LOGINÉLISELe manoir des de Montbray absorbe la lumière du matin gris.Chacun de mes pas dans le grand hall résonne comme une confession. Je sens encore sur moi l'odeur de cire et de colère de la maison paternelle.Charles-Antoine m'attend, adossé à la cheminée de marbre froid du salon. Il ne lit pas. Il ne feint même pas l'occupation. Il m'a guettée.— Ma chère épouse, commence-t-il d'une voix doucereuse qui strie l'air comme une lame. Une promenade matinale si longue ? Par un temps si maussade ?Il s'approche, son regard glissant sur moi, inventoriant les détails : la raideur de mon port, la pâleur de mon teint, l'éclat trop vif de mes yeux.— Le temps m'importait peu. J'avais besoin de marcher.—Seule ? insiste-t-il, encerclant lentement.—La solitude est parfois la meilleure compagnie.Un sourire mince étire ses lèvres. Il n'y a aucune chaleur dans ce sourire.—Vraiment ? J'aurais juré vous avoir entendue donner un ordre au cocher, tôt ce matin. Une destination en particulier ?Mon cœur
ÉLISELa pièce sent le bois ciré, la cendre et l’autorité.Mon père ne m’a pas encore invitée à m’asseoir.Il me jauge du regard, ce regard qui m’a toujours fait taire enfant, et qui, aujourd’hui encore, cherche à m’imposer le silence.Je reste debout.Je refuse de baisser les yeux.— Tu as dit vouloir parler d’Armand, répète-t-il enfin, sa voix rauque et lente. J’espère que ce n’est pas pour implorer ma clémence. Il n’en aura aucune.Je m’avance d’un pas.— Je viens te demander de le libérer.Un souffle court, presque un rire sans joie.— Libérer un traître ? Un homme qui a défié mon autorité et terni notre nom ?Il se penche légèrement.— Ou est-ce une simple lubie sentimentale, ma fille ? Une faiblesse de ton cœur encore trop tendre ?Je le fixe, droite, sans trembler.— Ce n’est ni une faiblesse, ni une lubie.C’est une dette. Une vérité que tu refuses de voir.Il se redresse dans son fauteuil, la canne frappant le sol.— La vérité ? Je la connais. Il t’a séduite pour mieux te tra
ÉLISELe jour se lève lentement, comme à contrecœur.La lumière grise filtre à travers les rideaux de lin, timide et voilée, et me trouve déjà éveillée.Charles-Antoine dort encore, une main sur ma taille, paisible, presque enfantin.Le voir ainsi, si calme après la nuit qu’il croit avoir possédée, m’arrache un sourire sans joie.Il ignore tout , de moi, de mes pensées, de ce que je m’apprête à faire.La nuit a été un voile, un théâtre. Le matin, lui, sera vérité.Je me dégage avec douceur, sans bruit.Le parquet gémit sous mes pas nus ; chaque craquement semble me trahir.Je me penche pour ramasser ma robe, froissée sur le tapis, et la passe lentement, comme si je revêtais à nouveau mon rôle d’épouse exemplaire.Mais sous le tissu, mon cœur bat plus fort.Je n’ai plus le luxe du doute.Le miroir me renvoie un visage pâle, fatigué, mais décidé.Je coiffe mes cheveux avec soin, épingle une mèche derrière mon oreille, et cache dans mon corsage la clé du petit coffre que Charles-Antoine
CHARLES-ANTOINELa maison est silencieuse, seulement troublée par le crissement des planchers et le souffle régulier des domestiques qui s’effacent derrière les portes closes.Je la trouve dans le salon, près du feu mourant, les mains posées sur ses genoux comme si elle voulait retenir le monde à distance.— Élise, murmurai-je, en entrant avec un plateau.Des petits verres de liqueur et quelques friandises disposées avec soin sur de la porcelaine fine. La lumière vacillante du feu fait briller le cristal, et mon cœur s’accélère à la mesure de notre complicité silencieuse.Elle lève les yeux et me transperce de son regard feintement froid.— Merci, dit-elle simplement, son ton glacé ne promettant rien.Je m’approche, pose le plateau sur la table basse.— Je pensais à un petit jeu ce soir… juste pour nous. Un moyen d’oublier les convenances.Elle me fixe en silence. Un mince sourire effleure ses lèvres, mais ses yeux restent prudents, presque défiants.— Quel genre de jeu ?Je lui tends
ÉLISE La lumière filtre à travers les rideaux épais, dorée, immobile, impitoyable.La chambre garde encore la chaleur de la nuit, mais tout semble déjà figé, comme si le temps retenait son souffle autour de nous.Je m’éveille avant lui.Charles-Antoine dort d’un sommeil tranquille, une main posée sur le drap, son visage apaisé.Je le regarde, longuement.Il a la sérénité de ceux qui croient avoir accompli leur devoir et cette croyance, plus que tout, me donne de la force.Je me lève sans bruit.Mes pas nus glissent sur le tapis. Le miroir m’attend, grand, impassible.Je m’y découvre pâle, les cheveux défaits, la peau encore marquée par la nuit.Mais derrière cette image docile, je sens battre quelque chose d’autre : une détermination calme, presque sacrée.Je souris à mon reflet.Je m’y entraîne.La porte s’ouvre sans frapper.La gouvernante entre, accompagnée de deux jeunes servantes aux gestes calculés. Elles ne disent rien, mais leurs regards inspectent tout : les draps, le lit, l
ÉLISELa demeure des de Valmont est une forteresse de beauté.Tout y brille trop fort : les miroirs, les dorures, les regards des domestiques. L’air y est si lisse qu’on y glisse au moindre souffle. J’avance, prisonnière d’une perfection qu’on m’impose.Charles-Antoine marche à mes côtés comme s’il me guidait dans un royaume conquis. Sa voix douce masque une autorité que je sens vibrer à chaque mot. Tout en lui respire la maîtrise , celle d’un homme qui croit tenir son avenir entre ses mains.Et moi, je le regarde à peine. Je le laisse croire.Chaque salle est un théâtre silencieux : les candélabres, les tapisseries, les portraits de femmes mortes avant moi, toutes parées du même sourire résigné.Je pense à Armand. À la promesse de liberté qu’il m’a soufflée comme un serment.Et plus le marbre brille, plus je sens la pierre se refermer sur moi.Le soir tombe, et la maison change de peau. Les domestiques se retirent peu à peu, laissant derrière eux le parfum de la cire chaude. Dans les







