Mila
Je suis encore là, à le regarder.
À guetter la moindre respiration.
Le moindre tressaillement sous les draps.
Il dort comme un enfant, inconscient du chaos qui l’attend. La pâle lumière de l’aube caresse son visage, révèle ses cernes, ses traits fatigués. Il a l’air vulnérable, presque fragile. Je le préfère comme ça. Sans son masque , sans le sourire de façade qu’il offre au monde. Juste lui , rien que lui , il est magnifique .
Les draps ont glissé, dévoilant sa peau. Son torse, la courbe de son épaule, ce creux qui m’appelle. Ma main me brûle de le toucher. J’en crève d’envie. Mais je me retiens. Pas encore. J’ai envie qu’il sente ma présence avant même de comprendre que je suis réelle.
Je l’observe. J’écoute. J’ai l’impression de battre à son rythme, comme si mon cœur s’était calé sur le sien. Ou peut-être est-ce lui qui bat au mien.
Il fronce les sourcils. Ses paupières tremblent. Il remue légèrement.
Il va se réveiller.
Mon souffle se bloque. C’est l’instant. Celui que j’attends depuis des jours.
Ses yeux s’ouvrent lentement, brumeux, confus. Il grogne, une main sur le visage. Puis il se fige. Ses narines frémissent comme un animal qui sent un danger. L’air a changé, il le sait.
– Qui… qui est là ?
Sa voix est rauque, glaciale.
Je ne réponds pas. Je veux qu’il me cherche, qu’il sente ma présence avant de la voir. Son regard balaie la pièce, nerveux, tendu. Puis il se tourne et me voit.
Nos regards se heurtent.
C’est un choc, oui. Mais pas celui que j’avais imaginé.
Je vois la colère s’allumer dans ses yeux.
– Qu’est-ce que…
Il se tait, les mots coincés dans sa gorge. Ses traits se durcissent.
Je reste droite, immobile, presque insolente.
– Bonjour.
Il plisse les yeux, se redresse, repousse les draps d’un geste sec.
– Mais tu es qui, putain ?
Sa colère est brutale, tranchante. Mais elle me fait sourire.
– Je t’attendais, je dis calmement.
– Quoi ? Tu te fous de moi ? Comment tu as fait pour entrer ?
Il se lève d’un bond. Sa voix monte.
– Tu crois que c’est normal de te réveiller et de trouver une tarée dans sa chambre ?
Je penche la tête, je le détaille, je laisse mon regard glisser sur lui comme une caresse.
– Je suis Mila. Et je suis là parce que tu m’as appelé.
– Quoi ? C’est quoi ces conneries ?
Il éclate presque de rire, un rire amer . Barre-toi avant que je te foute dehors.
Je ne bouge pas.
– Tu mens. Tu sais que tu avais besoin de moi.
– Pardon ?
Il s’approche, menaçant, les poings serrés.
– Tu veux que j’appelle la sécurité ? Ou tu préfères que je te jette moi-même ?
Je ne recule pas. Au contraire, je fais un pas vers lui.
– Tu as pas peur mais pas de moi , pas vraiment.
Je souris, lentement.
– Parce que tu sais que je dis vrai.
– Arrête ça.
Sa voix est plus dure, mais je vois la faille dans ses yeux.
– Arrête tes conneries mystiques. Tu ne me connais pas. Tu sais rien de moi.
– Je sais tout, je murmure. Tout ce que tu caches. Tout ce qui te ronge.
Je le frôle presque.
– Je sais même ce que tu ressens là, maintenant.
Il recule brusquement comme si je l’avais brûlé.
– Dégage , tu entends ? Tu me fais flipper.
Je souris encore.
– Tu peux hurler , me haïr , me menacer. Mais tu sens, pas vrai ?
Je pose ma main sur ma poitrine, lentement, comme si je touchais son cœur à travers l’air.
– Tu sens que je suis déjà là, dans ta tête.
– Ferme-la !
Il explose, sa voix claque. Ses yeux sont noirs de colère.
– Je veux plus rien entendre. Tu vas partir , tout de suite.
Je fais un pas de plus, je le défie.
– Tu ne veux pas que je parte. Tu veux juste que je reste à la bonne distance pour ne pas voir à quel point tu as besoin de moi.
Il s’arrête net. Sa respiration saccadée me frôle. Je vois ses mâchoires serrées, sa rage prête à déborder.
– Encore un mot, souffle-t-il, et je te…
Il ne finit pas. Il tremble, de colère ou d’autre chose, je ne sais pas.
– Et tu feras quoi ?
Ma voix est douce, presque un murmure.
– Me tuer ? Tu sais que tu pourrais pas.
Le silence tombe, brutal, coupant.
Il me fixe, les yeux pleins de fureur, mais je vois qu’il vacille. Et je sais que c’est gagné.
Parce que plus il me hait, plus il m’écoute . Sans lui laisser plus d'opportunités ,je me jette sur ses lèvres et l'embrasse avec passion .
MILAJe reste plantée un instant, figée derrière le rideau des coulisses, respirant encore le parfum de sa présence, la chaleur de son corps qui s’est glissée contre le mien. Le bruit de la salle s’éloigne, mais mes sens restent en alerte, chaque fibre de mon corps vibrant de ce contact trop bref, trop furtif pour être réel, et pourtant si vivant, si brûlant que j’ai l’impression qu’il me consume de l’intérieur.Je le revois, penché sur sa guitare, ses doigts effleurant les cordes avec une délicatesse presque violente, chaque note semblant murmurer mon nom, chaque vibration résonnant jusqu’au creux de mes reins. Je me surprends à toucher mon poignet, là où sa main a effleuré la mienne, et un frisson me traverse, incontrôlable, me faisant trembler comme si le monde entier pouvait s’effondrer à la moindre pensée de lui.— Mila… souffle une voix derrière moi, et je sursaute presque, reconnaissant son souffle chaud près de mon oreille.Je n’ai pas besoin de le regarder pour savoir qu’il e
MILAL’air est saturé d’odeur de sueur, de câbles brûlants, de café tiède et de l’odeur métallique des instruments. Les cris de la salle résonnent encore derrière les murs, transformés en un écho fantôme qui nous poursuit jusque dans les coulisses. Je me faufile entre les techniciens, mon carnet toujours serré contre moi, mais mes yeux ne cherchent qu’une seule chose : lui.Il est là, à moitié penché sur sa guitare, un geste mécanique pour ranger, pour accorder, pour exister encore parmi les autres. Mais dès que nos regards se croisent, le monde disparaît autour de nous. Mon cœur se serre, un frisson remonte le long de ma colonne, et tout en moi hurle qu’il ne faut pas, qu’on ne peut pas, et pourtant…— Tu… tu as été incroyable, murmuré-je presque inaudiblement, ma voix trahissant la tension qui me serre la poitrine.Il lève les yeux, un demi-sourire, mais ses yeux ne mentent pas. Il s’approche, juste assez pour que je sente sa chaleur, l’ombre de son souffle contre mon oreille :— C’
MILALe trajet est interminable, ou peut-être trop rapide, je ne sais plus, tant chaque minute passée enfermée dans cette voiture me paraît à la fois étouffante et suspendue. Je suis assise à l’avant, à côté du chauffeur, mon carnet ouvert sur mes genoux, mais mes yeux glissent sans cesse sur le rétroviseur, comme attirés malgré moi. Derrière, Eliah est là, son corps étendu nonchalamment contre la portière, ses lunettes masquant ses yeux, mais je sens sa présence comme une main invisible posée sur ma nuque.Parfois, quand la route cahote, nos regards se croisent dans le reflet de la vitre, et je détourne aussitôt les miens, le cœur trop rapide. Ses doigts tapotent sur sa cuisse, comme pour marquer un rythme, mais je sais qu’il le fait pour me rappeler la nuit, pour imprimer dans ma chair le souvenir qu’il ne me laisse pas fuir. Une fois, ses genoux frôlent mon siège, un contact infime, mais qui me fait tressaillir comme si c’était sa bouche.Quand nous arrivons à l’hôtel de la nouvell
MILALa lumière filtre à travers les rideaux lourds, un filet pâle qui effleure les draps défaits, ma peau moite, mes paupières lourdes. Tout mon corps est douloureux, meurtri de plaisir, chaque muscle tiré à l’extrême, chaque nerf encore vibrant de lui. J’ai l’impression que je pourrais dormir cent ans, et pourtant je suis éveillée, incapable de lâcher.Je tourne la tête, et il est là, à côté de moi, encore endormi, ses lèvres entrouvertes, son torse marqué par mes ongles, sa respiration lente, presque paisible. Il a l’air jeune comme ça, presque fragile, et je me surprends à sourire malgré la fatigue qui m’écrase. Mais je sais, je sens, qu’à peine ses yeux s’ouvriront, ce sera à nouveau cette faim, ce besoin qui nous consume et nous dévore.Je passe doucement mes doigts sur son épaule, sur la morsure que je lui ai laissée dans la nuit, et une chaleur trouble monte en moi. Comment ai-je pu aller si loin ? Comment ai-je pu me perdre à ce point ? Je ferme les yeux, je revois mes gestes
ELIAHLe car se vide dans un silence alourdi par la fatigue, les corps qui s’étirent, les soupirs de lassitude, chacun happé par l’idée d’un lit, d’une douche, d’un répit. La ville nous avale dans ses néons froids, ses trottoirs mouillés, ses façades impersonnelles. L’hôtel se dresse comme un bloc de verre et d’acier, sans âme, juste une halte nécessaire dans la course. Mais pour moi, il devient déjà une promesse, un sanctuaire provisoire, un piège où je veux me perdre en elle.Elle descend la première, ses pas rapides, professionnels, ses épaules droites, son carnet toujours en main, comme si elle tenait le monde entier en équilibre. Mais je vois la crispation de ses doigts, la tension de sa nuque, le masque qui s’accroche à son visage avec trop de force. Elle sait que je la regarde. Elle sait que je la suivrai.Dans le hall, les clés sont distribuées, les voix s’éteignent une à une, chacun disparaît dans l’ascenseur ou dans l’escalier, les portes se ferment, et le silence retombe. J
ELIAHL’air du couloir est plus froid quand nous ressortons, il se plaque sur ma peau comme une morsure, comme si la pièce derrière nous avait absorbé toute la chaleur de nos corps, toute la fureur de nos souffles, et qu’il ne restait dehors qu’un monde exsangue. Elle marche à côté de moi, carnet serré contre sa poitrine, ses doigts encore tremblants mais déjà redevenus précis, ordonnés, prêts à jouer leur rôle, et pourtant je vois, je sens, que sous ce masque de maîtrise il y a encore la même fièvre qui brûle en moi. Mon corps est imprégné d’elle, chaque fibre vibre d’un manque qui n’a pas été comblé mais seulement attisé, et chaque pas que je fais dans ce couloir résonne comme une torture.Nous passons devant deux techniciens qui tirent un câble énorme, leurs épaules tendues, leurs voix basses, et l’un d’eux nous jette un regard distrait avant de replonger dans sa tâche, mais je crois que mon cœur s’arrête une seconde. J’ai peur qu’il voie, qu’il sente, qu’il devine l’odeur de nous