poit de vue d’Alex
Je quittai la zone d’entraînement en silence, les muscles échauffés et l’esprit encore brouillé par mon échange avec Rayan. Il s’était battu comme un loup traqué, mais son regard… son regard disait autre chose. Il portait une lourdeur que je ne lui connaissais pas. Comme si quelque chose s’était brisé, et qu’il n’avait pas les mots pour me l’expliquer. Il était parti sans un mot, à peine un hochement de tête. Ça ne lui ressemblait pas. Et franchement, ça me laissait un goût amer. À peine arrivé sur les hauteurs du domaine, je vis l’agitation. La grande clairière centrale des Arcanes Lunaires bouillonnait d’activité. Tout le monde préparait le festival de la Lune Rouge, qui devait commencer ce soir même. Des lanternes écarlates étaient accrochées aux arbres sacrés, flottant sous le vent comme des braises suspendues. Des enfants couraient avec des peintures sur les joues, des couples déchargeaient des tonneaux de vin de lune, et les plus anciens disposaient les offrandes devant l’autel ancestral. L’ambiance aurait dû être joyeuse. Elle ne l’était pas. Je le sentais dans l’air, dans les regards. Quand je passais, les discussions s’interrompaient. Certains détournaient les yeux. D’autres, plus audacieux, marmonnaient des phrases que je n’arrivais pas à capter. Mais le ton… je le connaissais. Celui du venin. Alors je tendis l’oreille, et cette fois, je compris. « Tu sais qu’il a renoncé ? » « Le bâtard a eu peur… » « Comme si un oméga pouvait un jour être Alpha. » « Heureusement qu’il y a Alex. Le vrai sang pur. » Je m’arrêtai net. Mon cœur cogna plus fort. Ils parlaient de Rayan. Et ils savaient. Je sentis mes crocs se serrer malgré moi. Il ne m’avait rien dit. Il avait... renoncé ? Renoncé à ce qu’il méritait ? À ce pour quoi il s'était battu toute sa vie ? Non. Ce n'était pas son genre. Et pourtant… c’était bien ce que disaient les murmures. La rumeur s’était propagée comme un feu de forêt. Les anciens l’avaient laissée courir — pire, ils l’avaient nourrie. Et maintenant, le nom de Rayan se murmurait avec mépris au cœur même de la meute qu’il avait toujours servie. Je longeai les étals de nourriture sans les voir, perdu dans mes pensées. Une partie de moi était furieuse. Pas contre lui… mais contre ces hyènes hypocrites. Ces anciens qui l’avaient toujours traité comme un moins que rien, malgré ses exploits. Malgré tout ce qu’il avait donné. Et maintenant qu’il avait fait ce sacrifice — quel qu’en soit le but —, ils s’en servaient pour le piétiner encore plus. Je vis François, le plus vieux d’entre eux, observer les préparatifs avec son sourire de fouine. Il leva un gobelet vers moi, faussement respectueux. Je ne répondis pas. J’étais à deux doigts d’exploser. Et puis je vis Mathilda, ma mère, près du grand autel. Elle dirigeait les préparatifs, comme toujours. D’une poigne calme, efficace. Elle discutait avec deux membres du conseil, mais ses yeux croisèrent les miens un instant. Elle comprit. Elle savait que j’avais entendu. Elle secoua légèrement la tête, comme pour me dire « Pas ici. Pas maintenant. » Pas ici, peut-être. Mais bientôt. La Lune Rouge allait se lever ce soir. Et pour la première fois, je ne savais pas si j’avais envie de célébrer quoi que ce soit. Je quittai la place centrale, le cœur lourd, et mes pas me guidèrent presque malgré moi vers l’aile Est de la maison de la meute. Là où Rose, la mère de Rayan, avait ses quartiers depuis des années. Un petit jardin l’entourait, plus calme, plus doux que le reste du domaine. Un endroit hors du temps, préservé de la tension qui couvrait les Arcanes Lunaires comme un linceul. Je la trouvai près de la fontaine en pierre, en pleine conversation avec mon père, Daryl. Ils parlaient à voix basse, mais je sentis aussitôt que ce n’était pas une discussion ordinaire. Daryl semblait préoccupé, les bras croisés, et Rose, droite et digne malgré les années, avait ce regard mélancolique qui en disait long. Quand elle me vit, elle esquissa un sourire tendre. — Alex… tu tombes bien. — J’ai entendu, dis-je d’une voix plus sèche que prévu. À propos de Rayan. Il a vraiment… renoncé ? Daryl soupira, et Rose posa une main sur son bras pour l’interrompre. Elle s’approcha de moi, ses yeux profonds plantés dans les miens. — Il ne t’a rien dit, n’est-ce pas ? murmura-t-elle. Je secouai la tête. — Non. Et les autres, ils parlent comme si c’était une victoire… comme s’ils avaient enfin réussi à l’écraser. Ils le traitent comme s’il n’avait jamais été des nôtres. — Ils ne savent rien de ce que Rayan a sacrifié, dit Daryl d’une voix sombre. Il a fait ce choix pour te protéger. Pour préserver cette meute d’une guerre interne. Il savait que s’il prenait la tête… les anciens se dresseraient. Il ne voulait pas te voir mêlé à ça. — Mais je suis déjà mêlé, grondai-je. C’est mon frère. Il est mon sang. Et il méritait ce rôle bien plus que beaucoup ici. Rose s’approcha doucement et posa une main sur ma joue. — Tu as le cœur juste, Alex. Rayan le sait. Il ne t’en veut pas. Mais il avait besoin de porter ce poids seul… comme toujours. Et maintenant, il porte aussi le fardeau de leur mépris. — Il n’est pas seul, dis-je fermement. Il ne le sera plus. Daryl me regarda longuement, son expression indéchiffrable, avant de hocher lentement la tête. — Alors tiens-toi prêt, mon fils. Le festival commence ce soir… et avec lui, les vérités vont tomber, une à une. Que tu le veuilles ou non. Je restai un moment silencieux, le regard tourné vers le ciel qui se teintait déjà d’un rouge sang. La Lune Rouge s’élèverait bientôt. Et dans sa lumière crue… tout serait révélé.Point de vue : AlexLa chaleur du soleil filtrait à travers les feuillages denses de la forêt, projetant des ombres mouvantes et dansantes sur le sol battu du terrain d’entraînement. Chaque muscle de mes bras hurlait, endolori, alors que j’enfonçais mes poings dans le tronc d’arbre abîmé, encore et encore. Le bois craquait sous mes mouvements brusques, et mon souffle, court et haché, se mêlait au bruissement du vent dans les feuilles. Pourtant, aucun de ces bruits, aussi puissants soient-ils, n’était suffisant pour couvrir le tumulte qui grondait en moi. Je frappais, je frappais encore, pour évacuer cette anxiété qui me rongeait, pour tenter d’oublier, ne serait-ce qu’un instant, le regard de mon frère et ce vide grandissant entre ce qu’il était et ce qu’il devenait.Ce terrain d’entraînement, normalement animé, était vide à cette heure de la fin de journée, baigné par une lumière pâle et douce qui avait quelque chose d’irréel. Il n’y avait que le crissement de mes bottes sur la ter
Point de vue : Rayan La chambre était silencieuse. Trop silencieuse. Lina était partie depuis peu, appelée pour soigner un membre de la meute blessé lors d’un entraînement. Elle m’avait lancé un dernier regard inquiet avant de franchir le seuil, mais je l’avais rassurée d’un signe de tête. J’avais besoin de ce moment. De solitude. De vérité. Depuis mon réveil, il y avait une absence. Pas seulement dans les gestes ou les mots. Une absence en moi. Le genre de vide qu’on ne peut ignorer, surtout quand on a passé sa vie avec une autre voix dans sa tête. Une voix rude, sarcastique, râleuse… mais fidèle. Karma. Mon loup. Mon autre moi. Je m’assis sur le lit, le dos droit, les coudes sur les genoux. Mon regard se perdit sur le parquet, les lignes du bois devenant floues sous la tension qui montait. Cela faisait une semaine. Une semaine depuis la morsure. Une semaine sans entendre un seul mot de lui. Rien. Comme s’il avait disparu. Mais je savais qu’il était là. Je le sentais. En veille.
Point de vue : RayanLa pièce était baignée d’une lumière dorée. L’apaisement d’un coucher de soleil filtrait à travers les rideaux, projetant des formes incertaines sur le mur de ma chambre. Mon regard s’était perdu dans ces dessins mouvants, presque hypnotiques. Lina était là, assise à mes côtés. Silencieuse. Présente.Depuis mon réveil, une semaine après cette morsure, je n’avais pas encore pris le temps de rester seul avec elle. Pas vraiment. Toujours quelqu’un dans la pièce, toujours un regard posé sur moi. Mais ce soir, enfin, on était juste deux. Rayan et Lina. Pas de transformation, pas de médecine, pas de meute. Juste nous.Je tournai la tête vers elle. Ses yeux suivaient les mouvements de ma poitrine, comme si elle cherchait à deviner mon état à travers ma respiration. Je savais qu’elle ne voulait pas briser ce calme. Mais il y avait tant à dire.— Tu regrettes ? murmurai-je.Elle cligna des yeux, surprise.— De rester ? Non. Jamais.Elle se rapprocha, posant une main sur la
Point de vue : AlexLa poussière soulevée par mes coups retombait en même temps que mon souffle. Chaque impact contre le tronc d'entraînement résonnait dans mes bras, mais pas assez fort pour couvrir le tumulte en moi. Je frappais pour évacuer, pour oublier, pour m'éloigner du regard de mon frère et de ce vide grandissant entre ce qu’il était et ce qu’il devenait.Le terrain d'entraînement était vide à cette heure, baigné par une lumière pâle de fin de journée. Juste le crissement de mes bottes, le bruit de mes poings, et ma respiration irrégulière. J’avais besoin de me sentir utile. Vivant. Ma place avait toujours été au second plan, mais depuis la morsure de Rayan, j’avais l’impression d’être coincé entre l’ombre et l’impuissance.— Tu vas détruire ce pauvre tronc, frère.Je me retournai. C'était Cael. L'un des rares que je considérais encore comme un véritable ami dans ce village. Calme, observateur, loyal jusqu’à l’os. Il avait ce don pour apparaître juste quand il le fallait. Il
Point de vue : AlexJe restai un moment figé dans le couloir, même après que mon père se soit éloigné. Les mots qu’on venait d’échanger me tournaient encore dans la tête. Ce n’était pas simplement de l’inquiétude. C’était un pressentiment, un vertige. Celui qu’on ressent juste avant que quelque chose ne cède.Je repassai une main sur mon visage, tentant de chasser cette sensation désagréable. Depuis que Rayan avait ouvert les yeux, c’était comme si une corde invisible s’était tendue entre nous tous. Trop fine pour être vue, mais si tendue qu’un simple souffle pourrait la rompre.Je finis par me détacher du mur et descendis lentement les marches, jusqu’à l’extérieur. Le village baignait dans une lumière dorée. Les enfants jouaient à l’écart, quelques adultes vaquaient à leurs tâches, comme si rien n’avait changé. Comme si mon frère n’était pas revenu d’entre les brumes, marqué par une morsure dont on ne savait rien.Un bruit derrière moi. Je me retournai, tombant sur Mathilda. Elle ne
Point de vue : Alex Je refermai doucement la porte derrière moi, laissant Rayan entouré de Lina, Mathilda et Rose. L’air frais du couloir me frappa de plein fouet, me tirant un frisson le long de l’échine. Il était réveillé. Conscient. Mais ce n’était pas ça qui m’inquiétait. C’était ce que je n’arrivais pas à nommer dans son regard. Je m’adossai contre le mur, frottant mes paumes l’une contre l’autre, pour faire passer ce foutu poids qui me serrait la poitrine depuis des jours. Un mélange de soulagement… et de peur. Rayan n’avait rien physiquement. Aucun changement visible. Mais quelque chose vibrait sous sa peau. Quelque chose d’endormi… ou de contenu. Des pas lourds résonnèrent dans le couloir. Mon père. Je le reconnus à sa démarche pesée, calme, presque trop mesurée pour un homme aussi massif. Il arriva à ma hauteur sans un mot, son regard ancré dans le mien. Il ne posa aucune question. Il savait. Il avait vu lui aussi. — Il a repris conscience, soufflai-je. Daryl hocha lent