Chapitre 2 – La nuit rouge
C’était un soir d’orage, un de ces soirs où le ciel semblait vouloir prévenir qu’un drame se préparait. Lisa avait dix-huit ans ce jour-là. Elle portait encore ses cheveux longs en tresses fines, comme sa mère aimait les lui faire. Elle riait avec naïveté dans les couloirs de la villa familiale, ignorant que ce serait la dernière fois. Son père, Raphaël Wood, était l’un des parrains les plus respectés du pays. Trafiquant d’armes, négociateur d’élite, homme de parole et de principes, même dans un monde aussi sale que le leur. Lisa l’admirait, même si elle ne comprenait pas tout ce qu’il faisait. Il avait toujours protégé sa fille comme une princesse enfermée dans sa tour d’ivoire. Elle n’avait jamais vu de sang. Jamais entendu de cris. Il lui avait toujours évité la face noire de leur monde. Mais ce soir-là, la tour s’effondra. Tout avait commencé par un cri. Un cri rauque. Celui de l’un des gardes. Puis un second, plus proche. Lisa était dans sa chambre quand elle entendit les premiers coups de feu. Elle se leva, paniquée, courut jusqu’à la porte mais l’un des domestiques la repoussa violemment à l’intérieur en lui criant : — Reste ici ! Ne bouge pas ! Elle obéit. Elle était figée, glacée. Son cœur battait si fort qu’elle en avait mal à la poitrine. Dehors, les tirs se multipliaient. Elle entendait les pas, les cris étouffés, les ordres hurlés. Puis le silence. Un silence surnaturel. Et soudain… une voix. Grave. Calme. Tranchante. — Où est la fille ? Lisa recula instinctivement, comprenant qu’ils la cherchaient. Elle n’était plus seulement la princesse à protéger. Elle était devenue un pion. Ou pire, un trophée. La porte s’ouvrit dans un fracas. Et c’est là qu’elle le vit pour la première fois. Sesar Mcgir. Il était jeune. À peine plus vieux que son père. Il avait des yeux comme deux gouffres, noirs, insondables, et un sourire qui n’avait rien d’humain. Il s’avança sans dire un mot. Les hommes qui l’accompagnaient restèrent à la porte. Lisa recula, tremblante. Elle portait un tee-shirt trop grand, ses jambes nues, les pieds nus sur le sol froid. Elle serrait contre elle une peluche de son enfance, geste instinctif, ridicule, mais vital. — Où est mon père ? murmura-t-elle. Sesar la fixa longuement, puis s’approcha jusqu’à lui frôler le visage. — Mort. Le mot claqua comme un fouet. Lisa sentit son monde s’effondrer. Elle cria, hurla, tenta de se débattre quand il posa les mains sur elle. Mais il était plus fort. Plus rapide. Plus cruel. — Non ! Ne me touche pas ! hurla-t-elle. Il la plaqua contre le mur, l’une de ses mains serrant sa gorge tandis que l’autre déchira le tissu de son tee-shirt. Elle pleura, supplia, griffa, mordit. Mais rien n’y fit. Il la viola. Là, dans cette chambre qu’elle avait connue comme un sanctuaire, elle perdit tout : sa dignité, son innocence, sa paix. Quand il eut fini, il la laissa là, recroquevillée sur le sol, nue, sale, brisée. Avant de quitter la pièce, il s’agenouilla et lui murmura à l’oreille : — Tu es le souvenir vivant de ma victoire. Tu porteras ma marque, à jamais. Puis il sortit. Lisa resta là des heures, incapable de bouger. Sa gorge était sèche, son corps en feu, son âme… dissoute. Ce n’est que le lendemain, à l’aube, qu’une femme du personnel osa entrer. Elle trouva Lisa tremblante, muette, le regard vide. Elle la lava, l’habilla, la serra contre elle comme on serre un enfant perdu. Mais elle ne parla pas. Pas ce jour-là. Pas les semaines suivantes. Et même quand elle comprit qu’elle était enceinte… elle ne cria pas. Elle décida simplement que, tôt ou tard… elle reviendrait. La chambre était sombre, à peine éclairée par la lumière vacillante d’un vieux chandelier au coin du mur. L’ambiance était feutrée, presque irréelle, comme un décor de théâtre dans lequel elle allait jouer son rôle le plus douloureux. Lisa Wood n’existait plus. Ce soir, elle s’appelait Dolce. Sesar Mcgir, le roi de ce monde souterrain, l’avait convoquée dans sa chambre. Pas un mot de plus, juste un ordre lancé du bout des lèvres : — Dis à Dolce de me rejoindre. Maintenant. Elle avait hoché la tête, docile. À l’extérieur, personne ne voyait les tremblements de ses mains, ni les déchirures de son cœur. Elle n’avait que 23 ans, mais son regard portait déjà les cicatrices d’un passé qu’il ignorait totalement. Il ne savait pas que c’était elle, la fille de Raphaël Wood. Il ne savait pas que cinq ans plus tôt, dans cette même maison, il l’avait prise de force alors qu’elle n’était qu’une adolescente terrorisée. Et il ne savait pas que de cette nuit était né Bobby, un petit garçon aux yeux trop sages pour son âge. Lisa était revenue. Pas pour le plaisir. Pas pour l’argent. Pour se venger. Elle entra lentement dans la chambre, portant une robe noire fendue, ses longs cheveux bruns remontés en chignon flou. Son parfum enveloppait la pièce d’une douceur amère. Sesar l’attendait, torse nu, un verre de whisky à la main. Assis dans un fauteuil, il la dévisagea, un sourire narquois au coin des lèvres. — Approche, Dolce. Elle obéit. Sans un mot. Il posa son verre, se leva et marcha jusqu’à elle. Il était grand, puissant, sûr de lui. Sa main rugueuse glissa le long de son bras, et elle réprima un frisson. Non de plaisir, mais de rage contenue. Il ne voyait rien. Il ne sentait rien. Il ne reconnaissait pas son crime. Pour lui, elle n’était qu’un jouet de plus, offert par ses hommes pour le satisfaire. — On m’a dit que tu savais te faire désirer, murmura-t-il contre son oreille. — Je ne suis là que pour vous plaire, monsieur Mcgir, souffla-t-elle d’une voix douce, brisée. Il la saisit par la nuque et l’embrassa. Un baiser brutal, sans tendresse. Elle se laissa faire. C’était le prix à payer. Elle avait promis à son fils, chaque nuit, qu’elle lui rendrait justice. Leurs vêtements tombèrent au sol. Elle s’allongea sur le lit, les yeux ouverts fixant le plafond. Il la posséda comme on écrase une proie. Elle ne dit rien. Ne gémit pas. Elle voulait qu’il pense qu’elle était vide. Qu’elle n’était rien d’autre que Dolce, sa putain du moment. Mais en elle, un feu brûlait. Un feu noir. Froid. Elle comptait chaque seconde. Chaque mouvement. Chaque gémissement. Quand tout fut terminé, il s’allongea à ses côtés, satisfait, le torse nu recouvert d’une fine sueur. — Pas mal, Dolce. Tu pourrais me rendre accro. Elle sourit sans sincérité. Il ne la regardait même plus, déjà occupé à reboire un whisky, détendu comme après une séance de sport. — Tu peux rester, si tu veux, murmura-t-il d’un ton las. Ou partir. Ça m’est égal. Elle se leva lentement, rassemblant ses vêtements, masquant sa nudité comme elle pouvait. — Bonne nuit, monsieur Mcgir. Il ne répondit pas. Elle quitta la pièce, fermant la porte doucement derrière elle. Et une fois seule dans le couloir, elle s’effondra en silence, ses poings crispés contre son ventre. Elle sentait encore son odeur. Ses mains. Sa peau. Mais ce n’était rien comparé à ce qu’elle préparait. “Tu m’as volé mon enfance. Tu m’as volé mon père. Tu m’as volé ma dignité. Tu crois que je suis à toi, mais je suis ton piège, Sesar. Je suis ta fin.” Elle retourna dans sa chambre, s’assit devant le miroir et regarda son reflet. Ses yeux étaient rougis, son maquillage coulé. Mais elle se força à sourire. Dolce était née. Lisa, elle… préparait sa vengeance.Lisa détourna les yeux vers la rue. Elle sentait son cœur cogner plus vite. Il n’était pas comme les autres. Il avait ce quelque chose de calme mais déterminé. Un homme dangereux, sûrement. Mais peut-être pas pour elle.— Vous n’avez pas peur de vous asseoir avec une inconnue qui pourrait être armée ? lança-t-elle.Il sourit.— Si vous l’étiez, vous auriez déjà tiré.Le silence retomba. Pas gênant. Plutôt… enveloppant.— Je peux vous offrir quelque chose ? reprit Marco.— Un thé noir.Il fit signe au serveur. Quand la commande arriva, Lisa entoura sa tasse de ses deux mains comme pour s’y raccrocher.— Vous avez ce regard, dit-il soudain. Celui des gens qui portent une tempête en eux.— Et vous, vous avez ce regard des gens qui croient pouvoir l’éteindre, répliqua-t-elle doucement.Il hocha la tête, un peu admiratif.— J’aime bien parler avec vous, Lisa.Elle sursauta. Il savait son prénom.— Ne soyez pas surprise. Reyes m’a parlé de vous… en bien. Vous avez du cran. Vous êtes douée.
Le vent matinal fouettait doucement les rues de New York, glissant entre les grilles, soulevant les feuilles mortes et les morceaux de papiers abandonnés sur les trottoirs. Lisa marchait d’un pas rapide, le manteau noir serré autour d’elle, le regard rivé sur l’entrée de l’école élémentaire. Bobby tenait sa main, son petit sac sur le dos, les cheveux en bataille.— Tu viens me chercher ce soir ? demanda-t-il en levant les yeux vers elle.Elle baissa les yeux vers lui et tenta de sourire, bien que sa gorge reste nouée.— Bien sûr. Et ce soir, je te ferai des pancakes. Ceux que tu aimes.Il acquiesça, le sourire un peu timide, puis courut vers la grille après avoir déposé un baiser rapide sur sa joue. Lisa resta là un moment, le regardant disparaître dans la foule d’enfants.Elle inspira profondément.Elle avait mis son masque.Le visage de la mère fatiguée s’effaça pour laisser place à l’agent Lisa Wood, infiltrée depuis deux mois dans l’une des mafias les plus puissantes de la côte Es
L’odeur de la ruelle était âcre, chargée d’humidité et de relents de la nuit passée. Lisa marchait vite, le visage dissimulé sous un foulard noir, les bras serrés contre son manteau comme si elle voulait empêcher son cœur d’éclater.Elle avait quitté la maison de Sesar avant l’aube, alors que les couloirs étaient encore plongés dans le silence. Personne ne l’avait arrêtée. Elle était libre de ses mouvements, à condition de revenir quand il le déciderait. C’était ce qu’il avait dit, nonchalamment, comme on parle à un chien bien dressé.Ses talons claquaient sur le béton, résonnant dans sa tête comme un écho de ce qu’elle avait vécu quelques heures plus tôt. Elle n’arrivait pas à respirer. Tout son corps lui faisait mal, pas seulement à cause du contact physique, mais à cause de ce qu’elle avait dû faire. Ce qu’elle avait laissé faire.Une fois devant la petite porte grise de son immeuble, elle marqua une pause. Sa main tremblait. Elle lutta pour introduire la clé dans la serrure. Puis
Chapitre 2 – La nuit rougeC’était un soir d’orage, un de ces soirs où le ciel semblait vouloir prévenir qu’un drame se préparait. Lisa avait dix-huit ans ce jour-là. Elle portait encore ses cheveux longs en tresses fines, comme sa mère aimait les lui faire. Elle riait avec naïveté dans les couloirs de la villa familiale, ignorant que ce serait la dernière fois.Son père, Raphaël Wood, était l’un des parrains les plus respectés du pays. Trafiquant d’armes, négociateur d’élite, homme de parole et de principes, même dans un monde aussi sale que le leur. Lisa l’admirait, même si elle ne comprenait pas tout ce qu’il faisait. Il avait toujours protégé sa fille comme une princesse enfermée dans sa tour d’ivoire. Elle n’avait jamais vu de sang. Jamais entendu de cris. Il lui avait toujours évité la face noire de leur monde.Mais ce soir-là, la tour s’effondra.Tout avait commencé par un cri. Un cri rauque.Celui de l’un des gardes.Puis un second, plus proche.Lisa était dans sa chambre q
ALe talon de Lisa claqua contre le marbre noir. Un bruit sec, précis, comme un battement de cœur qui refusait de céder à la panique. Elle s’avança, silhouette sculptée dans une robe rouge sang qui moulait ses hanches et tranchait avec la froideur du lieu. Les couloirs du manoir Mcgir n’avaient pas changé. L’odeur de cuir, de tabac, de pouvoir. Le parfum amer du passé.Dix ans.Dix longues années pour construire cette entrée.Dix ans à avaler ses larmes, à caresser la joue de son fils chaque nuit en priant pour ne jamais sombrer.Et aujourd’hui, elle était là.Dans la gueule du loup.Dans les bras de son bourreau.Un garde la fit patienter dans le hall, sous le regard menaçant d’un autre homme en noir, armé jusqu’aux dents. Lisa ne bronchait pas. Elle ne devait pas montrer la moindre faiblesse. Pas encore. Pas ici.Elle sentit son ventre se crisper. Ce manoir… chaque pierre transpirait le souvenir du sang, de l’humiliation, de l’effroi. C’était ici qu’il avait pris tout ce qu’ell