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Chapitre 7 — Les gestes simples

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-07-25 19:31:47

 Jade 

Le jour perce à peine à travers les rideaux tirés. Une lumière pâle, dorée, qui caresse les draps froissés, la peau nue, les silences en suspens.

Je me réveille contre lui.

Ma joue posée sur son torse, son souffle régulier sous mon oreille. Il ne dort plus, je le sais. Il respire trop doucement, trop consciemment. Mais il ne dit rien. Et moi non plus.

Je laisse mes doigts glisser paresseusement contre sa peau. Juste là, sur la ligne de ses côtes. Là où les hommes se relâchent quand ils se sentent enfin en sécurité. Là où les murs tombent sans bruit.

Sous mes doigts, je sens son corps qui s’adoucit.

— Tu bouges, murmure-t-il d’une voix encore râpeuse de sommeil.

Je souris contre lui.

— Et toi, tu fais semblant de dormir.

Un grognement étouffé. Sa main remonte dans mon dos, paume grande, lente, possessive. Pas dans le sens d’un homme jaloux. Dans celui de quelqu’un qui a trop souvent perdu pour risquer de ne pas tenir.

— J’essaie de prolonger l’instant, souffle-t-il.

Je relève la tête. Son regard croise le mien, et il y a quelque chose de nouveau dedans. Une paix timide. Une trêve, peut-être. Pas de la confiance, pas encore. Mais un terrain sur lequel on pourrait bâtir quelque chose.

— Ce n’était pas un instant, dis-je. C’était un choix.

Il reste silencieux.

Mais sa main me retient quand je commence à me lever. Il ne serre pas fort. Juste assez pour que je sache.

Je me lève quand même. Je cherche ma chemise, que je retrouve abandonnée sur un fauteuil. Quand je l’enfile, je sens son regard sur moi. Pas celui d’un homme qui se repaît. Celui d’un homme qui se souvient. Chaque bouton refermé est comme une minute qui s’éloigne de la nuit.

— Tu as faim ? demande-t-il.

Je me fige , est-ce que je l'ai bien entendu ?

— Tu cuisines ? je réponds, incrédule.

Il hausse une épaule et passe une main dans ses cheveux en bataille. Il a l’air d’un adolescent surpris dans sa première vulnérabilité. Sauf qu’il est Caleb. Et que rien chez lui n’est jamais anodin.

— Pas vraiment. Mais… ils peuvent nous monter quelque chose.

Je fronce les sourcils, surprise. Et c’est là que je le réalise pleinement : je ne suis pas chez un homme quelconque . Je suis chez lui. Chez ce type dont le silence cache des fortunes. Chez ce patron insaisissable qu’on murmure plus qu’on ne le nomme.

Et malgré tout, il est là, pieds nus, en caleçon, devant moi, et il me demande si j’ai faim.

Il appuie sur un bouton sur un interphone mural. Sa voix reste neutre :

— Deux plateaux. Simple. Œufs, fruits, pain grillé. Et du café , fort.

Je le regarde, mi-amusée, mi-émue.

Il croise mon regard, le menton un peu levé, presque sur la défensive.

— Quoi ?

— Rien. C’est juste… étrange de te voir commander un petit déjeuner comme si c’était un interrogatoire.

Il sourit , un vrai , fatigué , tordu. Mais sincère.

Quelques minutes plus tard, deux domestiques frappent à la porte. Ils sont silencieux, presque invisibles, parfaitement polis. L’un d’eux pousse un chariot recouvert de linge blanc, sur lequel trônent des cloches argentées, des couverts impeccables, et une cafetière en porcelaine blanche.

— Merci, dit Caleb d’une voix basse.

Ils s’éclipsent sans un mot.

Nous mangeons au salon. Lui, accoudé paresseusement à un accoudoir. Moi, jambes repliées sous moi, dans sa chemise trop grande. Nous ne parlons pas beaucoup. Mais il y a dans ses gestes une douceur inattendue. Il me tend les tranches de pain grillé. Il me verse du café. Il me demande si je veux du sucre.

Chaque détail est une offrande.

Je crois que je n’ai jamais pris un petit déjeuner aussi lent. Aussi silencieux. Et pourtant, j’ai le cœur qui bat fort. Parce qu’il est là. Entier. Présent. Et moi aussi.

Quand je termine ma tasse, je me lève enfin.

— Il faut que je rentre , me changer et me préparer pour aller au travail . 

Il ne répond pas tout de suite. Il se lève à son tour, passe une main sur sa nuque.

— Je t’emmène.

Je me fige.

— Ce n’est pas la peine, Caleb. J’ai ma voiture, et…

— Je t’emmène, répète-t-il. Plus doucement. Mais plus fermement. Tu n’as pas à repartir comme si tout ça… n’était rien.

Je ne bouge pas. Mon cœur cogne un peu.

Il s’approche. Pose une main sur ma joue. Son regard est fixe, grave, presque douloureux.

— Laisse-moi faire ce geste. Juste ça.

Je hoche la tête.

Après avoir pris une douche , il m'amène . Le trajet se fait dans une voiture qui coûte plus cher que tout ce que je possède. Le cuir sent encore le neuf, les vitres sont teintées, la radio murmure un jazz discret. Il conduit avec calme. Une main sur le volant. L’autre posée sur sa cuisse, pas loin de la mienne.

Parfois, son regard glisse vers moi.

Mais il ne parle pas.

Il n’a pas besoin.

Quand on arrive devant chez moi, je sors rapidement.

— Dix minutes, je lui lance.

Il hoche la tête. Il reste dans la voiture, moteur allumé.

Je monte chez moi, et sous la douche, l’eau coule sur ma peau comme un rappel. Mais ce n’est pas douloureux. Ce n’est pas le regret.

C’est de la certitude.

Je ne veux pas le repousser.

Je ne peux plus.

Je m’habille, sobrement. Je me maquille à peine. Quand je redescends, il est toujours là. La musique joue encore doucement. Il m’attend.

Je monte. Il me regarde. Et cette fois, il me sourit franchement.

— Prête ?

Je hoche la tête. Il démarre.

Quelques rues plus loin, il me lance sans me regarder :

— Tu sais que je n’attends pas que tu me sauves.

Je le regarde, surprise.

— Je sais.

Il tourne brièvement la tête vers moi, puis reprend :

— Mais peut-être que tu es la seule qui m’empêche de couler sans bruit.

Je ne réponds pas.

Je pose simplement ma main sur la sienne, posée entre les sièges. Il ne bouge pas. Mais il serre mes doigts.

Quand il se gare devant mon lieu de travail, il ne fait aucun commentaire sur l’endroit. Il ne me demande pas ce que je fais. Il ne s’intéresse pas à mon poste. Ce n’est pas de la curiosité. C’est du respect.

Avant que je ne sorte, il garde ma main un peu plus longtemps.

— Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Même pour rien.

Je hoche la tête, incapable de parler.

Je descends. Je marche vers la porte.

Et quand je me retourne, il est toujours là.

À travers la vitre, il me regarde.

Et il sourit.

Pas comme un homme qui séduit.

Mais comme un homme qui choisit.

Et moi, pour la première fois depuis très longtemps, je pénètre dans cet immeuble froid avec la sensation que, quelque part, quelqu’un a choisi de me garder.

Pas pour ce que je peux lui donner.

Mais pour ce que je suis.

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