cria, cette fois-ci – un son court, étranglé, de pur choc. La sensation fut immédiate : un reflux de la marée en moi. Je n'étais plus douce. Je n'étais pas tendre. Je marquais, je griffais, je mordais, comme un naufragé s'accroche à une planche de salut. Chaque marque que je laissais sur sa peau était un baume sur une de mes brûlures invisibles. Chaque cri que j'arrachais de sa gorge était un silence qui se gagnait dans ma tête.
— Plus fort ! ai-je grondé, la bouche contre son oreille. Dis que tu es là !
— Je suis là ! a-t-elle crié, et ses ongles labouraient mon dos à travers le tissu de ma chemise.
— Dis que tu existes !
— J'existe ! Grâce à toi ! J'existe !
Ses mots étaient des coups de boutoir qui enfonçaient les portes du chaos en moi. Je la retournai, la face contre le mur, et ce fut un assaut sauvage, désespéré. Je déversais en elle tout le poison, toute l'agonie du monde que j'avais absorbée. Je n'étais plus un homme, j'étais un conduit, un égout qui se vidait dans l'océan unique qui pouvait absorber sans se souiller. Elle gémissait, pleurait, mais ses mains restaient agrippées au mur, ses hanches se pressaient contre les miennes, participant, acceptant, réclamant sa part de ce baptême violent.
Quand l'apaisement final vint, ce fut comme l'œil du cyclone. Un silence soudain, brutal, absolu. Je m'effondrai sur elle, épuisé, trempé de sueur et de larmes – les siennes ou les miennes, je ne savais plus. Nous restâmes ainsi un long moment, pantelants, le seul son étant notre souffle haletant qui se calmait peu à peu.
Je me retirai finalement. Son dos était une fresque de rouge et de bleu, de stries et d'empreintes. Le champ de bataille était plus dévasté que jamais. Elle se retourna, son visage était ruisselant de larmes, ses lèvres en sang. Mais ses yeux... Ses yeux brillaient d'une intensité presque insoutenable. Il n'y avait pas de tristesse. Il y avait de la victoire. De la plénitude.
— Ça va ? a-t-elle chuchoté, sa voix rauque.
J'ai hoché la tête, incapable de parler. Le silence était de retour. Fragile, menacé, mais présent. J'avais repoussé l'assaut.
— Le monde... il reviendra, toujours, n'est-ce pas ? a-t-elle demandé.
— Oui, ai-je enfin réussi à dire. Toujours.
Elle a esquissé un sourire triste, puis s'est blottie contre moi, posant sa tête sur mon épaule. Nous avons glissé au sol, au pied du mur.
— Alors tu reviendras toujours à moi, a-t-elle murmuré.
Ce n'était pas une question. C'était la vérité nue de notre existence. Nous étions liés, non par l'amour, mais par le besoin. Elle était le réceptacle de mes poisons. J'étais le détonateur de son existence.
Et alors que je sentais déjà, au plus profond de mes os, la prochaine vague de douleur lointaine commencer à s'accumuler, je savais qu'elle avait raison. Je reviendrais toujours. C'était notre malédiction. Et notre salut.
CélianUne semaine s'écoule, rythmée par les marées montantes de la douleur du monde et le reflux salutaire que seule Elara peut provoquer. Notre vie trouve son cycle infernal. Je sors parfois, pour acheter de la nourriture, et chaque fois c'est une descente aux enfers. Les rues deviennent un champ de mines sensorielles. Le simple frottement d'une épaule contre la mienne dans la foule me transmet des bribes d'existence douloureuse : un ulcère à l'estomac, une anxiété sociale étouffante, la lassitude d'une vie de bureau. Je rentre en courant, le souffle court, la peau brûlante, les tempes martelées par les maux des autres, et je me jette sur elle comme un noyé sur une bouée.Nos étreintes deviennent plus ritualisées, plus désespérées. Nous ne cherchons plus seulement à marquer la surface. Nous cherchons à atteindre l'os, le noyau, l'âme. Un après-midi, alors qu'une vague de mélancolie collective particulièrement épaisse m'écrase , c'est un jour gris, propice aux regrets , je la regarde
Je me suis plié en deux, un gémissement étouffé au fond de la gorge. Mes mains se sont agrippées au rebord de la fenêtre, les jointures blanches.— Célian ?La voix d'Elara était derrière moi, plus proche, teintée de cette inquiétude nouvelle qu'elle avait apprise.— Ça... ça revient, ai-je haleté, les dents serrées. Trop fort. Je... je ne peux pas...La crampe de l'étudiant en retard me tordait les entrailles. La migraine de la caissière était un marteau-piqueur dans mon crâne. Les larmes de l'enfant qui avait peur du noir brûlaient mes propres yeux. J'étais submergé, noyé. Le remède, l'unique remède, était à côté de moi. Je me suis tourné vers elle, le visage déformé par l'agonie.Elle a reculé d'un pas. Une lueur de peur, vraie, dans son regard. La peur de l'animal qui sent la détresse de son prédateur. La peur de ne pas être à la hauteur.— Elara, s'il te plaît, ai-je supplié, la voix brisée. J'ai besoin... j'ai besoin de me purifier.Je tendis une main tremblante vers elle. Elle
CélianElle s’est retournée avec une lenteur extrême, comme épuisée elle aussi, mais d’une fatigue nouvelle. Ses joues étaient colorées de deux taches roses vives. Ses lèvres, gonflées et saignantes, semblaient vivantes pour la première fois. Et ses yeux…Ses yeux n’étaient plus des lacs gris et stagnants. Ils étaient un océan durant une tempête. Pleins à ras bord d’émotions brutes, de sensations, de vie. Elle me regardait comme si elle venait de naître, et que j’étais la première chose qu’elle voyait. Le créateur et la création, inextricablement liés dans ce baptême sanglant.Elle a porté ses doigts à ses lèvres, a touché la coupure, a contemplé la goutte de sang sur son index avec une fascination absolue. Puis son regard a retrouvé le mien. Une expression que je ne lui avais jamais vue , de la gratitude, de la reconnaissance sauvage , transformait son visage.— Merci, a-t-elle chuchoté, et le mot était chargé d’un poids immense.— De quoi ? ai-je demandé, bien que je connaisse la ré
CélianLe « continuez » d’Elara résonna dans le silence blanc de l’appartement comme un coup de feu. C’était un ordre, une permission, une prière. Tout à la fois. La pression que j’exerçais sur son bras n’était plus un test, c’était devenu un dialogue. Le seul que nous semblions pouvoir avoir.Je n’ai pas relâché ma prise. Au contraire, mon autre main est venue se joindre à la première, emprisonnant son avant-bras, cherchant à travers la peau et les muscles la preuve que j’existais, que nous existions. La douleur du monde était maintenant un lointain murmure, étouffé par l’intensité de ce moment. Je n’étais plus un réceptacle. J’étais un sculpteur face à un bloc de marbre trop parfait, avec l’envie brutale, vitale, d’y laisser mon empreinte.— Je ne veux pas te faire mal, ai-je menti, la voix rauque.Le tutoiement était venu naturellement, comme une évidence. Nous étions bien au-delà du « vous ».— Ce n’est pas ça, a-t-elle répondu, son regard toujours rivé au mien. Fais ce dont tu as
CélianJe l'ai suivie à travers les rues, à cinq pas de distance, comme un chien errant qui aurait enfin flairé la piste du salut. Elle ne s'est pas retournée une seule fois, n'a pas accéléré ni ralenti son pas. Sa silhouette droite et fluide fendait la foule avec une grâce mécanique, et moi, je me collais à cette bulle de silence qu'elle traînait avec elle comme un sillage. Déjà, les douleurs du marché s'estompaient, remplacées par un soulagement si intense qu'il en était presque douloureux.Son immeuble était un cube de béton anonyme, son appartement au troisième étage. Elle a sorti ses clés sans un regard pour moi, a ouvert la porte et est entrée. J'ai hésité une seconde sur le palier, le cœur battant la chamade. Puis j'ai franchi le seuil.L'intérieur était... inexistant. Les murs nus, d'un blanc malade. Un sofa bas, une table en verre, une étagère vide. Aucune photo, aucun livre, aucun bibelot. Aucune trace de vie personnelle, comme si l'appartement venait d'être livré ou s'apprê
CélianLe marché m'aspire comme un poumon géant, chaque bouffée d'air charriant son lot de misères. Je titube entre les étals, les épaules voûtées sous le poids des douleurs qui ne m'appartiennent pas. La migraine du poissonnier – un pilier de feu derrière l'œil droit – se propage dans mes propres tempes, pulsant au rythme de ses annonces criardes. Plus loin, les rhumatismes de la vieille femme courbée sur ses cageots de pommes de terre s'insinuent dans mes articulations, un venin froid et visqueux qui gèle mes gestes. Ce ne sont pas que des sensations physiques. C'est l'angoisse de la mère qui compte ses pièces, le désespoir du chômeur qui erre sans but, la colère rentrée de l'adolescent bousculé. Une symphonie discordante de souffrances qui résonne dans la cage de mes côtes, un choeur maudit dont je suis le seul auditeur.Je m'arrête, les mains agrippées à l'étal d'un primeur. Les couleurs vives des poivrons et des aubergines dansent, se brouillent, se mélangent aux éclairs douloure