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CHAPITRE 2 ENQUÊTE

CHAPITRE 2 ENQUÊTE

Le jour suivant, le jeune garçon ne revint pas. Il avait tout simplement disparu. La ville était en émoi. Tous s’interrogeaient et des recherches avaient été organisées. Jusqu’ici, elles étaient restées infructueuses.

Lewan comptait environ trente mille habitants et avait été construite à la lisière de la forêt du Dragon. Les remparts constituaient la seule protection fiable contre les attaques venues de l’extérieur et, pour beaucoup, la forêt, barrière naturelle contre le danger, était habitée par quantité d’esprits. Aussi, peu de gens osaient s’y aventurer. Les murailles étaient jointes par quatre grandes portes aux points cardinaux, qui demeuraient ouvertes en temps de paix. La guerre n’avait pas touché le royaume depuis environ huit ans, quand s’était achevée la guerre contre les Irmains.

Le vieil homme ne pouvait croire à la disparition de son petit-fils.

— Il est peut-être sorti et s’est aventuré en forêt, avait-il dit le premier matin.

Oui, mais voilà, les jours se succédaient, sans que l’on ait de nouvelles. Et plus le temps passait, et plus les chances de le revoir vivant s’amenuisaient.

La ville de Lewan était paisible et, les jours aidant, ses habitants avaient retrouvé leurs habitudes. Les rues s’étaient à nouveau remplies. Bien que la cité fût moins riche que celles de l’Est, il régnait malgré tout dans les rues une grande agitation. Les colporteurs et autres marchands ambulants agitaient leurs remèdes secrets et leurs grigris sous les regards inquisiteurs des badauds. Sur la place du village, une bande de musiciens jouait des airs d’un autre temps.

La ville s’articulait autour de deux corps de bâtiments : le premier était le temple. C’était le lieu où se rendaient les prêtres et les supplicateurs qui imploraient l’aide des dieux. Il était situé au sud de la cité. D’aspect imposant, il semblait dater d’une époque plus ancienne, tant son architecture se distinguait du reste de la ville. Partout, de solides colonnes sculptées élançaient vers le ciel leurs chapiteaux finement ciselés. Le bâtiment principal était l’un des joyaux du royaume. Au fond de la salle se trouvait la gigantesque statue de Géron, le père créateur du monde. Il était représenté en homme avec un enfant à ses pieds, mais également en soldat, puisqu’on lui demandait de protéger le monde des barbares et des envahisseurs. En témoignaient la cuirasse et le casque. Il avait le bras tendu vers les offrandes que l’on avait déposées à ses pieds. Son regard était porté vers la porte d’entrée du temple : on disait que tout envahisseur violant ce haut lieu de la religion serait aussitôt désintégré. Le visage de la statue semblait impassible. Juste devant elle, un autel. Un homme se trouvait devant, dans une attitude de prière. Robert était à genoux, les yeux fermés et des mots étranges sortaient de sa bouche : il récitait une litanie. Il resta là, un long moment, avant de se relever et partit à reculons. Tourner le dos à un dieu, c’était l’offenser. Il sortit du temple et déambula dans les rues de longues heures durant.

Le second corps de bâtiments était le palais comtal. Le royaume de Windbridge se composait de neuf comtés. Chaque comte était vassal du roi et ce dernier possédait lui-même un comté : celui que l’on appelait communément le « dixième sceau ». Les neuf comtes devaient obéissance, respect, fidélité au souverain. Celui-ci leur accordait protection militaire et divine, étant le chef des « gardiens des dieux », c’est-à-dire des prêtres. Le souverain n’avait de comptes à rendre qu’aux dieux.

Le palais de Lewan était un bâtiment luxueux construit en pierre de taille avec deux ailes donnant sur une cour intérieure. De nombreuses colonnades lui donnaient un style particulier et avaient servi de modèle pour la construction d’une annexe du château de Troan, la capitale royale. Le comte siégeait dans la grande salle, et depuis quelques heures, il recevait les plaintes de ses sujets. Boris était un géant barbu au regard pétillant et au rire franc, fort apprécié de ses sujets qu’il servait sans faillir depuis près de quinze ans.

Quand Robert se présenta, Boris l’accueillit cordialement et demanda aux autres de se retirer. Cela faisait une semaine que le malheureux était sans nouvelles de son fils aîné. Il se doutait bien que jamais il ne le reverrait, mais tentait là une ultime démarche.

— Vous avez besoin de mon aide pour retrouver votre fils, c’est bien cela ?

Robert acquiesça.

— Oui, vous êtes mon dernier recours.

Son regard convaincant suffit à Boris.

— Je ne peux refuser cela à un vieil ami qui a si longtemps combattu nos belliqueux voisins, les Irmains, à mes côtés. Je vais dès à présent avertir mon meilleur homme qu’il entame des recherches. Il ira là où les villageois, malgré toute leur bonne volonté, n’ont pas été à cause de leurs vieilles superstitions et, notamment, dans la forêt du Dragon.

Robert le remercia, fit la révérence et sortit de l’immense salle qui répercuta l’écho de son pas un long moment.

Resté seul, Boris fit appeler le chef de sa garde personnelle : Alric. C’était un ancien marin qui avait décidé de s’établir et de fonder une famille. Pour ce faire, il s’était engagé dans l’armée et avait, à force de bravoure, gagné un nom et un grade. L’homme arriva, essoufflé.

— Oui, Seigneur.

— Je veux que tu emmènes une centaine d’hommes dans la forêt du Dragon afin de rechercher le jeune Jonas, le garçon qui a disparu.

— Mais Seigneur, elle est maudite.

— Aurais-tu peur ? demanda Boris en souriant, sachant que cela allait éveiller en son second une vague de protestations.

Ce dernier fut effectivement vexé et il se rengorgea

— Non, Seigneur, à vos ordres.

Alric partit. Resté seul, Boris regarda la carte du royaume.

– Je crains que nos efforts ne restent vains, se dit-il pour lui-même. S’il était en vie, il serait sans doute déjà de retour depuis longtemps.

Boris savait d’expérience qu’il était quasi impossible de survivre dans la nature sans armes, tant celle-ci était sauvage. Il suffisait d’être légèrement blessé pour devenir la proie des prédateurs les plus féroces. Le moindre signe de présence humaine, et déjà les charognards attendaient leur heure. Il se pencha à la fenêtre et admira le panorama : les toits des maisons recouverts de neige et, au loin, la forêt du Dragon.

Une heure plus tard, les soldats, Alric à leur tête, sortirent par la porte Sud. La petite troupe entra sous le couvert des arbres où ils s’éparpillèrent. Alric avançait rapidement, se taillant un chemin parmi les ronces à grands coups d’épée. Le soleil, malgré l’absence de feuillage, avait du mal à pénétrer tant la forêt était dense. Arrivés dans une clairière, ils trouvèrent au centre de celle-ci, les restes d’un foyer vieux de plusieurs jours, à voir l’état des cendres. Alric se pencha. Ses hommes approchèrent. Dans l’armée, Alric avait été pisteur et même rabatteur ; après avoir senti la terre, il annonça : 

— Quatre hommes, peut-être plus. Cela date d’environ six jours. C’est à cette même date que Jonas a disparu.

Ils prirent la décision de remonter la piste. La tâche fut hasardeuse. Mais rien ne pouvait les décourager. Enfin, après environ une heure de marche, la petite troupe arriva au bord du gouffre. Comme poussé par un mauvais pressentiment, Alric s’approcha du ravin et poussa un cri. Les hommes se penchèrent à leur tour : ce qu’ils virent les remplit d’effroi, et marquerait leurs esprits jusqu’à la fin de leur vie. Dans la crevasse, sur un pieu, les restes d’un corps sur lequel s’acharnaient des corbeaux. Ils déchiquetaient le cadavre, emportant avec eux des lambeaux de chair.

— Je crois que nous avons retrouvé Jonas, annonça Alric d’un ton macabre. Il faut descendre le chercher.

Joignant le geste à la parole, il sortit d’un sac à dos une longue corde dont il attacha l’une des extrémités à un tronc d’arbre et jeta le reste dans le vide. Environ une heure plus tard, ils faisaient route vers Lewan avec la dépouille de Jonas.

Alric se tourna vers ses hommes.

— Je préfèrerais que vous taisiez l’existence des étrangers, car tout laisse à penser à un accident. Que faisait-il là bas ? Nul ne le sait. Bien sûr, il a pu être victime d’un groupe de voleurs en ville qui l’auraient tué pour mieux le dépouiller et auraient ensuite transformé le meurtre en accident, mais ces hypothèses ne sont pas fondées. Par conséquent, je vous demande à tous le silence, jusqu’à ce que mon enquête aboutisse.

Les soldats approuvèrent.

L’enterrement eut lieu deux jours plus tard : Jonas reposerait aux côtés de ses ancêtres. De ce triste jour, il ne devait rester dans le souvenir de Joachim que les légendes qui l’accompagnaient dans tous ses rêves et l’image d’un frère modèle.

Un matin, environ trois mois après le drame, ils quittèrent Lewan, où trop de mauvais souvenirs les hantaient…

… Et sept années s’écoulèrent.

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