Início / Mafia / À l'ombre de nos désirs / CHAPITRE 6 : LE FESTIN DES CORBEAUX

Compartilhar

CHAPITRE 6 : LE FESTIN DES CORBEAUX

Autor: Darkness
last update Última atualização: 2025-11-08 19:36:20

Éliane

La pluie a cessé, laissant derrière elle un monde lavé, trop net, comme une blessure fraîchement suturée. Kaelan m’a donné de nouveaux documents, plus anciens, plus fragiles. Des lettres personnelles cette fois. Des confidences jaunies par le temps. Il m’a installée dans la petite salle d’étude attenante à son bureau, une pièce sans fenêtre, éclairée seulement par une lampe basse. Une cellule de moine pour un travail de profanation.

— Lisez, m’a-t-il dit en posant devant moi une liasse de lettres liées par un ruban de soie décolorée. La marquise de Thierry à son amant. Dites-moi ce que vous y trouvez.

Sa voix était neutre, mais son regard pesait sur moi, un fardeau familier. Il ne me quittait pas. Il s’était assis dans un fauteuil de cuir, en retrait, observant, attendant. Un prédateur à l’affût des frémissements de son gibier.

J’ai délié le ruban. Il s’est effiloché entre mes doigts, comme une dernière résistance. La première lettre. L’encre était d’un brun sépia, l’écriture élégante et nerveuse.

« Mon aimé, la nuit est un supplice sans toi. Le comte ronfle à mes côtés, ignorant que mon cœur bat pour tes baisers… »

Ma voix a tremblé en lisant ces mots intimes. C’était une violation. Pire que de classer des actes de vente. Ici, c’était l’âme d’une femme, ses désirs, ses peurs, offerts en pâture.

— Continuez, a murmuré Kaelan dans la pénombre.

J’ai poursuivi. La marquise détaillait ses journées vides, sa haine pour son mari, ses stratagèmes pour retrouver son amant. Puis, vers la fin de la troisième lettre, un passage m’a arrêtée.

« … il a encore parlé de cette affaire avec l’Anglais. Il croit que je ne comprends rien à ses combines, le pauvre fou. Si seulement il savait que je tiens les registres de ses trafics dans le tiroir secret de mon secrétaire. Parfois, j’ai envie de tout révéler, de le voir ruiné, brisé… »

Je me suis tus. Un frisson m’a parcourue. Ce n’était plus une romance. C’était une arme.

— Eh bien ? Sa voix a tranché le silence, comme un rasoir.

— Elle… elle détenait des preuves contre son mari. Des trafics.

— Et que fait-elle de ces preuves, Éliane ? Elle les utilise ? Elle le fait chanter ? Elle le ruine ?

— Non. Elle… elle n’en fait rien. Elle les garde. Elle écrit qu’elle en a « envie », mais elle ne passe pas à l’acte.

Kaelan s’est levé et a traversé la pièce avec cette lenteur délibérée qui me nouait toujours les entrailles. Il s’est penché sur mon épaule, son souffle chaud sur ma nuque. Sa main s’est posée sur la mienne, qui tenait la lettre. Un contact brûlant, possessif.

— Exactement. Elle a le pouvoir entre ses mains, et elle n’en fait rien. Elle se contente de le fantasmer dans ses petites lettres. Elle se gave de l’idée de la vengeance, mais elle est trop lâche pour en payer le prix. C’est une éternelle insatisfaite. Une faible.

Ses doigts se sont resserrés sur les miens, pressant ma chair contre le papier rugueux.

— La plupart des gens sont comme elle, Éliane. Ils rêvent de puissance, de feu, de destruction, mais ils restent tapis dans l’ombre, à se repaître de leurs fantasmes. Ils méprisent la boue mais refusent de se salir les mains pour s’en extraire.

Il a tourné ma main, forçant ma paume à s’ouvrir, exposant ma peau à la lumière crue de la lampe.

— Regardez cette main. Elle est capable de tenir un stylo, de classer des paperasses. Mais est-elle capable de saisir ce qu’elle désire vraiment ? De le prendre, peu importe le sang versé ?

Sa voix n’était plus un murmure. C’était un grondement bas, vibrant dans la petite pièce.

— Je ne collectionne pas les faibles, Éliane. Je les élimine. Ou je les forge à mon image. Vous, je vous ai choisie pour être forgée.

Il a relâché ma main, la laissant tremblante, marbrée de rouge là où ses doigts s’étaient incrustés. Il a pris la lettre de la marquise, l’a contemplée un instant avec un mépris absolu.

— Cette femme est morte dans son lit, riche et respectée, le goût cendreux de ses rêves inassouvis sur la langue. Une existence misérable.

Il a déchiré la lettre en deux. Le son du papier qui cède a été atrocement violent dans le silence.

— Je ne veux pas que vous finissiez comme elle. Je veux que vous appreniez à avoir faim. Et à mordre.

Les morceaux de parchemin sont tombés sur le sol, des ailes brisées. Je les ai regardés, le cœur battant la chamade, le souffle coupé. Ce n’était pas une lettre qu’il venait de déchirer. C’était un avertissement. Une allégorie de mon propre sort si je restais la petite archiviste effrayée.

Et au plus profond de moi, dans un endroit sombre que je n’avais jamais osé explorer, quelque chose a remué. Pas de la peur. Pas de la révolte.

Une faim.

Une faim terrible, née des cendres de la marquise et attisée par le feu noir de Kaelan.

Continue a ler este livro gratuitamente
Escaneie o código para baixar o App

Último capítulo

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 11 : LA GEOGRAPHIE INTERIEURE

    ÉlianeLe silence après le départ de Richard Morel est plus éloquent que tous les discours. Il s'étend, se déploie, se charge de la substance même de ce qui vient de se passer. Kaelan ne bouge pas, observant la porte close comme s'il pouvait encore y voir l'empreinte fantôme de l'homme ruiné. Puis, son regard se tourne vers moi.Il n'y a pas de triomphe dans ses yeux. Pas de fierté mal placée. Seulement une évaluation froide, minutieuse. Comme un cartographe traçant une nouvelle terre découverte.— Alors ? Sa voix est calme, sans intonation.Je déglutis. Ma bouche est sèche, mais il n'y a plus de nausée. Plus de vertige éthique. Il y a un calme étrange, une clarté glaçante. Comme si un brouillard s'était dissipé, révélant un paysage austère et familier.— C'était… efficace, dis-je.Mon propre ton me surprend. Il est détaché. Professionnel.Un sourcil de Kaelan se lève, imperceptiblement.— Seulement efficace ?Je détourne les yeux, regardant par la fenêtre les jardins impeccables. Cha

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 10 : LE FESTIN DES OMBRES

    ÉlianeLes jours qui suivent sont un étrange intermède. Le manoir semble retenir son souffle. Kaelan se fait plus distant, absent pour de longues heures, me laissant errer dans la bibliothèque, parmi les archives qui n'ont plus le même goût. Je ne les vois plus comme des reliques, mais comme des manuels. Des études de cas. Chaque vie résumée dans un dossier est une leçon sur les failles humaines, sur l'art de la manipulation.Le collier ne quitte jamais mon cou. Son poids est devenu une partie de moi, un rappel constant de la faim qu'il symbolise. Je me surprends à toucher la pierre noire, lisse et froide, comme pour puiser une forme de courage dans son inertie.Ce matin, je me trouve dans la serre. La lumière y est diffuse, verte, tamisée par la jungle de plantes exotiques que Kaelan entretient avec une rigueur maniaque. L'air est lourd, humide, chargé du parfum entêtant des orchidées rares. C'est un lieu de vie exubérante, mais contrôlée. Domptée. Comme tout ici.Kaelan entre sans u

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 9 : LA LEÇON DE CHASSE

    ÉlianeLa nuit est effectivement longue.Kaelan ne me quitte pas. Il ne me touche pas, ne me menace pas. Sa présence seule est une leçon. Elle occupe l'espace, l'air, la lumière. Elle me dicte une nouvelle façon de respirer, plus lente, plus consciente. Je suis assise dans le fauteuil en face de son bureau, le collier lourd à mon cou, le coupe-papier toujours niché au creux de ma main, caché dans les plis de ma robe.Il a allumé une seule lampe, projetant un cône de lumière dorée qui isole notre monde du reste de l'obscurité. Il a sorti un nouveau dossier. Non pas des lettres anciennes, mais des documents contemporains. Des rapports financiers, des contrats, des profils psychologiques.— Lisez, dit-il en poussant le dossier vers moi. Pas comme une archiviste. Comme une prédatrice.Je l'ouvre. Ce sont les détails d'un homme. Un concurrent. Un nom qui revient souvent dans la presse économique. Des photos le montrant en costume souriant, entouré de sa famille, serrant des mains. Un homme

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 8 : LA PREMIÈRE MORSURE

    ÉlianeLa nuit est tombée sur le manoir, épaisse et silencieuse. Les murs de pierre semblent absorber tous les bruits, jusqu’au battement affolé de mon propre cœur. Mais ce n’est plus le même cœur. Quelque chose a changé dans la petite salle d’étude, quelque chose d’irréversible. La graine de la faim a germé, et sa racine obscure se love autour de mes os, de mes nerfs.Je ne suis pas retournée dans ma chambre. Je suis restée là, parmi les archives, les preuves matérielles des vies que Kaelan collectionne et méprise. Je parcours les rayonnages du bout des doigts, effleurant les reliures de cuir, les chemises en carton. Ce ne sont plus des documents. Ce sont des testaments. Des testaments de faiblesse, d’après lui.Mais je n’y vois plus seulement cela. J’y vois des schémas. Des failles. Le mari de la marquise, aveuglé par son arrogance. La marquise elle-même, paralysée par sa peur. Kaelan a raison sur un point : ils détenaient tous les deux du pouvoir, et aucun n’a su s’en servir jusqu’

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 7 : L'ÉVEIL DE LA FAIM

    ÉlianeLa déchirure résonne encore dans la pièce close, un écho de violence qui semble avoir fendu l’air lui-même. Les morceaux de la lettre de la marquise gisent à mes pieds, des papillons morts aux ailes couvertes de mots assassins. Je ne les vois plus. Je ne vois que Kaelan. Son mépris est une force tangible, une pression qui m’écrase et, paradoxalement, me révèle la forme exacte de mon propre vide.Il a dit « avoir faim ». Et « mordre ».Ces mots ne devraient évoquer que l’horreur. La bête. Le prédateur. Pourtant, ils atterrissent en moi, et au lieu de rebondir sur l’armure de ma peur, ils s’enfoncent. Ils trouvent un écho. Une cavité que je n’avais jamais nommée, que j’avais meublée de politesse, de compétence, de discrétion. Tous ces traits qui font une bonne employée, une femme convenable. Une proie idéale.Kaelan ne bouge toujours pas. Il attend. Son regard est un scalpel qui dissèque chaque micro-expression sur mon visage, chaque frémissement de mes paupières, chaque pulsatio

  • À l'ombre de nos désirs    CHAPITRE 6 : LE FESTIN DES CORBEAUX

    ÉlianeLa pluie a cessé, laissant derrière elle un monde lavé, trop net, comme une blessure fraîchement suturée. Kaelan m’a donné de nouveaux documents, plus anciens, plus fragiles. Des lettres personnelles cette fois. Des confidences jaunies par le temps. Il m’a installée dans la petite salle d’étude attenante à son bureau, une pièce sans fenêtre, éclairée seulement par une lampe basse. Une cellule de moine pour un travail de profanation.— Lisez, m’a-t-il dit en posant devant moi une liasse de lettres liées par un ruban de soie décolorée. La marquise de Thierry à son amant. Dites-moi ce que vous y trouvez.Sa voix était neutre, mais son regard pesait sur moi, un fardeau familier. Il ne me quittait pas. Il s’était assis dans un fauteuil de cuir, en retrait, observant, attendant. Un prédateur à l’affût des frémissements de son gibier.J’ai délié le ruban. Il s’est effiloché entre mes doigts, comme une dernière résistance. La première lettre. L’encre était d’un brun sépia, l’écriture é

Mais capítulos
Explore e leia bons romances gratuitamente
Acesso gratuito a um vasto número de bons romances no app GoodNovel. Baixe os livros que você gosta e leia em qualquer lugar e a qualquer hora.
Leia livros gratuitamente no app
ESCANEIE O CÓDIGO PARA LER NO APP
DMCA.com Protection Status