Il y avait, dans cette nuit-là, quelque chose d’irréel.
De suspendu. Une fête trop brillante, trop riche, trop décadente pour être honnête. C’était un gala de charité dans un hôtel de luxe, une soirée où les riches étalaient leur générosité comme des bijoux. Léna n’y avait pas sa place. Et pourtant, elle était là, serveuse de dernière minute, coiffée à la va-vite, vêtue d’un uniforme noir qui tranchait avec les robes scintillantes et les talons hauts. Elle avait 20 ans. Léna Delcourt, blonde aux yeux bleus, était une fille de rien, une beauté tranquille aux joues pâles, aux gestes précis, avec ce mélange rare de douceur et de feu qui attirait sans qu’elle ne le cherche. Ce soir-là, elle servait les coupes de champagne avec discipline, les yeux baissés, tentant d’éviter les mains trop audacieuses. Et c’est là qu’elle le vit pour la première fois. Il n’avait pas besoin de parler. Il n’avait même pas encore bougé. Mais tout dans sa présence hurlait le contrôle, le pouvoir, le danger. Ilyès Blackwood. 27 ans. Costume noir. Chemise impeccable. Cheveux sombres, en arrière, regard d’un noir abyssal. Il était la définition même du mot intimidant. Sa beauté était tranchante, glaciale. Pas de celles qui réchauffent. De celles qui blessent. Il la regardait. Fixement. Depuis trop longtemps. Léna détourna les yeux, gênée. Mais il s’approcha. Lentement. Comme un chasseur sûr de sa proie. — Tu ne souris pas, murmura-t-il. C’est étrange, dans une fête. Elle leva les yeux vers lui, droite. — Je suis payée pour servir, pas pour séduire. Il haussa un sourcil. — Dommage. Il s’éloigna. Mais ce ne fut pas la fin. Ce fut le début. Plus tard dans la soirée, alors qu’elle rangeait des flûtes, elle l’entendit derrière elle. — Tu es jolie, Léna. Elle se figea. — Vous avez lu mon badge, dit-elle sèchement. Il sourit. Son sourire à lui n’éclairait rien. Il consumait. — Je retiens vite ce que je veux posséder. Elle se retourna. Brusquement. — Je ne suis pas à vendre. — Non. Pas encore. Il la fixa comme s’il pouvait la lire de l’intérieur. Elle frissonna malgré elle. — Tu devrais sourire, répéta-t-il. Et sans prévenir, il l’embrassa. Ce n’était pas doux. Ni tendre. C’était brutal. Une démonstration de force. De domination. Elle n’eut pas le temps de réagir. Ni de penser. Mais elle le repoussa. Et elle leva la main. Et la gifle claqua dans l’air comme une sentence divine. Le silence dans la salle fut immédiat. Plusieurs regards se tournèrent vers eux. Ilyès recula légèrement, la joue rouge. Pas un mot. Elle le fixa. — Ne vous approchez plus jamais de moi. Et elle s’en alla. Ce soir-là, Léna pensait avoir tourné une page. Elle pensait ne plus jamais revoir ce regard. Ce visage. Elle ne savait pas qu’en le frappant… elle avait gravé son nom sur la liste de ses priorités. Deux ans plus tard. Dans la chambre silencieuse du manoir Blackwood, Léna revivait la scène en boucle. Allongée sur le lit de cet homme qu’elle avait autrefois humilié, elle se rendait compte que rien n’était fini. Rien n’était effacé. Elle se redressa, tirant le drap contre elle, le cœur battant. Qui était vraiment Ilyès Blackwood ? Elle n’avait que des bribes. Des échos. Des murmures. Fils d’un magnat de l’immobilier, il avait grandi dans l’ombre d’un père tyrannique. Très jeune, il avait été envoyé dans des internats suisses. Élève brillant, froid, solitaire. On racontait qu’il avait repris l’entreprise familiale à 22 ans, après un accident mystérieux de son père. Depuis, il avait bâti un empire plus vaste encore. Hôtels, résidences, clubs privés, casinos. Et des parts dans des entreprises qu’il ne nommait jamais. Rien ne lui échappait. Rien ne le touchait. Et pourtant, il l’avait regardée, elle. Une simple serveuse. Et il ne l’avait pas oubliée. Quant à elle… Léna Delcourt, aujourd’hui âgée de 22 ans, avait tout perdu. Sa mère morte d’un cancer. Un père joueur et instable. Une vie de petits boulots. Elle avait toujours été sérieuse, droite, fière. Elle ne savait pas mentir, ne savait pas plaire. Mais elle savait se battre. Et c’est ce que cet homme n’avait pas prévu. Il pensait l’avoir achetée.Mais il ignorait qu’en deux ans, la jeune fille naïve avait grandi. Qu’elle portait un secret dans son ventre. Et que cette fois, elle n’allait pas fuir. Elle allait rester. Et observer. Et comprendre ce qu’il cachait derrière ses silences. Parce qu’Ilyès Blackwood n’était pas seulement cruel.Il était brisé. Et dangereux. Et peut-être… irrémédiablement seul. Le soleil filtrait à peine entre les rideaux tirés lorsque Léna ouvrit les yeux. Son premier réflexe fut de scruter la chambre. Vide. Mais son corps, lui, se souvenait encore de la tension de la veille. Du regard brûlant d’Ilyès. De ses mots. De la peur qu’elle avait refoulée. Elle se redressa lentement. La robe de nuit glissa contre sa peau. Elle aurait pu croire à un mauvais rêve. Mais les murs étaient encore là. Le silence. Le froid. Et l’absence totale de choix. Elle était bien prisonnière. Quelques minutes plus tard, une domestique discrète vint lui apporter un plateau de petit déjeuner qu’elle laissa sans un mot. Léna ne toucha à rien. Quand la porte s’ouvrit à nouveau, ce fut lui. Ilyès Blackwood. Toujours impeccable. Costume gris anthracite, chemise sombre. Le genre d’homme qui semblait contrôler jusqu’au battement de son cœur. Mais son regard, ce matin-là, était différent. Plus lourd. Plus noir. — Tu t’es reposée ? demanda-t-il simplement. Elle ne répondit pas. Il entra sans attendre de réponse. Referma la porte. Et la verrouilla. Un déclic. Léna se redressa brusquement. — Pourquoi tu fermes ? demanda-t-elle, sur la défensive. Il s’approcha. — Parce que je suis fatigué de jouer, répondit-il froidement. Il s’arrêta devant elle. Lentement, il leva la main et caressa sa joue. Un geste presque tendre. Presque. — Tu sais ce que j’ai acheté, Léna. Elle recula. — Tu as acheté un silence. Pas mon corps. Il sourit. Glacial. — Tu ne crois pas si bien dire. Il attrapa son poignet. Elle tenta de se dégager, mais sa poigne était de fer. — Lâche-moi. — Non, souffla-t-il. Il la plaqua doucement contre le mur. Il n’y avait pas de violence, pas encore. Mais l’intention, elle, était là. — Tu me détestes ? Moi aussi. Mais je t’ai désirée, Léna. Depuis ce soir-là. Elle tenta de le repousser. Il tenait toujours son poignet, trop fort. — Tu veux que je t’aime ? Tu veux que je m’attache ? Je ne suis pas cet homme, cracha-t-il. Mais je suis celui qui a payé. Ses mains effleurèrent ses bras. Elle se débattit, plus violemment. — Ilyès, arrête ! Tu ne veux pas faire ça. — Je veux que tu saches ce que ça fait. D’être prise. De ne plus avoir le choix. Comme cette gifle. Je m’en souviens tous les jours.La nuit était tombée, couvrant la villa d’un voile silencieux. Dans les couloirs, seul le frottement léger du vent contre les vitres osait rompre le calme. Mais dans le cœur d’Ilyes, c’était le chaos. Il n’avait pas quitté son bureau depuis l’après-midi, depuis le rêve, depuis la gifle silencieuse de la vérité. Son reflet, ses souvenirs, ses silences… Et cette question murmurée par Léna dans son sommeil : Pourquoi ? Il avait hésité à venir. Longuement. Mais maintenant, il devait lui parler. Il gravit les escaliers sans bruit. Arrivé devant la porte de sa chambre, il ne frappa pas tout de suite. Il posa simplement la paume sur le bois, comme si cela suffisait à capter ce qu’il ignorait encore. Puis, enfin, il entra. Léna était assise sur le lit, adossée aux oreillers. Un gilet sur les épaules. Le visage fatigué. Mais les yeux vifs. Elle le vit aussitôt, et son corps se raidit légèrement. Mais elle ne détourna pas les yeux. Pas cette fois. — Tu n’as p
Le lendemain matin, la maison baignait dans un silence étrange. Dalia s’affairait dans la cuisine. Les volets étaient entrouverts, laissant passer une lumière pâle. On aurait dit que la maison elle-même retenait son souffle. Léna s’était réveillée plus tôt. Elle n’avait presque pas dormi. Les images de la nuit, son cauchemar… ou ses souvenirs, ne l’avaient pas quittée. Elle avait descendu les escaliers sans bruit, croisé Dalia sans parler, et était allée s’installer dans un coin du salon, avec un livre ouvert sur les genoux qu’elle ne lisait pas. Ilyes, lui, était resté absent. Pas une parole. Pas un regard. Comme si l’épisode de la veille son geste tendre, puis son rejet l’avait glacé jusqu’à la moelle. Vers 11 h, Dalia lui signala qu’il était dans son bureau depuis tôt le matin. — Il n’a pas pris de petit-déjeuner, dit-elle doucement à Léna. — Et il a l’air… tendu. Plus que d’habitude. — Laisse-le, répondit-elle sans le regarder. — Il fait toujours ça quand
Silvia recula, le visage rouge de honte. Puis, sans un mot, elle tourna les talons et sortit. La porte se referma dans un grincement long. Le silence qui suivit fut lourd, étouffant. Le père de Ilyes se leva enfin, un soupir dans la gorge. — Il fallait que ça éclate, un jour ou l’autre. Sa mère, elle, croisa les bras. — Une gifle publique… Bravo, Ilyes. Tu n’as plus qu’à te faire oublier pendant quelques semaines. La presse va se régaler. Il se tourna vers elle, droit, le visage dur. — Qu’ils se régalent. Moi, je vais enfin vivre. Puis il revint près de Léna. Elle était toujours assise, les mains sur son ventre, silencieuse. Il s’agenouilla lentement devant elle, baissant les yeux. Pas un geste de pitié. Juste… une présence. — Tu mérites mieux que tout ça, murmura-t-il. — Mais je suis là. Et je ne bougerai plus. Elle mit longtemps avant de répondre. Et sa voix, quand elle sortit, fut à peine un souffle : — Alors… prouve-le. Le trajet du retour fut
La table était dressée avec une précision militaire. Nappe ivoire. Argenterie alignée. Chandeliers allumés malgré la lumière encore vive du jour. Le domaine des Blackwood déployait toute sa froide majesté. Léna s’était assise, droite, dans la robe noire que la mère de Ilyes lui avait fait livrer plus tôt Pas trop voyante. Pas trop sobre non plus. Assez pour ne pas faire honte. Mais chaque pli du tissu sur sa peau lui rappelait qu’elle n’était pas chez elle. Et surtout, qu’elle n’était pas la bienvenue. En face d’elle, la mère de Ilyes élégante, glaciale, les yeux vifs d’une femme habituée à contrôler découpait son saumon avec une grâce mécanique. Le père, lui, gardait le silence, le regard plus tendre, presque inquiet. Seul Ilyes semblait détendu. Mais Léna le connaissait maintenant. Trop bien. Ce calme n’était qu’un masque. Une armure. — Alors, dit enfin la mère, en posant sa fourchette, vous êtes donc… la mère porteuse. Le mot tomba comme une pierre dans
Les pas résonnaient dans le vaste couloir marbré. Petits. Précipités. Étouffés. Ilyes courait. Pieds nus. Le pyjama trop grand glissait de ses épaules. Il avait à peine six ans, et pourtant, il savait déjà ce que signifiait fuir. Dans la grande maison froide, chaque recoin résonnait d’échos secs et tranchants : les voix de ses parents, les disputes, les insultes, le bruit des verres brisés, et parfois… le silence encore plus glaçant. Ce soir-là, il s’était réfugié derrière le grand rideau du salon, serrant contre lui une vieille peluche sans yeux. Son cœur battait fort. Il savait que s’il faisait un bruit, s’il éternuait, ou même si le rideau bougeait… son père le trouverait. Et alors… ce serait encore les gifles, les hurlements, les menaces. Ou pire : l’indifférence glacée de sa mère. — Tu es faible, Ilyes. Tu pleures pour rien. Tu veux quoi ? De l’amour ? On ne t’a pas conçu pour être aimé. Tu es un héritier, un nom, un devoir. Tu n’as pas besoin d’être consol
Le grondement des pneus sur le gravier se fit entendre à travers les vitres de la chambre.Léna, allongée sur le lit, sentit une tension glacée remonter le long de sa colonne vertébrale.Ce n’était pas l’heure du retour d’Ilyes. Et ce n’était pas le bruit de sa voiture.Elle se redressa lentement et se dirigea vers la fenêtre.Une silhouette féminine, mince, élégante, perchée sur des talons aiguilles, descendait d’un SUV noir.Silvia.Léna eut un frisson.Elle regarda autour d’elle, se demanda si elle devait se cacher, prévenir Dalia, ou simplement… attendre.Mais elle n’eut pas le temps de réagir.Déjà, Silvia avait poussé la porte principale et pénétré dans la maison comme si elle en était toujours la maîtresse.— Ilyes ?! appela-t-elle d’une voix forte et tranchante.Léna recula de quelques pas.Elle savait que Silvia n’ignorait pas sa présence. Elle le sentait.Et l’idée d’un affrontement lui donnait la nausée.Elle ferma la porte de sa chambre, verrouilla doucement. Puis ell