point de vue de Rayan
La main de Lina dans la mienne était douce, chaude, rassurante. Mais malgré ce contact apaisant, mes sens étaient en alerte. À peine avions-nous mis un pied dans l’enceinte du festival que les murmures avaient commencé. Des regards en coin. Des sourires pincés. Des voix étouffées qui laissaient traîner des mots lourds de mépris. « L’Omega se pavane… » « Il croit qu’elle va faire de lui un vrai loup… » « Et dire qu’il a osé refuser la succession… » J’avais l’impression que chaque mot s’enfonçait sous ma peau comme des aiguilles. Et pourtant, je serrais un peu plus la main de Lina, m’efforçant de garder la tête haute. Le festival de la Lune Rouge avait toujours été un événement important pour notre meute, les Arcanes Lunaires. Une semaine entière de rituels, de festivités, de danses et de célébrations de notre lien à l’astre qui régissait nos transformations. Mais cette année, j’étais plus spectateur que participant. Les lanternes rouges flottaient dans les airs, accrochées aux arbres et aux fils tendus entre les maisons. Le son des tambours résonnait au loin. Les couples dansaient, riaient. Les enfants couraient dans l’herbe nocturne. C’était censé être beau. Paisible. Mais à l’intérieur de moi, un orage grondait. Lina, elle, semblait presque flottante. Elle saluait les passants d’un sourire, sans paraître entendre les rumeurs. Ou alors elle les ignorait volontairement. Sa présence seule suffisait à m’empêcher de perdre pied. Je captai soudain le regard perçant de François, le plus ancien des anciens, planté à l’entrée du grand cercle. Ses yeux, toujours aussi froids, me jugeaient comme s’ils cherchaient à me ramener à ma « place ». Lina me pressa le bras. — Ignore-les. Ils ne valent pas ta peine. Je hochai la tête sans répondre. Mais un regard me fit dévier de ma trajectoire. Mathilda. Elle se tenait à l’écart, près d’un kiosque à thé fumant. Elle me fixait, presque avec insistance. — Donne-moi une minute, soufflai-je à Lina. Je te rejoins. Elle acquiesça, confiante, et partit se mêler à quelques amis. Je rejoignis Mathilda à pas lents. Malgré les années, elle avait conservé cette aura de matriarche calme, posée. Elle me sourit doucement. — Tu fais une entrée remarquée, dit-elle. — Ce n’était pas l’objectif. — Peut-être. Mais c’est la première fois que je te vois aussi affirmé. Et… accompagné. Je haussai les épaules, mal à l’aise. Elle posa une main légère sur mon bras. — Je suis heureuse pour toi. Lina est une femme forte, douce. Et elle te regarde comme si elle voyait enfin ce que toi, tu refuses de voir. Je déglutis. — Merci… Mais les murmures... Ils m’écorchent. Toujours les mêmes remarques, toujours ce poison. — Et c’est pour ça que je suis venue te parler, Rayan. Je suis contente de te voir heureux. Mais je suis inquiète aussi. Je levai un sourcil. — Inquiète ? Elle hocha la tête, grave. — Tu es fort. Tu l’as toujours été. Mais tu portes tant de colère, tant de blessures mal refermées. Ce soir, je crains que tout ça ne ressorte. Tu retiens trop. Je ne répondis pas. Elle avait raison. — Ne les laisse pas voler ce moment. Tu n’as jamais eu le droit d’être pleinement toi. Cette meute ne t’a pas épargné. Mais tu mérites d’aimer. De danser. D’exister. Son regard se fit plus doux, presque maternel. — Ton père t’aime. Il est prisonnier de l’héritage de cette meute, mais ne doute jamais de ce que tu représentes pour lui. Elle s’écarta alors, me tapotant l’épaule. — Va. Invite-la à danser. Qu’ils te regardent. Qu’ils sachent que tu es là, et que tu ne t’excuseras plus jamais d’exister. Je restai figé quelques secondes, les mâchoires serrées… Puis je fis volte-face, le cœur battant. Lina était là, au bord du cercle de danse, observant les couples tournoyer sous les lanternes. Elle se retourna à mon approche et me sourit, radieuse. Je tendis la main sans un mot. Elle comprit immédiatement. Ses doigts glissèrent dans les miens et je l’emmenai au centre, parmi les autres. La musique était lente, hypnotique. Nos corps se mirent à bouger, instinctivement. Je la guidais, elle suivait avec grâce. Sa robe pourpre flottait à chaque mouvement, ses yeux ancrés dans les miens. Autour, je sentais les regards. Ceux des anciens. Ceux des jeunes. Certains envieux, d’autres curieux. Et ceux, venimeux, de François et des plus rigides. Mais je dansais. Pour moi. Pour elle. Pour tout ce qu’on m’avait refusé. Et ce soir, sous cette lune rouge, je compris enfin que je ne voulais plus jamais m’éteindre pour qu’ils brillent.point de vue de Soraya La forêt interdite était plus sombre que je ne l’imaginais. Les arbres, noueux et gigantesques, semblaient former une prison autour de moi. Chaque craquement de branche me faisait sursauter, chaque souffle du vent ressemblait à un murmure menaçant. Je m’étais enfoncée trop loin. Et je le savais. Mais une force étrange me poussait à avancer, comme si je ne pouvais plus reculer. Un ricanement déchira soudain le silence. Puis un autre. Et encore un. Mon sang se glaça. Des silhouettes se matérialisèrent entre les troncs. Leurs yeux rouges brillaient dans l’obscurité, leurs pas étaient si silencieux que j’avais l’impression qu’ils flottaient. Ils m’encerclèrent rapidement, et je n’avais nulle part où fuir. — Quelle surprise… une enfant perdue, siffla l’un, ses crocs découvrant un sourire cruel. — Une petite louve, ajouta un autre. Fragile, sans défense… quel régal. Mon souffle s’accéléra. Mes jambes tremblaient, mais je refusais de pleurer devant eux. Le cer
point de vue de Soraya Je restais tapie près de la fenêtre, mon souffle suspendu, les doigts crispés sur le rebord de pierre. Les rideaux lourds masquaient presque tout, mais une petite ouverture me permettait d’entendre ce qui se passait dans la grande salle de réunion. Je n’aurais pas dû être là, je le savais. Les adultes avaient été clairs : ce genre de discussions n’était pas pour les enfants. Pourtant, mes oreilles se dressaient au moindre mot, avides de comprendre. Les voix étaient basses, étouffées, comme si elles craignaient d’être entendues. Je ne distinguais pas tout, seulement des bribes. … sacrifice… frontière… courage… Et puis, ce nom, qui me fit l’effet d’un éclair en plein cœur : Rayan. Je reculai, ma poitrine se serrant si fort que j’eus du mal à respirer. C’était lui. Papa. Ils parlaient de lui. Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi avec cette gravité ? Mon père… que je n’avais jamais connu autrement que par les récits épars de maman. Je restai encore quelques seco
point de vue d’alex Le vent du nord s’était levé, froid et chargé d’humidité, quand Tharek accompagna l’elfe de sang vers la lisière des bois. Le prisonnier marchait la tête basse, les poignets toujours liés, mais je pouvais sentir son regard se poser parfois sur moi, un mélange de défi et d’ironie dans ses yeux. Je me tenais en retrait, les bras croisés, le regard fixé sur leur départ. — Rappelle-toi, soufflai-je à Tharek par lien mental, tu ne quittes pas ses pas, pas une seule seconde. Vérifie ses dires. Si un seul mot sonne faux, tu me le rapportes immédiatement. — Comptez sur moi, Alpha, répondit-il sans hésiter. Quand ils disparurent au détour du chemin, je sentis un poids se déposer dans ma poitrine. Ce n’était pas seulement la méfiance envers l’elfe. C’était ce qu’il avait dit. Ce qu’il avait osé insinuer. Un lycan blanc… avec mon odeur. Je serrai les poings si fort que mes jointures blanchirent. Derrière moi, Ragnar, Negan et Cael s’étaient approchés. Aucun d’eux ne p
point de vue d’alex La pièce était lourde de tension. Les torches fixées aux murs diffusaient une lumière vacillante sur les visages graves de mes frères d’armes. L’odeur de sang et de plantes médicinales emplissait l’infirmerie, piquant les narines et serrant la gorge. Sur la couche de pierre, recouverte de draps blancs, l’elfe de sang blessé nous observait avec une lueur de défi. Son torse portait encore les bandages que mes guérisseurs lui avaient posés, mais cela ne l’empêchait pas de bomber le menton avec arrogance. Je me plaçai face à lui, les bras croisés. — Tu es sur mes terres, elfe. Tu saignes dans mes murs. Alors parle. Pourquoi franchir la frontière interdite ? Un sourire en coin déforma ses lèvres. — Pourquoi ? Peut-être pour chasser. Peut-être pour observer. Peut-être parce que vos loups nous provoquent depuis longtemps. Cael, à ma droite, laissa échapper un grondement sourd, prêt à bondir. Je levai une main pour l’apaiser, sans quitter l’elfe des yeux. — Ne me f
point de vue d’alex Le lendemain de la fête, le village baignait dans une lumière douce, presque dorée. L’air était encore chargé des effluves de braises et de fleurs fanées, souvenirs des réjouissances nocturnes. Les enfants couraient dans les allées, poursuivant des poules récalcitrantes, tandis que les adultes émergeaient lentement, le sourire encore accroché aux lèvres. Assis autour d’une grande table improvisée, je retrouvai Ragnar, Negan et Cael. Les tasses de café fumaient encore, et les plaisanteries fusaient. — Alors, qui s’est endormi le premier hier soir ? lança Ragnar, un large sourire aux lèvres. — Toi, vieux loup, répondit Negan en éclatant de rire. J’ai vu ta Luna te tirer par l’oreille pour t’empêcher de ronfler au milieu des tambours. Ragnar gronda pour la forme, mais ses yeux pétillaient de malice. — Et toi, Alex, dit Cael avec un air faussement sérieux, tu as failli lever ta corne une troisième fois. On aurait dit que tu voulais noyer tout le monde sous tes di
point de vue d’alex La nuit avait enveloppé le village d’un manteau rougeoyant. La Lune Pourpre trônait au-dessus de nous, éclatante, et ses lueurs se mêlaient à celles des torches et des feux de joie. La musique résonnait, tambours et flûtes accompagnant les rires, et la fête battait son plein. Je me tenais parmi les Alphas, entouré de Ragnar, Negan et Daryl. Nos voix graves et nos éclats de rire dominaient un instant le vacarme de la fête. — Je n’ai pas vu une fête aussi vivante depuis des années ! lança Ragnar, une corne de bière à la main, son large sourire éclairant son visage. — On dirait presque que la guerre n’a jamais existé, ajouta Negan en hochant la tête. — C’est bien le but, répondis-je. Que nos enfants grandissent dans la paix, pas dans le sang. — En parlant d’enfants, ricana Daryl, fais gaffe Alex… Negan va encore leur apprendre des bêtises. Nous nous retournâmes. Plus loin, Negan s’était amusé à courir après Mason, le fils de Ragnar, ainsi que Jax et Soraya, qui