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CHAPITRE 5 : L'ARCHITECTE DE L'OMBRE

Autor: Darkness
last update Última atualização: 2025-11-08 19:35:37

Kaelan

La pluie frappe les vitres blindées de mon bureau, un tambourinement monotone qui scande le temps. L’orage gronde au loin, un écho familier à la tempête que j’entretiens en moi. La pièce est baignée dans la lueur froide d’un unique lampadaire, laissant les coins s’enfoncer dans des ténèbres épaisses. Je déteste la lumière vive. Elle révèle trop, elle pardonne trop.

Éliane est partie il y a une heure. Je peux encore sentir l’empreinte de sa peur dans l’air, un parfum envoûtant, plus enivrant que le plus vieux des whiskys. Elle croit être ici pour classer des paperasses. Une naïveté qui frôle le sublime. Elle est ici parce que sa lumière fragile perce mes ombres d’une manière que je ne tolère de personne. Et je vais la plier, cette lumière. Je vais la forcer à éclairer les abîmes qu’elle refuse de regarder.

Mon téléphone, un bloc de métal mat et sans âme, vibre contre le verre du bureau. Une seule ligne. Une seule personne l’utilise. Je décroche.

— Parle.

— Kaelan. La situation avec les Grecs se tend. Ils estiment que la part du port est insuffisante.

La voix de Marcus est calme, rocailleuse. Elle a résonné dans des entrepôts bien plus sordides que ce bureau.

— Insuffisante ? Répète-leur que la « suffisance » est un concept qui s’apprend. Souvent dans la douleur.

— Ils ont fait une démonstration. Le cargo du Silent Mary. Deux de nos hommes. Une caisse d’artefacts disparue.

Un silence. Le mien. Un silence qui se charge de froid, de la promesse de la violence. Les artefacts ne m’intéressent pas. Ce sont des os jetés aux chiens pour qu’ils aboient ailleurs. Mais toucher à mes hommes… C’est une langue qu’ils comprendront.

— Envoie Léo et sa cellule. Je veux que le représentant des Grecs soit retrouvé. Pas de discussion. Une leçon. Qu’elle soit… mémorable. Que le son de ses os leur parvienne jusqu’à Piraeus.

— Entendu.

— Et Marcus… Récupère la caisse. Brûle-la.

Je raccroche. Aucune émotion. C’est de la maintenance. De la gestion de territoire. L’empire Valois ne s’est pas construit sur la politesse. Il s’est bâti sur le sang et la terreur, soigneusement canalisés, monnayés, capitalisés. Le parchemin que tenait Éliane tout à l’heure ? Un acte de vente du XVIIIe siècle, oui. Mais la terre en question appartenait à un homme qui avait refusé la « protection » de mon arrière-arrière-grand-père. Il a signé son abdication, la mort dans l’âme, après que sa fille eut disparu. L’histoire est un cycle. Les méthodes se raffinent, le fond demeure.

Je me lève et marche vers la fenêtre. Le parc n’est qu’un gouffre de ténèbres agitées par le vent. Cette propriété n’est pas un refuge. C’est une forteresse. Un coffre-fort. Et Éliane en est devenue le contenu le plus précieux, bien malgré elle.

Je revois son dos se raidir quand j’ai posé ma main sur sa nuque. La vibration de son corps sous mon toucher. Ce n’était pas un geste de désir. C’était une revendication. Une marque de propriété. Elle est un désordre que je dois organiser, un chaos que je vais cataloguer avec la même rigueur impitoyable que j’applique à mes affaires.

Elle croit que ma cruauté est un spectacle pour elle. Elle se trompe. C’est mon langage maternel. C’est l’air que je respire. Chaque mot que je lui adresse est un coup de ciseau pour sculpter la statue qui est cachée dans le bloc de marbre effrayé qu’elle m’a offert.

Son « pourquoi moi ? » était pathétique. Prévisible.

La réponse est simple : parce qu’elle a un feu. Petit, vacillant, mais réel. Un feu qui n’a pas encore été éteint par la laideur du monde. Et je vais être celui qui l’attisera, non pour la réchauffer, mais pour la consumer de l’intérieur. Pour voir de quoi elle est vraiment faite quand il ne reste plus que les cendres de ses principes et la braise de ses pulsions les plus basses.

Le téléphone vibre à nouveau. Un message. Une photo. Un homme dans le coffre d’une voiture, le visage tuméfié, les yeux exorbités par une terreur qui me sera rapportée en détail plus tard. Sous la photo, un seul mot : Régler.

Je souris. Un mouvement des lèvres qui n’atteint pas mes yeux.

C’est l’ordre des choses. Je règle les problèmes. Je possède les choses. Et les personnes.

Et bientôt, quand elle aura compris qu’il n’y a pas d’échappatoire, qu’elle n’a plus d’autre choix que de se regarder en face dans le miroir que je lui tends, Éliane viendra d’elle-même se ranger dans la colonne de mes possessions.

Ce ne sera pas une défaite.

Ce sera son initiation.

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    ÉlianeLe silence après le départ de Richard Morel est plus éloquent que tous les discours. Il s'étend, se déploie, se charge de la substance même de ce qui vient de se passer. Kaelan ne bouge pas, observant la porte close comme s'il pouvait encore y voir l'empreinte fantôme de l'homme ruiné. Puis, son regard se tourne vers moi.Il n'y a pas de triomphe dans ses yeux. Pas de fierté mal placée. Seulement une évaluation froide, minutieuse. Comme un cartographe traçant une nouvelle terre découverte.— Alors ? Sa voix est calme, sans intonation.Je déglutis. Ma bouche est sèche, mais il n'y a plus de nausée. Plus de vertige éthique. Il y a un calme étrange, une clarté glaçante. Comme si un brouillard s'était dissipé, révélant un paysage austère et familier.— C'était… efficace, dis-je.Mon propre ton me surprend. Il est détaché. Professionnel.Un sourcil de Kaelan se lève, imperceptiblement.— Seulement efficace ?Je détourne les yeux, regardant par la fenêtre les jardins impeccables. Cha

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    ÉlianeLes jours qui suivent sont un étrange intermède. Le manoir semble retenir son souffle. Kaelan se fait plus distant, absent pour de longues heures, me laissant errer dans la bibliothèque, parmi les archives qui n'ont plus le même goût. Je ne les vois plus comme des reliques, mais comme des manuels. Des études de cas. Chaque vie résumée dans un dossier est une leçon sur les failles humaines, sur l'art de la manipulation.Le collier ne quitte jamais mon cou. Son poids est devenu une partie de moi, un rappel constant de la faim qu'il symbolise. Je me surprends à toucher la pierre noire, lisse et froide, comme pour puiser une forme de courage dans son inertie.Ce matin, je me trouve dans la serre. La lumière y est diffuse, verte, tamisée par la jungle de plantes exotiques que Kaelan entretient avec une rigueur maniaque. L'air est lourd, humide, chargé du parfum entêtant des orchidées rares. C'est un lieu de vie exubérante, mais contrôlée. Domptée. Comme tout ici.Kaelan entre sans u

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    ÉlianeLa déchirure résonne encore dans la pièce close, un écho de violence qui semble avoir fendu l’air lui-même. Les morceaux de la lettre de la marquise gisent à mes pieds, des papillons morts aux ailes couvertes de mots assassins. Je ne les vois plus. Je ne vois que Kaelan. Son mépris est une force tangible, une pression qui m’écrase et, paradoxalement, me révèle la forme exacte de mon propre vide.Il a dit « avoir faim ». Et « mordre ».Ces mots ne devraient évoquer que l’horreur. La bête. Le prédateur. Pourtant, ils atterrissent en moi, et au lieu de rebondir sur l’armure de ma peur, ils s’enfoncent. Ils trouvent un écho. Une cavité que je n’avais jamais nommée, que j’avais meublée de politesse, de compétence, de discrétion. Tous ces traits qui font une bonne employée, une femme convenable. Une proie idéale.Kaelan ne bouge toujours pas. Il attend. Son regard est un scalpel qui dissèque chaque micro-expression sur mon visage, chaque frémissement de mes paupières, chaque pulsatio

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    ÉlianeLa pluie a cessé, laissant derrière elle un monde lavé, trop net, comme une blessure fraîchement suturée. Kaelan m’a donné de nouveaux documents, plus anciens, plus fragiles. Des lettres personnelles cette fois. Des confidences jaunies par le temps. Il m’a installée dans la petite salle d’étude attenante à son bureau, une pièce sans fenêtre, éclairée seulement par une lampe basse. Une cellule de moine pour un travail de profanation.— Lisez, m’a-t-il dit en posant devant moi une liasse de lettres liées par un ruban de soie décolorée. La marquise de Thierry à son amant. Dites-moi ce que vous y trouvez.Sa voix était neutre, mais son regard pesait sur moi, un fardeau familier. Il ne me quittait pas. Il s’était assis dans un fauteuil de cuir, en retrait, observant, attendant. Un prédateur à l’affût des frémissements de son gibier.J’ai délié le ruban. Il s’est effiloché entre mes doigts, comme une dernière résistance. La première lettre. L’encre était d’un brun sépia, l’écriture é

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