BELMONTJe n’ai pas dormi.Le sommeil s’est évaporé, comme tout le reste.Elle est là, dans mon lit, roulée en boule, minuscule, presque invisible.Elle respire doucement, mais moi, je suis incapable de fermer l’œil.Chaque minute qui passe ne fait qu’épaissir cette boule dans ma poitrine.Je la regarde.Ses épaules tressaillent par moments, comme si même dans ses rêves, quelque chose la traquait encore.Son corps garde la mémoire de ces coups.Comme si cette douleur, cette peur, étaient tatouées sous sa peau.Je serre les poings si fort que mes jointures blanchissent.Je ne sais même pas si c’est contre moi ou contre ce fantôme qu’elle a recraché hier soir.Cet homme.Ce salaud.Je sens ma gorge se nouer rien qu’à imaginer ses mains sur elle, ses regards, sa voix peut-être, et cette putain d’ombre qu’il a laissée en elle.Une ombre que je n’avais pas vue.Une ombre que je hais de toutes mes forces.Je me lève, incapable de rester immobile.Le plancher grince sous mes pas, mais elle n
ÉVAJe ne sais pas comment mes jambes me portent encore.Chaque pas est un effort. Chaque respiration, une tentative.Je suis vide, et pourtant pleine de cendres.Je suis entrée derrière lui.Pas dans notre appartement.Pas dans ce cocon que j’avais commencé à appeler maison.Mais chez lui. Belmont seul. Belmont sans moi.Tout est identique. Et tout a changé.Les murs sont les mêmes, mais il n’y a plus de chaleur dedans.Juste ce froid.Ce vide qui a pris la place de l’avenir.La porte claque derrière nous.Pas violemment.Mais avec cette douceur tranchante qu’ont les gestes qui savent déjà qu’ils vont faire mal.Il ne me regarde pas.Il pose les clés.Il retire sa veste.Il fait semblant d’être calme.Mais je le vois : ses épaules sont raides, son dos tendu, ses gestes trop lents, trop précis.Comme s’il se contenait pour ne pas exploser.Le silence s’installe.Épais.Insupportable.On entendrait presque mon cœur battre dans ma gorge.Je reste debout, près de la porte.Je n’ai même p
BELMONTJe suis resté là.Debout.Les poings fermés, les dents serrées, le cœur écartelé.Et tout autour de moi… le vide.Un vide qui respire.Un vide qui gronde.Un vide qui, lentement, prend forme et me dévore.Le silence est une bête vivante.Il se glisse dans mes os.Il appuie là où ça fait mal.Il me dit ce que je refuse encore de croire.Elle est partie.Sans un mot.Sans un regard.Sans même une tentative de me retenir.Et ce départ-là… ce n’est pas de la fuite.C’est de la résignation.Comme si elle savait déjà que c’était fini.Je vois les invités, hébétés, qui s’éparpillent comme des feuilles mortes soufflées par une rafale.Certains ont le regard fuyant.D’autres restent accrochés à moi comme à un spectacle qu’ils ne comprennent pas mais qu’ils veulent voir jusqu’au bout.Un homme s’approche, pose la main sur mon épaule , je crois que c’est mon frère.Ou peut-être le traiteur.Qu’importe.Je le repousse.Doucement.Mais assez fermement pour qu’il comprenne : je ne suis plus
BELMONTAu début, je ne comprends pas.La voix qui s’élève est comme un sifflement dans l’oreille, une vibration parasite, dérangeante, incongrue. Trop réelle pour être un rêve, trop irréelle pour avoir sa place ici, dans cette parenthèse parfaite que je m’étais efforcé de maintenir en vie.Puis elle revient.Plus forte.Plus claire.Un nom.Le sien.— Éva n’est pas celle que vous croyez.Tout vacille.Tous les regards se tournent, aimantés.Les murmures se figent.Une femme lâche un cri étouffé.Le prêtre baisse lentement les mains.Et dans le silence suspendu, comme après une détonation, lui entre.Grand, sec, vêtu de sombre, avec dans les yeux cette flamme trouble de ceux qui n’ont plus rien à perdre.Ses pas résonnent, sûrs.Il avance.Comme s’il était invité.Comme s’il était chez lui.Et tout dans mon corps me hurle que je le connais.Pas son nom.Mais son odeur.Son aura.Son rôle.Il était là. Dans les rapports classés. Dans les photos floues qu’un contact m’avait envoyées à l
ÉVALe silence autour de moi est lourd, presque palpable, comme une épaisse couverture de velours qui enveloppe la chambre encore endormie, où la lumière hésite à entrer, tamisée, presque grise, venue d’un ciel bas et plombé. J’ouvre les yeux, et ce que je ressens d’abord, c’est le poids immense de la nuit encore accrochée à mes paupières, une résistance sourde avant que la conscience ne revienne, lentement, avec cette étrange sensation d’un souffle suspendu, comme si le temps lui-même avait retenu son souffle pour ne pas me brusquer.La robe est là, posée sur la chaise, immobile, comme une promesse silencieuse qui attend, ou peut-être une menace qui s’est tapie sans bruit dans les plis de sa dentelle. Je la regarde, incapable encore de la toucher, parce qu’elle semble chargée d’une histoire que je ne sais pas encore affronter, qui me dépasse, me fascine autant qu’elle me terrifie. Chaque pli, chaque dentelle, chaque fil semble murmurer un secret ancien, un pacte fragile. J’essaie d’y
ÉVALa nuit est tombée sans bruit. Comme une couverture humide qu’on aurait posée sur mes épaules. Pas une nuit noire, non une nuit grise, étouffée, pleine de choses non dites. Tout est prêt, m’a dit Bella avant de se retirer. Les fleurs sont installées. La robe est suspendue, au bout du cintre comme un fantôme qui attend. Le vin a été livré. Les témoins sont là, à quelques chambres d’ici, à moitié endormis.Et moi, je fixe le plafond.Je n’ai pas trouvé le sommeil. Pas même la fatigue.Mon corps est allongé, mais mon esprit tourne comme une bête enfermée dans une cage trop étroite.Je passe les doigts sur la couture du drap, machinalement, en boucle. La lune filtre à peine par la fenêtre, trop voilée. Les murs me regardent. Et dans chaque ombre, je crois reconnaître un souvenir.Un doute.Une peur.La nuit, les choses prennent toujours une autre forme. Plus tranchante. Plus ancienne.Et ce soir, c’est tout ce que je suis qui remonte à la surface.Je me lève. Pieds nus. En chemise. Je